François-Paul Journe est vraiment une personnalité à part dans le monde de l'horlogerie. Il est peut-être le seul horloger de talent à avoir su bâtir une marque contemporaine qui porte le nom de son fondateur, qui est pérenne dans le segment de la haute horlogerie et dont l'aura la positionne aujourd'hui parmi les manufactures suisses les plus prestigieuses. Cette double compétence technique et stratégique est fondée sur une parfaite connaissance du marché et de ce que recherchent les collectionneurs que ce soit en termes de produits ou de comportement de la part d'une marque. A l'époque où de nombreuses marques investissent dans des outils de CRM qui mobilisent une énergie infinie de la part des forces de vente et dont on se demande parfois s'ils servent à quelque chose dans la remontée d'information, François-Paul Journe peut s'appuyer à la fois sur sa connaissance personnelle des collectionneurs et sur la communication efficace en provenance des boutiques.
Inscrire une marque dans la durée, c'est un travail de tous les instants et François-Paul Journe sait parfaitement qu'un contexte extrêmement favorable peut être fragile. La prise de participation de 20% de Chanel dans le capital de la société Montres Journe SA en 2018 s'inscrivait dans cette démarche. Tout en permettant à la manufacture de conserver son indépendance, le positionnement à ce niveau d'une société puissante dans le capital avait été perçue par les observateurs et surtout les clients comme une excellente nouvelle puisque renforçant sa stabilité financière et lui donnant les moyens de poursuivre son expansion. Il a également conscience que l'augmentation significative de la demande a été tirée par les résultats spectaculaires obtenus lors de ventes aux enchères qui se sont déroulées ces dernières années. C'est un véritable cercle vertueux dont on ne sait plus finalement comment il a commencé: l'augmentation de la demande en montres neuves entraîne la hausse des prix lors des ventes aux enchères qui elle-même entretient l'augmentation de la demande en montres neuves.
L'éditorial du dernier numéro du F.P.Journal délivre un message très clair:
François-Paul Journe revient sur ce phénomène dans son éditorial du numéro 7 du F.P.Journal et le moins que l'on puisse dire, c'est que le message adressé aux clients est très clair. Seul François-Paul Journe est capable d'employer les propos suivants qui sont extraits de cet éditorial:
"Nous avons pris le parti d'essayer de mieux contrôler la distribution en diminuant drastiquement le nombre de détaillants indépendants pour privilégier nos Boutiques, dont la prochaine sera située à Londres. Malgré cela, il arrive encore à des clients collectionneurs de vendre leurs montres en cachette. Nous arrivons à les démasquer tôt ou tard. La peine infligée n'est pas si grave, cette personne se retrouve à la fin de la file d'attente avec l'impossibilité d'acheter une montre neuve pendant quelques années.
Un conseil: si vous voulez vous défaire d'une de nos montres, passez par nous directement si vous voulez rester dans la famille."
Le message est direct, limpide. Il sonne plus comme un avertissement que comme une simple suggestion amicale. François-Paul Journe sait qu'il peut employer ce ton car il connaît sa clientèle et sa clientèle le connait. Personne n'est surpris ni par le contenu, ni par la forme car au final derrière cette volonté de lutte déterminée contre la spéculation, se trouve la quasi obsession de François-Paul Journe de maintenir des bases saines et solides pour son entreprise ainsi que de dynamiser le développement de l'activité F.P. Journe Patrimoine.
Le même éditorial contient d'ailleurs l'information sur l'arrêt des séries limitées ce qui est un événement pour une marque ayant une telle envergure dans le segment de la haute horlogerie:
"Les petites éditions limitées sont principalement touchées par la spéculation, c'est pour cela qu'après 2024, je ne ferai plus de séries limitées".
A titre personnel, j'ai beaucoup aimé cet éditorial car j'ai senti qu'il a été rédigé sans tourner autour du pot ce qui est rare dans le milieu de l'horlogerie et parce qu'il démontre une fois de plus la vision stratégique de François-Paul Journe. Plutôt que de se laisser aveuglé par tous les signaux favorables actuels, il pense déjà aux prochaines étapes en privilégiant sa clientèle fidèle tout en renforçant sa propre activité de vente de montres qui ne sont plus en production. Une façon efficace de rendre la performance financière de l'entreprise moins sensible aux résultats des ventes aux enchères.