Il y a plusieurs façons de présenter une montre inspirée d'un modèle du passé. L'une d'entre elles consiste à juger la fidélité à la pièce d'origine, en vérifiant si l'esprit de la marque a bien été conservé plusieurs décennies plus tard. L'exercice n'est pas simple, surtout lorsque la marque a disparu entre-temps. J'ai envie d'adopter une autre méthode beaucoup plus simple: celle qui analyse de façon détachée la montre actuelle pour juger simplement de sa qualité et de sa pertinence. Car lorsqu'on fait des rappels systématiques avec une montre historique, l'exercice devient très rapidement biaisé. Il y a généralement deux camps. Celui de ceux qui veulent que la réinterprétation soit la plus proche possible du point de départ, telle un clone: je pense par exemple à ce qu'a réalisé Breitling avec la Navitimer 806. Et il y a le camp de ceux qui pensent que la nouvelle montre doit être une réinterprétation, quitte à modifier des éléments importants afin de l'adapter le mieux possible aux critères des productions actuelles. Les arguments qui militent pour cette approche sont nombreux. Elle permet de mieux se conformer aux goûts actuels (par exemple, la clientèle peut préférer un mouvement automatique par rapport à un mouvement à remontage manuel). Elle est aussi plus pragmatique car tenant compte de l'offre de composants en cours proposée par les sous-traitants. Et puis il y a l'argument ultime: pourquoi cloner puisque de toutes les façons les collectionneurs préféreront toujours l'original ? Ce à quoi d'autres rétorquent: la montre contemporaine permet d'en profiter avec moins de contrainte et surtout avec une révision ou une réparation plus simple à effectuer. Bref, le débat est éternel et lorsque j'ai découvert la toute nouvelle Eska Amphibian 250, je me suis bien gardé de rentrer dans de telles discussions.
En fait, la volonté de deux amis collectionneurs (Sinicha Knezevic et Christophe Chevreton) qui ont entrepris l'aventure de relancer Eska est de la faire revivre en tant que marque. Ils veulent éviter de faire un lancement de modèle sans lendemain. Ils s'inscrivent dans une démarche de durée et c'est un point positif puisque l'Amphibian 250, inspirée par l'Amphibian 600 de la fin des années 50 n'est que la première étape d'une véritable ambition. C'est aussi un signe de respect vis-à-vis du nom d'Eska car lorqu'on en devient propriétaire, cela donne des droits mais aussi des devoirs surtout lorsqu'on considère l'héritage de la marque.
J'ai pu donc découvrir cette Amphibian 250 il y a quelques jours. J'apprécie cette montre car je trouve qu'elle a été prise par le bon bout du point de vue du design. Tout d'abord, elle possède une véritable identité ce qui n'est jamais simple à obtenir avec une montre de plongée, néo-rétro ou pas. Alors, certes, le modèle d'origine avait peut-être encore plus de caractère du fait notamment de la présence d'un très discret indicateur de réserve de marche à midi. Mais l'Amphibian 250 reste une pièce avec un parti-pris esthétique pertinent. Deux éléments forgent sa personnalité. Tout d'abord l'épaisseur de la lunette unidirectionnelle et inversée. La montre possède un diamètre de 40mm mais l'ouverture du cadre reste limitée compte tenu de cette lunette. Lorsqu'elle est portée, l'Amphibian 250 donne plus la sensation d'être une montre de 38 ou 39mm que de 40mm. C'est la raison pour laquelle la décision de fixer le diamètre à 40mm est bonne. Ensuite, c'est la police de caractère qui fait la différence. J'aime beaucoup la forme des chiffres qu'ils soient sur la lunette ou mieux encore sur le cadran. Ils sont épais, imposants et occupent une grande place. L'écriture du nom de la marque est quant à elle délicieusement rétro. L'équipe d'Eska a d'ailleurs repris une organisation d'inscriptions de cadran similaire à celle de l'Amphibian 600 y compris la mention de l'étanchéité entre guillemets.
Le boîtier en acier est plutôt élancé avec des cornes assez longues mais incurvées qui positionnent correctement la montre sur le poignet. L'épaisseur totale est de 13,5mm mais elle ne ressent pas car elle comprend le verre. La couronne est assez proéminente (elle aurait mérité d'être plus raffinée) et ce n'est pas ce que je préfère du point de vue esthétique. Mais c'était déjà le cas avec l'Amphibian 600.
En fait, au-delà de l'esthétique, l'autre atout de l'Amphibian 250 est la qualité de son exécution. La lunette saphir est très bien réalisée et surtout la sensation lors de sa manipulation est optimale. Elle n'est ni trop dure, ni trop douce et tout m'a semblé bien dosé.
Le cadran Sandwich est lui aussi de qualité. La matière luminescente des chiffres est appliquée avec soin et la construction particulière du cadran donne des effets de relief au niveau des index. Les aiguilles principales sont efficaces et complètent joliment l'ensemble. En revanche, je suis moins séduit par la trotteuse "lollipop" et j'aurais préféré une aiguille plus originale à ce niveau et plus cohérente avec les deux aiguilles principales même si elle ne jure pas avec le reste. Enfin, le verre saphir double dôme assure une excellente lisibilité tout en ayant une vertu esthétique. Le verre dépasse le niveau de la lunette et cela contribue à la réussite esthétique de la montre.
Sans surprise, le fond du boîtier est plein. Le mouvement qui anime l'Amphibian 250 n'est donc pas visible mais ce n'est pas un souci, bien au contraire. Ce mouvement est le calibre NH38 de Seiko, la version sans date du NH35. On rentre ici dans le véritable débat concernant cette montre. Est-ce que l'équipe d'Eska a fait le bon choix en l'utilisant ? C'est vrai que les performances annoncées du NH38 en termes de précision (-20/+40s par jour) peuvent faire peur (sa fréquence est de 3hz pour une réserve de marche d'une quarantaine d'heures). Il souffre surtout d'une image de calibre d'entrée de gamme et plus destiné à un segment de prix inférieur à celui pratiqué par l'Amphibian 250. Mais d'un autre côté, il s'agit d'un mouvement fiable, robuste, répandu ce qui lui assure une certaine pérennité.
En fait, je me retrouve ici dans une situation similaire à celle de la JB200 de Jacques Bianchi qui utilise le NH35. La clé se trouve dans la façon avec laquelle le mouvement est réglé. J'ai porté la JB200 et elle a fonctionné sans souci et avec précision, en tout cas dans des plages bien plus acceptables que celles annoncées par Seiko (de toutes les façons, les japonais annoncent toujours des plages très larges pour éviter de décevoir même si les mouvements sont bien plus performants dans la réalité). Par conséquent, si l'atelier qui assemble l'Amphibian 250 et qui procède au réglage du mouvement fait un travail de qualité (cet atelier étant situé dans le Doubs, il n'y a pas de raison d'en douter), alors les performances seront au rendez-vous et l'origine du mouvement s'oubliera. J'imagine que l'équipe d'Eska a fait un arbitrage afin de maîtriser les coûts de production. Certains éléments (lunette saphir, cadran sandwich, verre saphir double dôme) sont plus onéreux et la volonté était de rester nettement sous la barre des 1.000 euros pour les backers de la campagne Kickstarter. On peut effectivement regretter qu'un mouvement plus noble et d'origine suisse n'ait pas été utilisé. L'origine suisse aurait permis de justifier le thème de la communication "legends never die". Le choix s'est donc porté sur le NH38 afin d'être compétitif du point de vue tarifaire. Au final, ce sont les clients qui par leur engagement jugeront si cette stratégie était la bonne ou s'il aurait mieux valu vendre la montre à un tarif plus élevé avec un mouvement plus "prestigieux".
En conséquence, l'Amphibian 250 va être commercialisée par le biais d'une campagne Kickstarter débutant le 24 janvier. Le prix d'appel sera de 740 euros HT (soit 888 euros TTC pour les Français). Je trouve ce prix attractif compte tenu de la qualité de l'exécution et de l'habillage. Oui il est élevé dans l'absolu pour une montre équipée d'un calibre Seiko NH38, non il ne l'est pas compte tenu de la lunette saphir, du verre double dôme, du cadran sandwich et des 3 bracelets fournis. Et puis, au final, ce qui compte, ce sont les émotions. Et de mon côté, j'ai tout simplement trouvé cette Eska Amphibian 250 séduisante et tout à fait crédible en tant que proposition de montre de plongée étanche à 250 mètres et commercialisée à moins de 900 euros TTC dans le contexte de la campagne. Je considère donc que l'équipe d'Eska a atteint son objectif initial en définissant une pièce réussie du point de vue esthétique, bien conçue et surtout digne du nom de la marque qui orne son cadran. Je leur souhaite une pleine réussite pour la campagne et au-delà afin que le nom d'Eska résonne de nouveau et pour longtemps.
Les plus:
+ une réussite esthétique
+ la qualité des éléments de l'habillage
+ le prix proposé lors de la campagne Kickstarter
Les moins:
- une couronne proéminente
- un mouvement basique qui aura besoin d'être bien réglé