De retour de l'édition 2022 de Watches & Wonders

Ce fut presque un soulagement. Pour la première fois depuis 3 ans, le principal salon horloger a pu se tenir en Europe et de l'avis de tous les participants, le sentiment majeur qui prédominait était le simple plaisir des retrouvailles. En ce qui me concerne, le retour de Watches & Wonders fut difficile avec un test positif et une période d'isolement. J'imagine que je n'étais pas le seul dans ce cas car l'ambiance du salon ressemblait furieusement au monde d'avant, sans masque ni gestes barrières. Je portais le masque mais comme seulement 5% des participants faisaient de même, la probabilité d'échapper au virus devenait très mince. On peut tout de même se demander pourquoi un tel regroupement de personnes n'était pas accompagné de contrôles un peu plus poussés de type prise de la température via un scanner à l'entrée. Mais imaginons la situation d'une personne clé se retrouvant avec une température élevée et à qui on empêcherait l'entrée dans le salon... Alors, business is business, de toutes les façons, il fallait aller de l'avant donc le salon s'est déroulé dans un contexte sanitaire que l'on qualifiera de décontracté.

Une allée qui ressemble beaucoup à la Halle 1.0 de Baselworld:

Quoi qu'il en soit, non seulement je ne regrette nullement ma participation mais de plus, l'édition Watches & Wonders 2022 a souligné le rôle crucial des rencontres physiques. L'industrie se retrouve, se parle, échange et subitement on se rappelle que le monde de l'horlogerie existe avant tout grâce aux femmes et aux hommes qui y travaillent. Et puis, il est temps d'enfoncer une porte ouverte: on parle de montres et donc on est dans une culture de produit. Comment peut-on apprécier la qualité d'une montre sans la voir, la tenir, la porter ? Comment même peut-on imaginer un seul micro-instant qu'une conférence zoom puisse remplacer la découverte matérielle d'une nouvelle montre ? La conférence zoom, c'était sûrement un moyen efficace de poursuivre l'activité  en période de confinement ou de restrictions mais tout le monde savait pertinemment que cela ne pouvait pas devenir la norme.

Le carré des horlogers:

 

J'ai pris beaucoup de plaisir au cours de cette édition de Watches & Wonders. La joie de retrouver les personnes que l'on apprécie, que ce soient les acteurs de l'industrie, les médias, les collectionneurs que l'on avait pas vus depuis de nombreux mois. L'organisation parfaite du salon qui privilégie le confort des visiteurs. Le travail efficace des RP des marques qui se sont démultipliés pour que les rendez-vous se tiennent sans accroc. Bref, tout s'est déroulé idéalement et j'ai pu profiter de chaque instant passé à Palexpo. Maintenant, au-delà de la satisfaction personnelle bien réelle, je souhaitais émettre quelques commentaires sur le salon.

Tout d'abord, j'ai eu la sensation que Watches & Wonders n'était pas le rassemblement du SIHH avec les marques phare de Baselworld. Ce n'était pas un regroupement mais  plutôt une cohabitation. L'organisation physique du salon concourrait à cette sensation. En tournant à droite après l'entrée principale du salon, nous partions vers la zone ex-SIHH et en tournant à gauche, vers la zone ex-Baselworld. Finalement, le Carré des Horlogers servait presque de zone tampon comme une sorte de trait d'union entre deux mondes qui se parlaient peu. Il y a derrière tout ça une réflexion sur la façon avec laquelle l'industrie défend ses intérêts et se présente vers l'extérieur. L'horlogerie est un secteur économique dont l'importance, liée au prestige et à la puissance financière d'un de ses acteurs, est finalement décorrélée du chiffre d'affaires réel qu'elle génère. Elle a donc besoin de ces événements qui rassemblent pour pouvoir peser et parler de façon conjointe et cohérente surtout face à des mastodontes puissants de type Apple qui proposent des alternatives à l'offre traditionnelle. Or, le front uni ne se matérialisait pas au cours de Watches & Wonders et cela se ressentait y compris dans les couloirs.

Le salon offre une qualité de services irréprochable:


Ensuite, la fréquentation, telle que perçue à travers l'observation de l'occupation des couloirs et stands, était en baisse par rapport aux belles années du SIHH. C'était la conjonction de deux phénomènes: l'absence de très nombreux pays asiatiques (dont évidemment la Chine) ainsi que de la Russie et un contrôle strict des invitations. L'avantage pour les participants était un confort accru, une meilleure flexibilité en matière de planning et la possibilité de se restaurer plus facilement sans devoir attendre de longues minutes qu'une place se libère. 

Quant aux stands, j'ai retrouvé un environnement connu notamment au sein des marques en provenance de Baselworld qui pour des raisons évidentes de maîtrise des coûts et d'optimisation des investissements consentis il y a quelques années ont repris grosso modo les mêmes configurations qu'à Bâle. J'avais d'ailleurs l'impression d'être dans la halle 1.0 de Baselworld avec le stand de Rolex qui faisait face à celui de Patek Philippe. Côté Richemont, le plus beau stand était selon moi celui de Van Cleef&Arpels, décoré avec une tapisserie d'Aubusson et servant d'écrins à de très beaux automates. Le plus audacieux était celui de Panerai tandis qu'IWC et Lange&Söhne jouaient la carte de la sobriété. Mais au final, le plus séduisant était sûrement celui d'Oris qui, grâce aux machines animées, a su mettre en place une atmosphère onirique, presque enfantine qui était décontractée et bienvenue.


Une belle organisation, la joie des retrouvailles, des gens charmants, le plaisir de pouvoir toucher et apprécier les nouveautés, une atmosphère distinguée, bref tout semblait parfait. Il manquait cependant un élément essentiel pour l'avenir de l'industrie: l'inclusivité.

En fait, l'édition 2022 de Watches & Wonders était à l'image du comportement de l'industrie: exclusive. Alors, évidemment, quant on fait partie des heureux élus, tout se passe bien, de la même façon qu'un client qui a déjà de très belles pièces a un accès prioritaire aux nouveautés les plus désirables. C'est comme cela que fonctionne l'industrie qui s'appuie dorénavant de plus en plus sur un petit cercle de détaillants, de clients, de collectionneurs qui assurent le succès. Comment lui en vouloir ? Plus l'horlogerie donne le sentiment d'être exclusive, plus elle semble connaître le succès. Les résultats sont là, les carnets de commande sont pleins et tout se passe comme dans un rêve, avec une dynamique soutenue par une reprise forte.

Cependant, le danger guette. Plus on réduit sa base de clientèle, plus le risque de volatilité se développe. Des paramètres macroéconomiques pourraient ainsi mettre à mal les performances du secteur: par exemple, une augmentation des taux d'intérêt ou des décisions prises par le gouvernement chinois.  Et le principal enjeu de l'industrie pour les prochaines décennies demeure: celui du renouvellement de sa clientèle qui, par définition, vieillit et se concentre du point de vue géographique. Or une stratégie fondée sur l'exclusivité ne favorise pas ce renouvellement car réduisant l'arrivée de nouveaux clients.

En fin de journée:


L'absence d'inclusivité s'est manifestée à 3 niveaux dans le salon:

  • le grand public n'avait grosso modo accès au salon que par le canal digital et même la population genevoise semblait finalement très éloignée des préoccupations de Watches & Wonders. Il y avait peu d'affichages en ville et seuls les bus qui circulaient rappelaient de façon concrète la tenue de la manifestation. Il est pourtant important pour l'industrie, pour son prestige, son image, pour qu'elle conserve son pouvoir d'attraction d'être en mesure d'embarquer le grand public. On finit toujours par se désintéresser des citadelles inexpugnables. N'oublions jamais que dans le grand public, on trouve les talents, les salariés et les clients de demain. Une industrie sans respiration finit par mourir.
  • profitant de la tenue de Watches & Wonders et de la présence de détaillants, médias et collectionneurs du monde entier, de nombreuses manifestations parallèles ou plutôt périphériques se sont tenues: certains marques recevaient dans leurs locaux, d'autres autour de micro-salons (Time to Watches, Barton 7, Beau-Rivage sans oublier l'AHCI à l'Ice-Bergues). Au final plus d'une centaine de marques se retrouvaient réparties façon puzzle dans Genève. Cela devenait un vrai casse-tête pour ceux qui voulaient découvrir de façon exhaustive les nouveautés (je pense notamment aux collectionneurs) et ce d'autant plus que les horaires proposés n'étaient pas choisis avec pertinence (AHCI à part qui intelligemment privilégiait les fins de journée). Bref, il deviendra important à l'avenir que les marques puissent être regroupées dans un lieu unique, autour de clusters (sans mauvais jeu de mot!) spécifiques en fonction des segments auxquelles elles s'adressent. Il sera bien entendu avisé de ne pas tout mélanger mais le fait de retrouver tous ces acteurs dans un espace commun sera crucial pour l'industrie afin qu'elle puisse démontrer sa capacité à se présenter de façon unie et à témoigner de sa richesse et de sa diversité. Autrement dit, les prochaines années devront apporter la démonstration que Watches & Wonders est capable d'accueillir tous ces acteurs afin d'être un salon représentatif de l'ensemble de l'industrie et pas uniquement d'un seul segment. Il en va de la crédibilité du secteur.
  • les salariés des marques de Watches & Wonders aiment beaucoup discuter avec les médias et les collectionneurs car ces échanges constituent pour eux une façon (la seule ?) d'appréhender ce qui se passe sur les autres stands. Car le constat est là: entre emploi du temps chargé et forte incitation à ne pas aller se promener dans les couloirs, les salariés restent scotchés dans leurs stands. Je trouve cela fort dommage car c'est un argument majeur de l'intérêt d'un salon qui tombe. Si en tant que créateur, technicien, commercial, je ne peux pas voir ce que propose la concurrence, comment puis-je exercer mon métier efficacement, comment puis-je penser à de nouvelles idées, comment puis-je me développer à titre personnel ? Il faut redonner de la liberté et du sens à tout cela. Un salon, c'est avant tout un lieu d'échange, c'est un endroit où la notion de secteur d'activité se matérialise. Si on enlève cette composante, on tue le concept et c'est négatif pour l'avenir même de l'industrie qui doit se nourrir de ces partages.
 
 
Quoi qu'il en soit, je garde un excellent souvenir de cette semaine genevoise. Nous la savions tous, un salon physique nous manquait beaucoup et l'édition 2022 de Watches & Wonders fut à cet égard inoubliable, symbolisant le retour du concret et du "physique"! Je n'ai pas évoqué le contenu du salon mais je commencerai à l'aborder à travers ma sélection de mes montres préférées. Je peux cependant préciser que le contenu fut d'un très bon niveau, à défaut d'être exceptionnel. Chaque marque a présenté des nouveautés solides et pertinentes du point de vue commercial. Les préoccupations des clients vers plus de confort, plus de dimension pratique sont prises en compte et j'ai trouvé le travail des marques intelligent et adapté aux attentes du marché. En mettant de côté ces réflexions sur le salon en lui-même, c'est au bout du compte l'analyse de son contenu qui est la plus importante car le but de la manoeuvre reste de vendre des montres aux clients finaux. J'ai tendance à penser que le contenu proposé lors de cette édition de Watches & Wonders les séduira, y compris au-delà des offres des incontournables acteurs du secteur.