Et si l'industrie horlogère venait de rentrer cette semaine dans le XXIième siècle ?

L'annonce lundi dernier du report à l'année prochaine de la vente caritative d'Only Watch ainsi que les investigations récentes menées par les autorités à Singapour pour lutter contre des opérations significatives de blanchiment d'argent ont fait prendre conscience à l'industrie horlogère que les sujets liés au respect des règles de conformité ne pouvaient plus être traités avec légèreté. Ces deux événements, qui n'ont évidemment rien à voir, ont rappelé de façon abrupte que le monde avait bel et bien changé et que même si les contextes réglementaires pouvaient fortement varier d'un pays à l'autre, un comportement éthique irréprochable des acteurs de cette industrie était dorénavant attendu de la part non seulement du grand public mais également des clients et parmi eux, des collectionneurs. J'utilise  de façon délibéré le terme d'"acteurs" pour rappeler que cette industrie n'est pas uniquement composée de marques, de fournisseurs et de détaillants. Il y a aussi les maisons de vente aux enchères et dans le cas d'Only Watch, l'Association Monégasque de lutte contre les Myopathies.  

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les échanges liés à Only Watch qui ont conduit au report de la vente furent initiés par des collectionneurs (et absolument pas par des bloggeurs comme j'ai pu lire ici et là). Ces collectionneurs, parmi leurs préoccupations, avaient la volonté de lever des doutes quant à l'utilisation de l'argent qu'ils versent en tant que clients aux marques lorsque ces dernières cèdent des montres à Only Watch. Parmi ces collectionneurs, je pense notamment à Santa Laura qui a posé toute une batterie de questions à l'organisation d'Only Watch qui relevait d'un véritable processus de "KYS " (Know Your Supplier) digne de ceux que mènent les sociétés dans certains secteurs d'activité. En fait, je pense sincèrement que le problème lié à Only Watch est une sorte de pêché originel, celui de s'être mis dans une situation qui pourrait être perçue comme un conflit d'intérêt (l'association organise une collecte de fonds qui finance une société dont le bénéficiaire effectif est le responsable de l'association). J'ai envie de croire à la probité des organisateurs d'Only Watch car les raisons qui ont poussé à la création de l'Association sont trop intimes pour qu'il en soit autrement. En revanche, ce qui est regrettable est cette structuration et l'absence de transparence dans les données chiffrées et de vision claire sur les impacts concrets des recherches qui ont été ainsi financées. Et c'est cette absence de transparence qui a poussé Santa Laura à poser des questions. Il faut bien comprendre que dans le "charity business" (une notion qui s'apparente presque à un oxymore), les observateurs se placent très vite sur le terrain de la morale et par sur celui des pures considérations de législations locales. Un audit des comptes de l'Association sera réalisé mais il ne faut pas se raconter d'histoires. Tant que la structuration pourra présenter un risque potentiel de conflit d'intérêt, je ne vois pas les marques impliquées donner leur accord pour que la prochaine vente se tienne. Selon moi, au-delà des conclusions de l'audit, la principale raison qui fera que la prochaine vente puisse se tenir sera qu'un comité indépendant de l'organisation décide de l'affectation de fonds auprès d'entités de recherche elles aussi indépendantes (c'est à dire sans aucune participation des membres de l'organisation de l'Association), renommées, réputées et aux résultats visibles et documentés, bref que l'on sorte de la situation actuelle. Sinon, les mêmes causes produiront les mêmes effets. A titre personnel, j'ai envie que la vente puisse se tenir compte tenu des objectifs affichés et parce que c'est un événement rassembleur de l'industrie. La balle est dans le camp de l'organisation qui devra être dans une démarche proactive pour que l'aventure puisse se poursuive sous une autre forme. Dans l'état actuel des choses, la probabilité que l'événement puisse se tenir en 2024 est proche de zéro.

Si je mets de côté cette situation exceptionnelle, j'ai la sensation que les marques ont de façon générale fait des progrès ces dernières années. L'influence des groupes cotés se ressent ainsi que celle de Rolex dont les principes éthiques sont incontestables. Le secteur avance mais il y a encore du chemin à parcourir notamment sur le thème de l'origine des fonds et sur la démarche "KYC" (Know Your Customer) que doivent mener les maisons de vente aux enchères. En tout cas, le fait qu'Audemars Piguet ait été la première marque à sortir de le vente d'Only Watch est très symptomatique. Le précédent employeur de la future CEO d'Audemars Piguet est Firmenich, société cotée et dont le code éthique et de conduite professionnelle est très complet. J'imagine que sa culture et ses connaissances en matière de déontologie ont dû peser dans la décision.

En fait, l'observation attentive des événements qui viennent de s'écouler m'a donné le sentiment que l'environnement dans lequel l'industrie horlogère évolue avait radicalement changé en quelques jours. Il y a un avant, il y aura un après. Les sujets de conformité, d'éthique et de déontologie sont devenus subitement des thèmes majeurs et les acteurs ont pris conscience qu'ils devaient être traités avec sérieux afin d'éviter des risques importants en matière d'image et de réputation. Or le principal atout d'une marque renommée est son image et sa réputation. C'est la raison pour laquelle toute cette séquence me fait dire que l'industrie horlogère vient de rentrer dans le XXIième siècle, celui qui met la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) au coeur de leurs stratégie.

C'est dans ce contexte que je me réjouis des actions menées par la Fondation de la Haute Horlogerie. En effet, la Fondation a mené très récemment une nouvelle masterclass dédiée au thème de la conformité et du développement durable. Les principaux thèmes abordés étaient liés à la protection des données, à la Cyber Sécurité et aux différentes normes et réglementations qui impactent l'industrie. Une démarche bienvenue et appréciée des acteurs dans un environnement mouvant et de plus en plus complexe. En tout cas, le timing de la masterclass était idéal parce que les événements récents ont rendu son contenu non seulement approprié mais obligatoire. Il sera même conseillé de renforcer ces formations car le nombre de sujets à traiter devient chaque jour plus conséquent.