Retour sur la Série n°2 de Florent Lecomte (Lecomte Régulateur)

La grande force de l'horlogerie indépendante est d'être en mesure de proposer des montres au charme incomparable et une véritable exclusivité. J'avais eu l'occasion de découvrir le travail de Florent Lecomte, professeur au Lycée Edgar Faure de Morteau à travers les photos de sa première montre fabriquée en plusieurs exemplaires, la Série n° 1. J'avais été séduit par la proposition, par la qualité du travail mise en valeur grâce aux finitions et par une esthétique intemporelle non dénuée d'originalité. Il émanait de cette première pièce une atmosphère technique, soulignée par l'organisation du cadran et l'ouverture sur le barillet. Elle s'inscrivait dans une démarche respectant les principes des décorations de l'horlogerie traditionnelle comme le prouvait le soin apporté aux détails des finitions tels que le cadran grainé ou l'exécution du point du barillet, visible côté cadran.


Malheureusement, j'avais raté le coche et toutes les pièces avaient été très rapidement vendues. Cependant, j'avais bien conservé en tête le projet d'acquérir une montre de Florent Lecomte et l'occasion arriva lors de la présentation de la Série n°2.

La Série n°2 s'inscrit dans la même démarche que la première montre, à savoir de proposer une pièce à remontage manuel, à l'exécution irréprochable et qui donne un coup de projecteur sur un élément mobile du mouvement. Cette fois-ci, pour mon plus grand plaisir, c'est le balancier qui joue le premier rôle. Je dois avouer que j'ai un faible pour les montres à balancier apparent et pour moi, pas besoin finalement d'une cage de tourbillon pour apprécier les oscillations du balancier. Le spectacle du comportement de l'organe réglant se suffit presque en lui-même. Encore faut-il que le balancier en question mérite une telle exposition et c'est le cas avec la Série n°2 de Florent Lecomte. D'ailleurs le nom officiel de la deuxième série, éditée en 12 exemplaires, est la montre Lecomte Régulateur compte tenu de cette mise en avant.


Elle s'opère à deux niveaux. Tout d'abord du fait de la forme du balancier à double serge. Cette forme originale renforce le rendu tri-dimensionnel du balancier  et le rend encore plus singulier et impactant. Son diamètre est déjà à la base généreux (14mm) et de façon incontestable, le balancier attire immédiatement le regard. Ensuite, grâce au pont de balancier vertical à la finition irréprochable polie bercée qui se prolonge sur le cadran. La fréquence du mouvement étant de 2,5hz, les oscillations sont magnifiques à observer et le tic-tac très agréable à écouter. Les montres à grand balancier et à basse fréquence ont un pouvoir de séduction particulier, cette Série n°2 de Florent Lecomte en est une nouvelle démonstration.

La présentation du côté face de la montre est originale avec une zone supérieure dédiée au cadran offrant un contour particulier, combinant des segments courbés avec un segment quasiment en angle droit. La zone inférieure est consacrée à l'organe réglant et à la trotteuse. Il se dégage de l'ensemble une sensation de volumes, de reliefs ce qui confère à la montre de l'originalité et de la modernité dans le contexte d'une approche traditionnelle.


Ce qui m'a beaucoup plu également, c'est la volonté de ne pas escamoter les difficultés. Il aurait été facile de dessiner le contour sans aspérité ni rupture afin de se faciliter la tâche. Florent Lecomte a écarté  cette solution et a préféré insérer un angle quasi-droit ce qui rend l'anglage plus difficile.

L'arrière de la montre est, sans conteste, du même niveau que le côté face: l'architecture du mouvement n'est certes pas surprenante mais le travail de finition est remarquable. Tout d'abord, les ponts sont spécifiques et manufacturés et ils offrent une découpe ambitieuse aux multiples angles rentrants. C'est très simple: on ne voit plus ce genre de découpe dans les montres d'entrée de gamme des grandes marques de haute horlogerie puisque le nombre d'angles rentrants a tendance à diminuer au fil du temps comme peau de chagrin. En tout cas, les ponts de la Série n°2 constituent un point de départ idéal au travail de finition. Les anglages et le rendu sablé sont magnifiques et j'ai apprécié aussi le soin apporté à l'exécution du rochet. Je pourrais reprocher aux ponts de ne pas être assez ouverts, regrettant de ne pas avoir une meilleure vue sur les éléments mobiles. Mais l'avantage des surfaces des ponts est qu'elles peuvent être gravées. Florent Lecomte proposait ainsi une option de personnalisation afin de graver à la main ses initiales sur le pont de droite et une inscription "Finitions main - Morteau" sur le pont de gauche (celui du rochet).


Cette remarque permet d'aborder une des raisons qui rendent l'expérience d'acquisition d'une montre d'un horloger indépendant si unique. J'étais informé de façon très régulière des étapes de fabrication de la montre et de plus, Florent Lecomte a proposé aux acquéreurs des pièces de la Série une liste d'options  ainsi que des améliorations par rapport au prototype initial. Par exemple, la taille de la gravure du nom côté cadran a été réduite. De plus, le porte piton (qui est très visible compte tenu de la position de l'organe réglant côté cadran) a été anglé et décoré afin de le rendre plus cohérent avec l'atmosphère raffinée de l'ensemble. Quel plaisir de constater qu'au fil du déroulement du projet, des améliorations étaient apportées et que chaque propriétaire se voyait proposer des finitions particulières afin de rendre leur montre non seulement exclusive mais unique. Des propositions semblaient au départ presque anodines mais l'impact visuel étant considérable, il était presque impossible de les refuser. Chaque option avait du sens et élevait encore plus le niveau d'excellence.

Le moment tant attendu est arrivé un an et deux mois après la commande (j'ai eu la chance d'être parmi les premiers livrés) et quand je pris possession de la montre, je fus immédiatement convaincu de la justesse de mon choix. Je pourrais de nouveau évoquer les finitions et le soin apporté aux détails mais le plus important est ailleurs. Le travail qui est effectué n'est pas démonstratif. Il se met au service de la mise en valeur de l'organe réglant et ce qui compte le plus pour moi est le comportement hypnotisant de l'imposant balancier. La montre en elle-même est grande (le diamètre du boîtier en acier est de 42mm) mais l'ensemble demeure harmonieux. Le mouvement occupe généreusement le boîtier et le diamètre propre du balancier requiert un cadre d'expression approprié.


Et puis, comment ne pas évoquer la fierté en tant que français d'acquérir une montre d'horlogerie indépendante créée par un compatriote ? L'horlogerie française est en plein renouveau et j'avais envie d'accompagner ce mouvement grâce à l'acquisition d'une montre issue de cette mouvance. J'ai conscience que la montre ne peut pas être considérée comme purement française. Par exemple, l'équipe de Manufactor de Philippe Narbel, située à l'Abbaye en Suisse a effectué le travail exceptionnel de décoration. De plus, le mouvement de base est un ETA 6498 qui est par la suite totalement retravaillé et seuls quelques composants mobiles tels que le barillet, le rouage, l'ancre sont conservés. Mais voilà, la Série n° 2 est avant tout l'aboutissement d'un projet personnel et d'un engagement total. Florent Lecomte a fait preuve d'une détermination sans faille en produisant lui-même le balancier et le spiral. Le cadran tridimensionnel est usiné dans la masse et je pourrais poursuivre la liste des difficultés et contraintes. Car s'il fallait définir l'horlogerie indépendante en quelques mots, ce serait, d'après moi, l'absence de compromis. Cette montre me séduit, me charme car elle est le résultat d'une approche qui pourrait presque être considérée comme naïve de nos jours. Qu'importe les moyens mis en oeuvre, le plus important, c'est le résultat. Et franchement, cela fait du bien d'oublier pendant quelques instants les calculs de rentabilité économique et de marge que les clients finissent toujours par ressentir.

Enfin, la proposition de Florent Lecomte, malgré cette quête permanente d'excellence, était très sagement tarifée lors de la précommande. Le prix final était autour de 10/11.000 euros TTC en fonction des finitions et des options choisies ce qui était raisonnable compte tenu du travail effectué. Dans ce contexte, il était difficile de ne pas succomber et j'ai pris ma décision en quelques secondes (il ne faut jamais tergiverser dans ce genre de situation). J'ai tout à fait conscience qu'il s'agissait d'une opportunité à ne pas rater car les futures pièces de Florent Lecomte se situeront dans un segment de prix supérieur car abordant des complications. 

Quoi qu'il en soit, l'observation (ou plutôt: la contemplation) du balancier me fait oublier toutes ces considérations matérielles. La magie opère instantanément et je sais qu'elle agira encore longtemps. Le sens du message que je souhaite porter à travers cet article est donc le suivant. Si un jour vous avez l'opportunité d'acquérir une montre sincère et engagée d'un horloger indépendant, n'hésitez pas. N'hésitez pas car vous ne regretterez pas votre choix en prenant conscience de ce qu'est une véritable exclusivité. Et n'hésitez pas car le choix doit être vite fait, les pièces les plus séduisantes étant toutes vendues très vite, parfois en quelques heures. Ce serait dommage de le regretter par la suite.