On vit une époque formidable

Franchement, suivre l'actualité horlogère est un vrai bonheur. Il y a chaque jour quelque chose à commenter. Tenez, par exemple, je viens d'apprendre que la collection The Oak de Patrick Getreide allait être vendue aux enchères en plusieurs étapes organisées par Christie's à compter du mois de novembre. Personne ne peut reprocher à un collectionneur de vendre sa collection. Plusieurs raisons peuvent le pousser à commettre cette terrible séparation, comme si une partie de soi disparaissait: la lassitude, l'absence d'intérêt au sein de la famille, le besoin de liquidités, l'envie d'investir dans d'autres objets ou dans un projet, la sensation que la collection est aboutie et que la quête est achevée. Qu'importe le contexte, le collectionneur n'a pas à donner de raison. C'est une décision personnelle qui lui appartient et j'imagine que cette décision n'est jamais facile à prendre.

Ce qui m'a surpris dans ce cas précis, c'est le timing. En fait, cette vente débute grosso modo un an et demi après la très belle exposition organisée à Londres qui avait pu être considérée, à juste titre, comme une célébration d'un parcours exemplaire d'un collectionneur guidé par la passion. L'organisation thématique de l'exposition, le fort soutien médiatique qu'elle a suscité s'expliquaient par la dimension éducative qu'elle générait. La collection de Patrick Getreide est non seulement d'une extrême richesse de par les pièces qui la composent mais également du fait de la démarche qui l'a guidé.

Et patatras, 18 mois plus tard, c'est le début de la dispersion de cette collection. En fait, tout ceci me laisse un goût un peu amer. Du fait de ce timing, j'ai la sensation que toute la dimension positive et exemplaire de l'exposition est balayée et est remplacée par une sorte de plan bien mené qui visait à donner un coup de projecteur sur des pièces dont la destinée serait d'être vendues dans des délais relativement courts. La sincérité de l'exposition en prend un coup et même s'il n'y avait pas de volonté de vente à l'époque, la proximité entre l'événement londonien et la vente provoque le doute ce qui est fort dommage. Décidément, rien n'est simple dans le petit monde horloger et la frontière entre les belles histoires et les plans alambiqués est parfois très mince.

Il y a aussi deux autres points que je regrette. Le premier est de retrouver dans la première salve de pièces proposées par Christie's à la fin novembre des montres d'horlogers indépendants comme Akrivia ou Kari Voutilainen. N'aurait-il pas été possible de proposer ces montres en premier lieu à Rexhep ou à Kari ? 

Le second point est la constatation que le centre de gravité horloger quitte bel et bien l'Europe. En peu de temps, plusieurs très gros collectionneurs européens ont cédé leurs collections et pas besoin d'être un extra-lucide pour deviner où sont parties les principales pièces. D'ailleurs, le fait que la première vente de Christie's se déroule à Hong-Kong illustre parfaitement ce mouvement. Compte tenu de leurs connaissances, de leurs flairs, de ce qu'était le marché horloger il y a plusieurs décennies (qui n'était pas aussi globalisé qu'aujourd'hui), de la puissance économique de l'Europe de l'époque, des passionnés du vieux continent ont pu ainsi constituer des collections inestimables. Cette époque est révolue et tout se passe ailleurs. Finalement, c'est peut-être ça qui me fait le plus mal, c'est de prendre conscience du déclin de l'Europe (et notamment de l'Europe de l'Ouest) qui n'est plus en mesure de suivre le rythme imposé par l'Asie. Dans ce contexte, l'exposition de Londres m'apparaît plus comme un vieux livre sur un passé glorieux que l'on feuillette et que l'on referme. Et malheureusement, il va être définitivement refermé car sa vocation est de disparaître à compter du mois de novembre. Quelle tristesse et quel contraste par rapport à l'ambiance festive du printemps 2022.