Kermit n'est pas là pour rigoler chez Oris

Suite à la dernière édition de Watches & Wonders, plusieurs d'entre vous m'ont demandé ce que je pensais de l'Oris ProPilot X Kermit Edition. La réponse n'est pas aisée car tout dépend de la position que je prends. Je me place d'abord en tant qu'observateur de la stratégie de la marque. De ce point de vue, je n'ai aucun doute sur le fait qu'Oris a eu raison de présenter cette montre issue d'un partenariat avec The Muppets. Déjà, pour commencer, la montre m'a appris que Disney était titulaire des droits de la série depuis 2004 ce que je ne savais pas. Alors, merci à Oris de m'avoir informé de cette situation contractuelle. Ensuite Oris aurait eu tort de se priver du buzz et de la couverture médiatique que la ProPilot X Kermit Edition a généré. C'est simple: c'était une des montres les plus présentes dans l'esprit et dans les conversations des visiteurs de Watches & Wonders. Et même s'il était toujours positionné à l'entrée du stand, l'ours d'Oris donnait le sentiment d'être relégué au rang de figurant derrière la célèbre grenouille Kermit.

Premier jour du mois et hop ! Kermit apparaît dans le guichet de date:

C'est intelligemment joué de la part d'Oris. Tout d'abord parce qu'à la base Oris dégage une image de marque sérieuse voire (trop) raisonnable ce qui est sûrement une vertu mais pas forcément un atout décisif du point de vue commercial quand il s'agit de séduire une grande partie de la clientèle qui achète en fonction de coups de coeur. Apparaître comme décalé, fun, cela ne peut qu'être un avantage dans un contexte de crise. N'oublions jamais que plus les temps sont difficiles, plus les clients veulent s'amuser. Sinon, à quoi bon dépenser plusieurs milliers d'euros pour acheter un produit d'une marque aussi austère que son quotidien?

Ensuite, Oris mobilise son meilleur savoir-faire pour embarquer Kermit. Alors que d'autres modèles auraient pu être utilisés pour matérialiser ce partenariat et notamment des montres plus acessibles, Oris met en scène sa pièce la plus ambitieuse, la ProPilot X en titane. La ProPilot X est selon moi la montre la plus aboutie des points de vue esthétique et technique de la part d'Oris. J'aime beaucoup la cohérence entre le boîtier et le bracelet, le style géométrique, le fermoir, l'utilisation du titane et bien entendu la présence du calibre de manufacture 400 qui se distingue par ses excellentes performances (l'anti-magnétisme, la réserve de marche de 5 jours, le tout avec une garantie de 10 ans). Mais alors, pourquoi affubler cette montre si bien conçue d'une grenouille ? Tout simplement parce qu'Oris veut profiter du buzz pour faire passer un double message: le rappel du calibre de manufacture pour commencer et le niveau de prix pour finir. 

Le calibre de manufacture 400 est le principal vecteur de l'ambition d'Oris:

C'est un point fondamental: la campagne de communication liée à Kermit met en lumière les orientations stratégiques d'Oris. Oris monte en gamme tout comme la grenouille grimpe à l'échelle. La proportion des montres utilisant le calibre 400 ou ses déclinaisons comme le 401 ne cesse de croître dans le catalogue et les prix suivent la même tendance. Ainsi, le prix de vente de la ProPilot X Kermit est de 4.400 euros (soit 200 euros de plus qu'une ProPilot X "traditionnelle") soit un prix bien plus élevé que ceux que la clientèle connaissait il y a encore peu de temps.

La ProPilot X Kermit a de fait généré beaucoup de buzz ce qui a permis d'affirmer la position d'Oris en tant qu'acteur crédible dans le segment 4-5K. Bref, une montre fun au service d'un objectif très sérieux. Incontestablement, c'est très bien joué de la part d'Oris.

Maintenant, je me place du point de vue de l'acheteur potentiel. J'ai déjà exprimé mon sentiment positif à l'égard de la ProPilot X. Cependant, je n'ai pas été pleinement convaincu par la ProPilot X Kermit. A vrai dire, j'ai eu la sensation qu'Oris s'est trouvé dans une sorte d'hésitation dans le ton à employer. La montre se veut fun mais au bout du compte, elle ne l'est pas trop. Le contexte technique et rigoureux de la ProPilot X n'est pas forcément le mieux adapté pour cet exercice. Et surtout, le concept lié à la présence de Kermit est bien trop fumeux: la grenouille n'apparaît que le premier jour du mois dans le guichet de date afin de communiquer une sorte d'incitation à penser à soi, à penser à sourire, à penser à consacrer du temps à soi-même. Bon, pas sûr que Kermit, aussi mignonne et rigolote soit-elle parviendra à me motiver à mener cette introspection et ce d'autant plus que le guichet de date est bien petit: il vaut mieux être réveillé et avoir ses lunettes le premier jour du mois pour profiter de la présence de Kermit sur le cadran. De plus la couleur dominante du cadran, un vert clair intense est assez fatigant à la longue. La montre est supposée reposer, elle a plutôt tendance à lasser rapidement. Je pense qu'il y avait alors mieux à faire: soit carrément aller franco dans le délire (un Kermit bien visible, un travail sur la masse oscillante, que sais-je ?) soit utiliser une autre montre à tendance estivale, comme une Diver par exemple, pour rendre la présence de la grenouille moins incongrue.

Je n'ai donc pas été sous le charme de cette montre étrange qui, à force d'hésiter entre l'humour et le sérieux se retrouve dans une sorte d'entre-deux inconfortable. La ProPilot X est une superbe montre, si je dépense plus de 4.000 euros, il est hors de question de devoir supporter une couleur dominante qui n'est pas facile à porter. Et si j'ai envie de porter une montre drôle, d'autres pièces me semblent alors mieux indiquées: ce n'est pas la concurrence qui manque, surtout avec un prix de 4.400 euros. 

Mais finalement, est-ce que mon point de vue est si problématique que ça ? Non bien entendu car la mission assignée à la ProPilot X Kermit a d'ores et déjà été remplie. On parle d'Oris, on parle de son modèle phare, on parle de son calibre de manufacture et Oris est parvenue à insuffler une dose de "cool attitude" dans son image. L'objectif de la montre n'est pas de rajeunir sa clientèle (les Muppets parlent plus aux gens de ma génération qu'aux plus jeunes... c'est presque un truc de "vieux"!) mais bien de rendre la marque plus désirable dans sa globalité et plus visible auprès d'une clientèle ayant les moyens de mettre plus de 4.000 euros dans une montre. Je pense sincèrement que Kermit en quelques semaines a plus fait que l'Ours, pourtant à l'oeuvre depuis des lustres, pour soutenir l'ambition de la marque et sa rentabilité pour les prochaines années. En d'autres termes, ne nous laissons pas abuser par le sourire de la grenouille. Son rôle est au contraire très sérieux pour ne pas dire capital.