J'ai eu l'occasion de revoir récemment l'IWC Portugieser Jubilee 5441 et cette montre magnifique m'a donné envie d'écrire ces quelques mots. En fait, ma réflexion ne porte pas sur cette pièce en elle-même. Très brièvement, il s'agit d'une Portugieser qui a été commercialisée dans le cadre d'une série limitée de 1.750 pièces (1.000 en acier, 500 en or rose, 250 en platine) pour célébrer en 1993 le 125ième anniversaire de la fondation de la manufacture à Schaffhausen. La référence 5441 se distingue par son diamètre de 42mm, son verre plexi et la très jolie écriture vintage de la marque sur le cadran. La position de la trotteuse ne laisse aucun doute sur le fait qu'elle est animée par un calibre dont la taille correspond au diamètre du boîtier et c'est le cas.
En effet, la référence 5441 utilise le calibre 9828 qui est une évolution décorative du 982, ce dernier dérivant du calibre 98. Son diamètre de 37,80mm nous permet d'apprécier son architecture classique de mouvement de montre de poche avec de très belles découpes de ponts, un grand balancier et une superbe raquetterie. La réserve de marche est de 54 heures pour une fréquence de 2,5hz. Quel plaisir que d'écouter le tic tac de ce calibre à basse fréquence ! Les finitions sont de plus irréprochables sans tomber dans le spectaculaire inutile. La continuité des côtes de Genève, la finition des anglages, la combinaison des différentes méthodes décoratives, tout respire la qualité et surtout la volonté de faire les choses de façon soignée.
Le sens de mon message est de mettre en avant un questionnement. Pourquoi donc je n'arrive plus à voir de telles montres dans la production actuelle des marques des grands groupes ? Cette Portugieser symbolise une époque, celle du renouveau de l'horlogerie mécanique (la référence 5441 a d'ailleurs relancé la carrière de la Portugieser), dans laquelle l'objectif des marques était de proposer des montres cohérentes et irréprochables. Le mouvement correspond au boîtier, il est fini avec soin et surtout on a l'impression que la marque n'a pas lésiné sur les moyens. La forme du verre plexi, la finition du cadran, tous les détails ont été pensés pour que l'ensemble soit harmonieux. Je dois avouer que j'ai beaucoup plus de mal à retrouver cette approche de nos jours et ce quelle que soit la marque. On est dorénavant dans une période où ce qui prime est l'efficacité et la rationalisation. J'oserais même rajouter la maîtrise des coûts et le problème est que les clients le ressentent.
Comme je le dis souvent, le problème actuel n'est pas uniquement le niveau des prix. Et j'ai presque envie de dire que ce n'est pas vraiment ça le souci principal. C'est plutôt le sentiment qu'on en a pas assez pour son argent. Les prix montent mais la qualité, tout du moins perçue, fait le chemin inverse. Les mouvements sont déclinés à toutes les sauces, ils sont de moins en moins spécifiques à un modèle, les niveaux décoratifs sont hétérogènes et l'entrée de gamme de la haute horlogerie semble loin des standards de qualité pratiqués il y a encore 20 ans. Enfin, les quantités de matière des matériaux précieux qui sont utilisées sont à la baisse. Je me souviens d'une marque qui m'avait expliqué que sa masse oscillante était dorénavant plaquée au lien d'être en or pour la rendre plus fine. Bref, les justifications existent toujours dans ce sens.
Je pense sincèrement que l'horlogerie a besoin de revenir aux fondamentaux dans une période commercialement délicate. Les fondamentaux, c'est penser d'abord aux clients avant de penser aux marges. C'est de considérer que le contenu horloger doit être une priorité. Mouvements, finitions, exécution, tout doit être cohérent avec les niveaux tarifaires. L'exclusivité doit enfin être la résultante d'une approche de conception et de production et pas d'une stratégie marketing. Pourquoi sinon un client irait dépenser des sommes conséquentes ? Il est temps, selon moi, de remettre de la substance. Il me semble en effet totalement anormal que je puisse penser (et à vrai dire j'en suis convaincu) qu'une Portugieser 5441 ne puisse pas être présentée dans sa configuration de 1993 en 2024. Alors espérons qu'au moins la crise actuelle (car il faut bien l'évoquer) permettra aux marques de mener une réflexion profonde. Non, les mauvais chiffres ne s'expliquent pas uniquement par des reculs sur certains marchés pour des raisons macroéconomiques. Les mauvais chiffres s'expliquent aussi par cette inadéquation entre prix et contenu.