Ce qui m'a interpellé, voire rendu perplexe lors de la dernière édition de Watches & Wonders

Visiter un salon aussi vaste que Watches & Wonders procure de nombreuses émotions qui peuvent être contradictoires. Une chose est sûre: on ne sait jamais à l'avance sur quoi on va tomber. On peut être séduit, étonné, époustouflé ou au contraire déçu, frustré ou troublé par ce qu'on y découvre. C'est ce qui fait la force d'un tel salon qui regroupe dorénavant une soixante de marques. C'est une sorte de montagnes russes émotionnelles permanentes et c'est ce qui le rend si excitant. Je vous propose un petit florilège d'une dizaine de points qui ont suscité de ma part des interrogations et de la perplexité.

Le cadran en céramique de la nouvelle GMT-Master II de Rolex

J'ai beaucoup aimé l'offre de Rolex cette année et je ne vais pas revenir ici sur la Land-Dweller qui est pour moi la montre du salon. En revanche, je n'ai pas saisi l'intérêt du cadran vert en céramique de la GMT-Master II en or gris. Je n'ai pas aimé son rendu visuel que je trouve moins subtil que les cadrans habituels et je ne trouve pas forcément que ce soit une bonne idée que cela matche avec la partie verte (diurne) de la lunette. En fait, je n'ai pas saisi en quoi ce cadran apportait un plus par rapport aux cadrans existants. Et comme en même temps, Rolex présentait un sublime cadran en oeil de fer, j'ai vite oublié ce cadran en céramique. C'est peut-être un cadran qui s'apprécie à l'usage et j'imagine aussi que la lumière artificielle du salon ne lui rend pas hommage. Mais en tout cas, il ne m'a pas emballé et je n'ai pas perçu le but de la manoeuvre.

Le design trop consensuel des nouvelles Tag Heuer Carrera Day-Date

Mon premier rendez-vous de Watches & Wonders était avec Tag Heuer. Et j'ai commencé avec les Formula 1 Solargraph. Je me suis dit: cela commence bien, avec des montres à quartz. A part que j'ai vraiment aimé ces Formula 1 Solargraph, fun et très bien faites. En revanche, je n'ai pas eu les mêmes vibrations avec les nouvelles Carrera Day-Date. Est-ce qu'elles sont bien faites ? Oui. Est-ce que le système de changement de maillon est top ? Oui. Toutefois, le design est vraiment trop consensuel et l'absence de prise de risque génère l'ennui. Je me disais qu'en supprimant le logo, on était incapable de deviner la marque. C'est un test imparable. Lorsqu'on est une marque généraliste et de volume, il faut accepter la prise de risque et être en mesure de créer des émotions. Sinon, le client ne dépense pas. Dommage car le contenu horloger était lui en progrès.

Le son de la Reverso Tribute Minute Repeater

J'ai trouvé que Jaeger-Lecoultre a présenté de très belles nouveautés. Incontestablement. Ce qui est incontestable aussi, c'est que la manufacture est peut-être la meilleure avec Patek Philippe en ce qui concerne les répétitions minutes. Mais au final, il faudrait faire un constat: la Reverso n'est pas la meilleure montre pour héberger une telle complication. Forme du boîtier, forme des gongs, tout cela génère trop de contraintes et le son de cette Reverso Tribute Minute Repeater n'était pas à la hauteur de mes espérances. Dommage car la montre est très belle. Gardons espoir: les montres à répétition minutes sont celles qui souffrent le plus lors des salons et la Reverso avait déjà subi 3 jours de tests acharnés lorsque je l'ai découverte. Mais enfin au retour à la manufacture, il va falloir travailler sur tout: le son, le volume, le rythme, la résonance, bref du pain sur la planche.

Les prix des masterpieces chez Lange & Söhne

Ouvrons quand même le débat. Oui, la Répétition Minutes Perpétuelle de Lange & Söhne est une montre superbe. Oui, elle sonne plutôt bien et sa réalisation est irréprochable. Mais le prix est stratosphérique: plus de 700.000 euros. Je rappelle, cette montre combine une Répétition Minutes et un Quantième Perpétuel. Elle n'a pas de tourbillon. Si on me demande combien vaut au doigt mouillé une montre qui combine ces deux complications, je dirais entre 400 et 500.000 euros lorsqu'elle émane d'une belle manufacture. On est ici à plus de 700.000 euros. On est dans des niveaux de prix qui correspondaient il y a quelques temps à celui des grandes sonneries. Etre dans l'excellence, c'est bien. Cependant, il faut à un moment avoir des prix cohérents. Dans une vision de court terme, je ne pense pas que ce prix pose problème et les 50 pièces seront sûrement vendues. Enfin j'espère pour Lange & Söhne. Mais si on projette dans quelques années et que certains exemplaires se retrouvent aux enchères ou en seconde main, à quel prix sortiront-elles ? Attention à ce que de tels prix n'entraînent pas des effets pervers. N'oublions pas non plus que certains avaient déjà réagi l'année dernière en découvrant le prix du Datograph Perpétuel Tourbillon Honeygold "Lumen". Et les personnes en question n'étaient pas des collectionneurs du dimanche. Paradoxalement, j'ai trouvé le prix de l'Odysseus en Or Miel plutôt bien fixé. J'aimerais aussi que Lange & Söhne redevienne véritablement attractif sur le segment 30/40K avec des montres qui avaient forgé sa réputation, bien plus que les masterpieces au final. Il ne faudrait pas l'oublier.

L'énigme de la Parmigiani Toric Quantième Perpétuel

La Parmigiani Toric Quantième Perpétuel, c'est pour moi l'énigme numéro 1 du salon. Elle est saluée par quasiment toute la presse (la presse est unanime comme on dit) mais je ne l'ai absolument pas comprise au point de la considérer comme ratée. Son cadran me semble vide, les quantièmes ne sont pas plus visibles pour autant (par exemple, Moser était parvenu à simplifier le cadran tout en utilisant un grand guichet de date), le centre de gravité bascule vers le bas du cadran, le mouvement à remontage manuel n'est pas adapté à la complication et sa finition est la même que le modèle à trois aiguilles. Cette montre est l'antithèse de la Toric QP Rétrograde qui peut être mise dans un winder et qui en plus a des quantième très lisibles. J'espère donc que c'est moi qui n'ai pas saisi la substance et c'est rare que je sois dans un tel décalage par rapport à d'autres observateurs. Maintenant, ce qui compte pour Parmigiani, c'est ce que pensent les clients finaux car ce sont eux les vrais juges de paix.

Autre incompréhension: la Montblanc 1858 Géosphère Annual Calendar Limited Edition

J'ai vu de tout chez Montblanc: du bien avec la Géosphère 0 Oxygen Mount Vinson, du correct avec l'Iced Sea Automatic Date 0 Oxygen (il faudra penser un jour à simplifier les noms) et enfin une immense opportunité ratée avec la 1858 Géosphère Annual Calendar Limited Edition. Quel dommage que cette montre qui utilise un mouvement développé chez Minerva à l'architecture intéressante présente un cadran tarabiscoté qui bat le record du monde du nombre de polices de caractères différentes. C'est peut-être normal pour une marque dédiée à la base aux instruments d'écriture mais au final cela rend l'ensemble bizarre voire disgracieux. En tout cas le rendu n'est pas compatible avec le prix pratiqué. Je me disais que Montblanc devrait surtout dédier Minerva aux chronographes car c'est définitivement ce qu'ils font de mieux.

Le grand absent: Girard-Perregaux

A chaque fois, on me donne des explications mais je n'ai toujours pas compris la logique de la présence isolée d'Ulysse Nardin à Watches & Wonders. Il n'y aurait pas la possibilité de dédier une partie du stand à Girard-Perregaux ? Ce n'est pas possible de rentrer dans une logique d'optimisation et de donner une meilleure visibilité à Girard-Perregaux à travers un stand commun ? Parce qu'au final, le stand d'Ulysse Nardin est grand, le prix ne doit pas être donné, le tout pour présenter une seule nouveauté. Si je devais faire un calcul économique, le coût du stand par montre vendu doit être très élevé. Mais il doit sûrement y avoir des paramètres dont je n'ai pas connaissance.

La taille des montres chez Hublot

Le fait que la Big-Bang "historique" à travers son édition 20ième anniversaire intègre le calibre Unico est une excellente nouvelle. Cela donne de la crédibilité horlogère à ce modèle qui a forgé la réputation de la marque dans sa seconde période. En revanche, j'ai trouvé cette édition (trop) grande avec son diamètre de 43mm et de façon générale, les montres Hublot restent imposantes. Cela fait partie de l'ADN de la marque dira-t-on. Oui mais non. Après tout, le premier Hublot que j'ai connu, celui de Carlo Crocco était plutôt raffiné et interprétait une certaine idée de l'élégance contemporaine. Il est maintenant urgent que Hublot travaille le contenu horloger des Classic Fusion. Bien évidemment, la marque ne pouvait pas laisser de côté l'anniversaire de la Big-Bang. Mais il faut vraiment rendre la collection Classic Fusion plus attractive pour remettre Hublot dans sa dynamique.

Les finitions des mouvements simples à trois aiguilles des marques de haute horlogerie

J'ai toujours le même sentiment depuis plusieurs années: j'ai la conviction que les marques de haute horlogerie pourrait faire bien mieux du point de vue décoratif avec leurs mouvements simples à trois aiguilles. Prenons l'exemple de la très jolie Calatrava 6196P qui a été présentée au salon cette année. La montre vaut tout de même 46.800 euros. Le mouvement 30-255PS est incontestablement agréable à observer et il occupe généreusement le boîtier ce qui est une bonne nouvelle. Cependant, la forme des ponts invite à une approche décorative plus audacieuse. Il y a par exemple deux opportunités pour faire des angles rentrants et aucune des deux n'est saisie. J'aimerais franchement retrouver plus d'ambition dans ce domaine. Le niveau des prix pratiqués devrait inciter les marques à le faire et la remarque est valable également pour de nombreux concurrents de Patek Philippe. La différence d'approche avec certains acteurs de l'horlogerie indépendante est sensible et je ressens de moins en moins d'effet "waouh" en découvrant les mouvements simples des grandes maisons. Elles trouvent dorénavant leurs meilleurs territoires d'expression dans des mouvements plus compliqués et c'est dommage.

Roger Dubuis et le mystère du boîtier Sympathie

Le stand Roger Dubuis présentait quelques montres historiques. Et au final, en les voyant, je me suis posé la même question encore et toujours. Mais pourquoi cette manufacture n'utilise plus son plus beau boîtier ? Pourquoi ne fait-elle pas le constat que les montres qu'elles présentent aujourd'hui n'ont pas le même attrait que les fameuses Sympathie d'antan ? Il y avait bien eu une tentative avec la Monégasque mais la démarche entreprise était trop consensuelle pour fonctionner. On a donc une marque qui a un boîtier merveilleux, qui a du caractère et qui ne l'utilise pas. Je sais que l'image de la marque aujourd'hui n'est plus celle des débuts. Mais rien n'interdit de faire des retours en arrière. D'ailleurs la présentation de l'Excalibur Calendrier Bi-Rétrograde prouve bien toute cette ambiguïté. La marque aimerait renouer avec son passé mais elle ne fait pas franchement le retour en arrière. On se retrouve donc avec une montre hybride, certes pas désagréable mais loin du charme de la Sympathie Bi-Rétro Perpétuel. Quand on patine, il ne faut pas hésiter parfois à faire un reset.

Toutes ces remarques sont l'expression de mon propre ressenti et j'ai tout à fait consciente qu'elles ne sont pas partagées par tous. Toutefois, il me semble important d'écrire de façon impliquée car si les débats ne s'engagent pas, cela ne sert à rien de se rendre dans les salons. Il y a un contexte commercial qui est délicat pour l'industrie et les marques doivent prendre conscience que les clients finaux ont beaucoup gagné en maturité et en connaissance. Alors, si à un moment on ne se pose pas les bonnes questions et si on ne challenge pas les marques, la situation ne s'améliorera pas. L'enjeu pour les prochaines années est vraiment d'adapter le contenu horloger aux prix. Aujourd'hui c'est cette inadéquation qui freine le plus les achats et ce thème de l'inadéquation revient régulièrement dans les remarques remontées plus haut.