La Swatch Bioceramic Scuba Fifty Fathoms, une avancée par rapport à la Moonswatch

Swatch vient de commercialiser à compter du 9 septembre une collection de montres Bioceramic Scuba issue d'une collaboration avec Blancpain, rendant ainsi hommage à la Fifty Fathoms. Et sans surprise, j'ai eu l'impression de revivre la même séquence qu'avec la sortie de la Moonswatch: des discours enflammés sur les réseaux sociaux et les forums horlogers, des files d'attente interminables devant les Swatch Stores impliqués, les "investisseurs" du monde des Sneakers de sortie, la constitution des camps des anti et des pour, bref, Swatch a remis 20 centimes dans le jukebox.

Cependant, il me semble que nous ne sommes pas tout à fait dans un contexte similaire. Tout d'abord, l'effet de surprise n'est pas le même puisque nous nous sommes habitués depuis la sortie de la Moonswatch à ce qu'une icône horlogère puisse faire l'objet d'un hommage "en plastique" vendu à un prix 30 fois inférieur. Nombreuses furent les personnes (dont moi) qui craignaient une problématique d'image à l'encontre de la Speedmaster mais Omega a par la suite communiqué sur le fait que la sortie de la Moonswatch avait eu un impact positif sur ses ventes. Admettons et considérons que la perception du risque d'image n'est plus la même lors de la sortie de la Bioceramic Scuba Fifty Fathoms qu'avec celle de la Moonswatch.

Ensuite, la marque concernée par la collaboration n'a pas du tout la même envergure. Omega est une marque visible, extrêmement connue et dynamique, la Speedmaster fait clairement partie des montres ayant de la notoriété parmi le grand public. Blancpain n'est pas du tout dans cette configuration. La marque est bien plus confidentielle et la Fifty Fathoms, quoi qu'on en dise, malgré son histoire, n'est connue que des amateurs d'horlogerie. Je touche donc ici un des atouts de cette dernière collaboration: elle permet de donner de la visibilité à Blancpain ce qui n'est pas une conséquence négligeable. Je suis passé à la boutique Blancpain le week-dernier et en moins de dix minutes, plusieurs personnes sont rentrées pour découvrir la "vraie" Fifty Fathoms, des personnes qui ne seraient jamais rendues dans une boutique Blancpain autrement.

Maintenant, est-ce que Blancpain est en mesure de tirer profit commercialement de cet engouement ? Je pense sincèrement que non. Pour deux principales raisons. D'abord, le ticket d'entrée pour acquérir une Fifty Fathoms Automatique est situé au-delà de 15.000 euros. Alors certes, la Bathyscaphe est plus abordable mais son prix n'est pas donné non plus. Et puis j'ai vraiment beaucoup de mal à considérer la Bathyscaphe comme une Fitfty Fathoms mais c'est un autre sujet. L'autre raison est que la marque, contrairement à Omega, n'est pas vraiment organisée pour accompagner ce regain de notoriété. Dans un monde idéal, il aurait déjà fallu travailler en amont sur la visibilité de la marque de façon plus marquée et volontariste. Il ne faut pas compter uniquement sur les autres et c'est surtout à la marque Blancpain elle-même d'agir sur cet aspect. Et puis, disons clairement les choses: les Fifty Fathoms en collection ne correspondent pas vraiment à ce que recherche aujourd'hui la clientèle. Le diamètre de la Fifty Fathoms est de 45mm ! Mais qui de nos jours va acheter, en dehors de ceux qui ont un poignet imposant une montre d'un tel diamètre ?

Blancpain nous impose une stratégie depuis plusieurs années qui n'est pas totalement en phase avec nos attentes. Les versions séduisantes, avec des diamètres plus contenus, avec des cadrans vraiment sympas sont toutes commercialisées en séries très limitées avec peu de modèles disponibles en France. Le pire a été le partenariat avec Hodinkee comme si Blancpain avait besoin de Hodinkee pour faire une montre désirable. Le constat est là: tant que le seul modèle de Fifty Fathoms simple disponible en collection permanente restera cette grande montre  de 45mm (qui brille en plus du fait de sa lunette en saphir), eh bien, Blancpain ne tirera aucun profit du regain de notoriété. J'espère donc qu'ils ont anticipé et que les choses évolueront. J'aime beaucoup Blancpain et c'est pour cela que cette situation me déçoit.

Enfin, la grande différence entre les deux collaborations demeure le produit en lui-même. Et sur ce point, je dois avouer que la Bioceramic Scuba Fifty Fathoms marque une très belle avancée par rapport à la Moonswatch. J'ai eu l'occasion de la manipuler grâce à  Mathieu Celi de Watch Interest qui est l'heureux propriétaire d'une version Artic Ocean. Parce que, voyez-vous, il est impossible d'en voir une si on ne rencontre pas un/une propriétaire de la dite montre. Rien n'est fait pour les shooter, pas de kit press, rien. C'est à dire qu'au sein de Swatch Group, tout est simple, fluide, agréable avec Breguet, Blancpain, Glashütte Original, Omega etc... et tout est compliqué avec Swatch pour voir une montre en "plastique". Comme le dit Beaumarchais: "Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer". Je ne vais pas me plaindre, je suis après tout plus intéressé par les marques "Premium" mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose que d'empêcher la fluidité de l'information. Surtout que dans le cas précis, j'ai plutôt une opinion favorable de cette Bioceramic Scuba Fifty Fathoms.

En fait, j'ai le sentiment que cette montre aura plus d'impact pour Swatch. Tout d'abord, elle est esthétiquement plutôt réussie et je la considère comme étant une des montres Sistem51 les plus séduisantes. Les caractéristiques du design de la Fifty Fathoms sont bien intégrées et le travail sur le boîtier et le cadran est bien fait. Certes, la Bioceramic du fait de la sensation tactile qu'elle provoque et sa légèreté n'a pas forcément une qualité perçue évidente. Mais le design du boîtier est agréable avec des cornes incurvées, la reprise du discret protège-couronne est bien exécutée, la lunette caractéristique est interprétée avec justesse. Le principal atout esthétique, selon moi, au-delà de la fidélité à l'esprit du modèle d'origine est la finition du cadran qui comporte de jolis effets dégradés et des effets de relief grâce aux index appliqués. Il y a même un élément que je trouve ironique: le diamètre de 42,3mm... c'est à dire une taille plus raisonnable que celle du modèle de la collection permanente de Blancpain... En d'autres termes, la Bioceramic Scuba Fifty Fathoms répond mieux à mes attentes sur ce point ce qui est un comble.

Reste que le boîtier est épais (14,4mm) surtout du fait du passage de deux couches de bracelet sur le fond. Le bracelet cache la vue sur le mouvement ce qui est dommage. Ce bracelet NATO en filets de pêche recyclés est plus qualitatif que celui de la Moonswatch mais ses rayures verticales ne sont pas du plus bel effet et enlaidissent la montre. En remplaçant ce bracelet par un NATO uni par exemple, la montre gagne en pureté et est mieux mise en valeur.

 Il faut retirer le bracelet pour apprécier la vue sur le mouvement SISTEM51:

Mais la grande avancée qualitative se situe au niveau du mouvement. Fidélité aux principes de Blancpain oblige, la Bioceramic Scuba Fifty Fathoms est animée par un mouvement automatique Sistem51  qui possède une réserve de marche généreuse de 90 heures. Grâce à son architecture simple et innovante, il est fiable et possède de façon native des caractéristiques amagnétiques. Possédant une montre animée par le même mouvement, je l'ai trouvé intéressant dans son efficacité au remontage et la stabilité de son comportement. La masse oscillante se ressent fortement ayant une forte propension à tourner rapidement. Le point qui me chagrine est en revanche le comportement erratique de la trotteuse quand la couronne est tirée.

Dernière caractéristique de taille de la  Bioceramic Scuba Fifty Fathoms et cruciale dans le contexte d'un hommage à une montre de plongée: l'étanchéité annoncée est de 91 mètres pour correspondre aux fameuses 50 brasses (fathoms). Elle est ainsi mieux adaptée à un usage polyvalent que la Moonswatch.

J'ai donc un avis favorable sur les montres issues de la collaboration. A condition de remplacer le bracelet, elles sont plutôt séduisantes, bien faites et le fait d'être animées par un mouvement automatique leur donne un minimum d'intérêt horloger. Le prix est de 390 euros ce qui est bien plus élevé qu'une autre Swatch Sistem51. Le contexte de la collaboration et le fait que la demande restera soutenue expliquent ce niveau de prix. Certes, des montres vendues autour de 400 euros offrent sûrement un contenu supérieur ainsi qu'une meilleure pérennité en étant plus facilement réparables. La Bioceramic Scuba Fifty Fathoms possède en revanche une sorte d'aura du fait de la légitimité du contexte Blancpain que d'autres n'auront pas.  Les clients feront donc un arbitrage entre ces différents paramètres.  

Concernant la collaboration en elle-même, je pense qu'elle est surtout profitable à Swatch car jamais le mouvement Sistem51 ne s'était retrouvé dans un cadre esthétique aussi abouti. Pour Blancpain, il va falloir ensuite capitaliser sur le pic de notoriété mais pour cela, la marque ne pourra compter que sur elle-même. Elle devra s'activer notamment en revoyant certains aspects de l'offre et en travaillant sur sa propre visibilité. Tous ces éléments me font dire que si en termes de produit la Bioceramic Scuba Fifty Fathoms est un joli progrès par rapport à la Moonswatch, je pense que son impact pour le Swatch Group sera moindre que celui de la montre issue de la collaboration avec Omega.