La réédition de la Formula 1 en partenariat avec Kith est finement jouée de la part de Tag Heuer

Soyons clairs d'entrée: la réédition par Tag Heuer de la Formula 1 réalisée en partenariat avec Kith n'est pas une montre qui me plaît. Même si cette réédition est fidèle à l'esprit de la montre d'origine des années 80 (taille de 35mm, mouvement quartz, design coloré etc...), elle n'en demeure pas moins beaucoup trop petite à mon poignet (l'ouverture de cadran est très réduite compte tenu de l'épaisseur de la lunette) et surtout, je trouve le tarif beaucoup trop élevé (1.500 euros) pour les prestations. La Tag Heuer Formula 1 x Kith, c'est ce que j'appelle une montre cigale: elle va chanter un seul été et dépenser 1.500 euros pour une montre à vocation éphémère, cela fait 1.500 euros de moins pour financer une montre beaucoup plus sympathique telle qu'une jolie Skipper pour rester au sein de la même marque.

Alors, est-ce que Tag Heuer a eu tort de faire cette réédition ? Si je mets de côté mes états d'âme, la réponse est clairement non. Et mieux que ça: Tag Heuer aurait eu tort de ne pas se lancer dans cette démarche. En fait, lorsque j'analyse froidement le lancement de cette réédition, composée d'une dizaine de pièces (7 en exclusivité chez Kith, 3 chez Tag Heuer), je n'y vois que des avantages pour la marque sans y voir un seul inconvénient.


Tout d'abord, je trouve que cette sortie a eu un impact médiatique considérable. Tous les blogs d'envergure ont présenté cette nouveauté sans oublier la presse généraliste. Je ne pense pas qu'une seule nouveauté de Tag Heuer dévoilée au cours de Watches & Wonders, y compris la Monaco Chronographe Rattrapante ait atteint le même niveau d'exposition et de messages de réactions, positives ou négatives. La Tag Heuer Formula 1 x Kith a incontestablement généré du buzz et c'est toujours bon à prendre.

Ensuite, elle a permis de se replonger dans l'héritage non pas de Heuer mais bien de Tag Heuer. Et là aussi, c'est une excellente idée. Elle rappelle l'implication de longue date de la marque dans la Formule 1, elle rappelle aussi qu'elle se distinguait déjà dans les années 80 avec un produit totalement en phase avec son époque. N'oublions pas non plus que cette Formula 1 a souvent été une des premières montres que les collectionneurs ont acheté il y a quarante ans... une sorte de montre initiatique donc! Alors n'est-ce pas une bonne idée que de raviver de tels souvenirs auprès d'une clientèle qui joue un rôle important de prescription ?

Enfin, la nature du partenariat avec une marque de mode a aussi du sens. Tag Heuer s'autorise même de détourner son logo afin d'y intégrer le nom de Kith. Un tel geste pourrait être perçu comme dangereux (on ne touche pas au logo !) mais c'est malin dans le cadre d'un partenariat qui favorise la maison associée. N'oublions pas que 7 des 10 montres sont vendues en exclusivité chez Kith. L'objectif ici est vraiment de faire rentrer Tag Heuer chez Kith plutôt que l'inverse. Quel est donc le but final recherché ? Tout simplement de rendre la marque Tag Heuer "cool", à la mode et de l'ouvrir à une clientèle plus lifestyle qu'horlogère. L'enjeu du renouvellement de la clientèle concerne toutes les marques, même les plus grandes et Tag Heuer s'y attaque avec cette réédition.


Mais alors, le danger ne serait-il pas d'écorner l'image de Tag Heuer ? Le risque me paraît faible. Cette collection est en série limitée, les ventes témoignent d'un grand succès et tout cela sera rapidement sold out. Puis on passera à autre chose. Les esprits auront été marqués et le fait de sortir une montre colorée, pratique, étanche à 200 mètres n'apparaîtra pas comme totalement absurde à l'arrivée de l'été. La chance pour Tag Heuer est qu'en 2024, le monde horloger est constamment en train de présenter des nouveautés, une actualité en chasse une autre et au bout du compte, Tag Heuer se remettra à communiquer sur son offre habituelle, telles que les Aquaracer ou autres Carrera. C'est la raison pour laquelle je ne pense pas que le fait d'avoir vendu à un moment donné une petite montre à quartz colorée à 1.500 euros puisse constituer un frein à l'achat pour une clientèle plus traditionnelle.

En conclusion, ma conviction est que la présentation de cette collection dans la petite période de creux qui a suivi l'intense activité de Watches & Wonders est bien jouée de la part de Tag Heuer. Elle apporte du dynamisme à la marque, de la visibilité sans forcément générer des difficultés. J'ai lu ici et là des comparaisons avec la Moonswatch. Je n'ai pas vu une similitude évidente entre les deux orientations stratégiques. D'abord, la Moonswatch est un phénomène qui dure alors que la vocation de la Tag Heuer Formula 1 x Kith est d'être limitée. Ensuite cette dernière est une réédition d'un modèle qui a existé alors que la Moonswatch est une interprétation abordable d'un mythe horloger. Enfin, il y a un monde entre une étiquette à 1.500 euros et une à moins de 300 euros. Bref, chacun sa démarche et en tout cas pour Tag Heuer, malgré le fait que cette montre ne m'attire absolument pas, l'opération est gagnante sur bien des aspects.