J'ai eu la chance de rencontrer Simon Lefrançois à Paris il y a quelques semaines. C'est exactement pour ce genre de rencontre que j'ai créé le blog et le compte Instagram. Avec le temps, ce sont les découvertes de trajectoires et de projets personnels qui m'intéressent le plus. Ceux de Simon Lefrançois, horloger basé dans le Morbihan méritent qu'on s'y attarde. Ma curiosité avait été aiguillonnée lorsque Simon Lefrançois avait posté en septembre dernier, sur Instagram, une photo de sa première montre-bracelet. Je la trouvais réussie du point de vue esthétique car elle possédait surtout du caractère et de la personnalité ce qui n'est jamais simple à obtenir avec une première réalisation. J'avais donc contacté Simon Lefrançois et la rencontre a pu se concrétiser quelques semaines plus tard.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, l'horlogerie française est actuellement en plein renouveau grâce à de nombreux projets qui se concrétisent. Ce qui la caractérise le mieux est sa diversité et la densité de talents qu'elle révèle. Concernant ce second point, je ne suis pas vraiment surpris compte tenu de la qualité de la formation horlogère française. Mais plutôt que d'aller travailler dans des entreprises renommées en Suisse, certains horlogers français préfèrent créer leurs entreprises et développer leurs propres projets. Ce n'est évidemment pas sans risque et il faut saluer cette démarche entrepreneuriale. La notion de diversité se manifeste de différentes façons: elle concerne des hommes ou des femmes, de tous âges et qui s'installent dans des zones géographiques pas forcément réputées pour leurs traditions horlogères. Nous avions par exemple le cas de Pascal Coyon dont l'atelier est situé dans les Landes ou celui de Cyril Brivet-Naudot qui travaille depuis le Finistère. Eh bien, il va falloir maintenant compter également sur Simon Lefrançois qui prit la décision de quitter la Suisse et ses grandes maisons pour rejoindre sa compagne dans le Morbihan en 2017.
La première montre-bracelet de Simon Lefrançois:
Simon Lefrançois attrapa le virus de l'horlogerie à l'âge de 16 ans grâce à une rencontre avec une horlogère passionnante qui avait son atelier dans un petit village du Lot. Elle lui transmit la passion pour l'univers de l'horlogerie ancienne ce qui le décida à suivre la formation de l'école d'horlogerie de Bordeaux. Une fois son CAP en poche, il prit la direction de la Suisse à l'âge de 19 ans pour acquérir de la pratique et de l'expérience et découvrir une horlogerie qu'il ne connaissait pas: celle des artisans d'exception. C'est ainsi qu'il débuta son long séjour suisse chez Vianney Halter à Sainte Croix avant de travailler pour des manufactures aux volumes de production plus conséquents telles que Patek Philippe ou François-Paul Journe. Simon Lefrançois eut l'occasion également de travailler sur la restauration de pièces anciennes chez Vacheron Constantin ou Omega. Il compléta son expérience chez Greubel Forsey. Puis vint la décision de quitter la Suisse pour raisons familiales.
Les cornes forgent une grande partie de l'identité de la montre:
Après la naissance de son fils, Simon Lefrançois ouvrit son atelier d'horlogerie à Férel ce qui, d'une certaine façon, contribua aussi à l'acquisition de compétences. Le travail effectué dans l'atelier était très loin de celui pratiqué chez Vacheron Constantin ou François-Paul Journe mais il lui donna l'occasion d'appréhender une horlogerie plus populaire avec des préoccupations de clients différentes. Il put également apprendre à organiser une entreprise avec toutes les contraintes que cela suppose.
Mais, comme tout bon horloger qui se respecte, le désir d'élaborer sa propre création naquit dans son esprit et ses premiers croquis et essais furent consacrés au développement d'une montre de poche. L'influence des années de travail sur des montres anciennes et de patrimoine se ressentait dans ce choix. Très vite, Simon Lefrançois se rendit compte que pour mener à bien un tel projet, il devait compléter son outillage, investir dans du matériel, le remettre en état et se familiariser avec. La création de cette montre de poche, que Simon Lefrançois vient tout juste de révéler via son compte Instagram, lui permit de comprendre la difficulté d'oeuvrer dans un environnement éloigné de celui des régions traditionnelles de production horlogère dans lesquelles se trouve tout le tissu des artisans et des sous-traitants. Lorsqu'on travaille dans un atelier éloigné de ces régions, on travaille seul et on doit apprendre à gagner en autonomie et à résoudre des problèmes avec débrouillardise. Le prototype de la montre de poche fut réalisé, utilisant un boîtier en acier d'un diamètre de 52mm et un calibre Unitas 6497. Son aboutissement fut une expérience très formatrice pour Simon Lefrançois.
Puis vint le projet de la montre bracelet et je pense que Simon Lefrançois le prit par le bon bout. Il eut la volonté de développer une montre qui lui plairait et qu'il aimerait porter. Il voulut la concevoir à son rythme, sans pression des réseaux sociaux et c'est la raison pour laquelle il fut très discret autour de cette ambition. En effet, les premières photos communiquant sur les élément de la pièce ne furent publiées qu'un mois avant la présentation de la pièce définitive. Bref, le maître mot fut "quiétude" et cela se ressent dans la version que j'ai eu l'occasion de voir.
Simon Lefrançois n'aimant pas brûler les étapes, il a souhaité pour cette première montre, se concentrer sur la dimension esthétique du boîtier et du cadran et sur les étapes de leur fabrication. La volonté était d'utiliser un mouvement existant (un calibre ETA 2892-A2 en l'occurrence) afin d'orienter le travail sur l'harmonie entre les composantes du design pour créer un style élégant, cohérent et avec du caractère.
La pierre angulaire de la montre, qui malheureusement ne porte pas véritablement de nom à ce stade, est le design du boîtier. Ce boîtier en acier possède un diamètre de 38mm et une épaisseur de 7,4mm. En lisant ces dimensions, on a le sentiment d'être face à un boîtier classique. Mais il ne l'est pas. Sa forme est particulière car il est conique. Cela lui donne du dynamisme tout en maîtrisant le diamètre et l'ouverture du cadran. Mais il y a une raison très précise qui explique cette forme. C'est la taille des cornes et la façon avec laquelle elles sont fixées sur le boîtier. Afin de donner à l'ensemble des proportions équilibrées, il était important que la base du boîtier soit plus large que la partie supérieure. J'ai en tout cas beaucoup apprécié l'inclinaison de la carrure et le design des cornes.
En fait, en découvrant la première montre de Simon Lefrançois, j'ai pensé aux premières Piccadilly de Peter Speake-Marin. J'ai retrouvé un boîtier de caractère avec des cornes puissantes. Le mouvement n'est pas exclusif mais fiable et réparable, rendant la montre pérenne et facile à réviser. Bref, j'y ai vu de nombreuses similitudes dans l'état d'esprit même si les montres ne se ressemblent pas.
Le fond du boîtier est plein ce qui est la solution appropriée dans ce contexte:
La réussite du dessin de la montre de Simon Lefrançois réside dans la combinaison subtile entre éléments circulaires (notamment au niveau du cadran) et éléments géométriques tels que les cornes ou les aiguilles pointues.
Les cornes apportent une dimension tri-dimensionnelle et j'ai eu la sensation que le boîtier était plus épais qu'il ne l'est vraiment. Les effets de volume sont également présents sur le cadran car il offre plusieurs niveaux. Le travail des volumes a été un des fils conducteurs de la démarche et cela se ressent.
Le cadran en maillechort et acier a également fait l'objet d'un très grand soin dans sa conception. Simon Lefrançois l'a évidé à la fraiseuse pour en sortir le disque central. Il a réalisé les plots en acier poli ou bleuis à la flamme qui sont par la suite rivés au cadran. Il effectue l'ensemble des tâches, seul un graveur externe intervient pour la signature du cadran, du fond (le mouvement n'est pas visible ce qui n'est pas un souci) et la couronne. J'apprécie la ligne qui relie les index car elle amplifie la sensation de construction circulaire, comme si le cadran pouvait effectuer une rotation. Les aiguilles en acier offrent une lisibilité optimale et elles contrastent avec les autres composantes du cadran du fait de leurs formes.
A noter que Simon Lefrançois est ouvert à une certaine marge de personnalisation à condition de respecter l'architecture du cadran et les techniques de fabrication. Je précise que la lisibilité est excellente, préservée grâce au verre saphir. Vous noterez l'absence d'une trotteuse permanente. Cela ne m'a pas dérangé mais je sais que des personnes souhaitent avoir l'affichage d'un indicateur de marche côté cadran. Je pense que la montre est plus belle ainsi car la pureté du cadran renforce la démarche esthétique fondée sur l'harmonie et les rendus des matières. Une précision: la montre n’est pas garantie étanche, mais elle possède trois joints d’étanchéité : un au verre, un sur le fond et un sur la couronne.
Vous l'avez compris, la démarche de Simon Lefrançois consiste à concevoir les éléments qui entourent le mouvement et de créer le contexte harmonieux qui les relie entre eux. L'ensemble comprend environ 50 pièces à usiner et à ajuster sur lesquelles il faut appliquer les finitions. Une telle exécution nécessite un mois de travail. Compte tenu du carnet de commande actuel, il faut compter au minimum sur une livraison cet été pour une demande effectuée en janvier.
Le prix de vente est actuellement de 3.600 euros TTC. La montre est livrée avec son étui en cuir qui se loge dans un écrin en bois de chêne. L'étui et l'écrin sont réalisés par des artisans partenaires de Simon Lefrançois. L'artisan menuisier est de la région. Les charnières de l'écrin sont réalisées à l’atelier pour faire un rappel des vis de fond de la montre ce qui est un joli clin d'oeil. L'écrin comporte aussi un tournevis qui permet le changement du bracelet. Ce bracelet est en cuir Molequin bleu oxford.
Pour prendre commande, il suffit de contacter directement Simon Lefrançois via notamment son compte Instagram: @montre_lefrancois .
J'ai en tout cas apprécié la démarche de Simon Lefrançois, sa sincérité et sa volonté de faire les choses à son rythme en privilégiant dans un premier temps la démarche esthétique. Je trouve que le prix de vente est bien positionné. Le mouvement n'est certes pas exclusif mais toute la construction autour l'est. Surtout, pour ce prix, on devient propriétaire d'une montre singulière, de caractère, qui est le fruit d'une démarche personnelle... et française. L'acquisition d'une telle pièce va ainsi au-delà d'une pure dimension transactionnelle. On contribue à la pérennisation d'un atelier d'horlogerie dans le Morbihan et on soutient l'ambition du retour au premier plan de l'horlogerie française.