Tout a été dit ou presque sur la sortie de la collection Bioceramic MoonSwatch issue de la collaboration entre Omega et Swatch... y compris sur les scènes incroyables qui se sont déroulées devant les boutiques Swatch du monde entier. On était à un tel niveau de folie, voire d'insécurité compte tenu du comportement de la foule qu'en plusieurs endroits la sage décision de fermer les boutiques fut prise. Je n'ai pas de commentaires précis à faire là-dessus. On touche ici à la nature humaine dans tout ce qu'il y a de plus basique puisque l'appât du gain fut amplifié par la mobilisation des spécialistes des files d'attente qui sévissent depuis belle lurette dans le monde des sneakers. Même cause, même personnes, mêmes effets: bousculade, énervement puis fermeture. Dans ce contexte, Swatch a bien réagi en modifiant très vite les conditions d'attribution des montres (deux puis une par personne) et en communiquant de façon très régulière sur la mise à disposition très prochaine de la collection sur la boutique en ligne, tout en rappelant son caractère non limité. Mais on ne saurait faire boire un âne qui n'a pas soif et seule la fermeture des boutiques pouvait permettre de calmer les esprits.
Quoi qu'il en soit, je pense que cette collaboration et la collection qui en résulte sont une bonne nouvelle pour Swatch Group. Elle est pour moi une sorte de renvoi d'ascenseur, un pied de nez à l'histoire. Swatch, la petite montre, a sauvé l'industrie horlogère suisse ce qui a permis de redynamiser et de refaire vivre les marques haut de gamme telles qu'Omega. Et maintenant, d'une certaine façon, Omega, en mettant à disposition son icone, son image, son crédit, apporte son soutien à Swatch. J'ai la conviction que Swatch avait besoin de retrouver une nouvelle impulsion. La marque a certes présenté ces dernières années quelques modèles attrayants, des collabs intéressantes mais au bout du compte rien de vraiment impactant ou de la dimension de ce que représente cette marque. La collection Bioceramic MoonSwatch remet véritablement Swatch sous les projecteurs et la replace au centre du jeu dans le segment en-dessous de 300 euros qui est stratégique pour Swatch Group. N'oublions pas que ce segment est extrêmement concurrentiel et attaqué par des acteurs qui ne viennent pas forcément du monde de l'horlogerie. Swatch retrouve ainsi un fer de lance, se redonne une dimension créative et surtout crée le buzz. De nos jours, pas de buzz, pas de business. Or je n'avais pas le souvenir du dernier véritable buzz de Swatch avant la sortie de la collection Bioceramic MoonSwatch.
Je n'ai pas eu la chance de voir en vrai ces montres mais je les ai vues à travers la vitrine d'une boutique Omega. Elles me semblent en tout cas correctement faites pour des montres de 250 euros, les couleurs ont été choisies avec justesse et les thèmes autour des planètes et autres astres du Système Solaire sont bien pensés. Donc la collection ne me semble pas critiquable du point de vue qualitatif tout en permettant à Swatch de mieux marger avec ce produit qu'avec un autre modèle utilisant le même mouvement. Mais je me demande s'ils ne sont pas en train de regretter de ne pas avoir fixé le prix à un niveau plus élevé compte tenu de l'engouement. Est-ce que ce dernier aurait diminué si la montre avait été vendue 300 euros ? Je ne pense pas.
L'implication de Nick Hayek (directeur général du Groupe) dans le projet (nous le voyons par exemple très présent sur la vidéo faite par Wei Koh lors de sa visite chez Omega) démontre l'importance stratégique de la collection pour Swatch Group. Son implication est évidemment logique car mobilisant deux marques phare du groupe. Mais elle était requise pour convaincre toutes les parties de la pertinence du projet et notamment chez Omega. Car, si la collection est, selon moi, bénéfique pour Swatch Group dans son ensemble, bénéfique pour Swatch évidemment (quel coup de projecteur médiatique à quelques jours de Watches & Wonders!), la question peut cependant se poser pour Omega. On pourrait même dire que cette collaboration est contraire aux principes de base du marketing pour la marque la plus huppée. Peut-on ainsi jouer avec son icone ? N'est-ce pas risqué de la rendre accessible au plus grand nombre ? Comment vont réagir les collectionneurs de la marque ? Beaucoup de questions et il est aujourd'hui bien trop tôt pour y répondre.
Cependant, si Nick Hayek s'est lancé dans cette aventure, c'est qu'il a senti que le timing était le bon: Omega est aujourd'hui dans une très bonne dynamique et pourrait être considérée comme protégée contre un impact en terme d'image. Et surtout le cas Swatch nécessitait peut être une action qui ne pouvait pas attendre.
Le succès est là, il va se confirmer les prochaines semaines. Mais il serait dangereux de considérer Omega totalement à l'abri de certains effets indésirables. Si l'apport de la caution d'Omega était crucial lors du lancement, il me semblerait pertinent que la communication sur la collection via le canal d'Omega diminue au fil du temps. Est-ce par exemple pertinent de laisser la valise dans la vitrine d'une boutique Omega ? Telle la relation entre une planète et le soleil, il va bien falloir s'éloigner de nouveau après s'être rapprochés. Et je dois avouer que j'ai été très surpris de voir un ou deux modèles reprendre les codes couleurs de la Speedmaster Moonwatch. N'est-ce pas dangereux ? N'aurait-il pas été judicieux de laisser Swatch oeuvrer autour de codes couleurs vraiment distinctifs ?
Une chose est sûre: malgré ces questions légitimes, Swatch Group, puisque c'est de ça dont on parle, a marqué un grand coup que ce soit en termes médiatique et business. Il rappelle par la même occasion qu'il est un acteur crédible dans l'entrée de gamme ce que ne sont pas les autres grands groupes horlogers suisses. La réussite de l'opération sur le court terme est certaine. Sur le moyen terme, la vigilance est de mise même si les bénéfices vont sembler l'emporter sur les risques. Et sur le long terme, l'argument qui consiste à conférer à la collection un rôle initiatique à l'attention d'une jeune et nouvelle clientèle peut s'entendre. Le renouvellement de la clientèle est en effet un défi crucial pour l'industrie horlogère suisse dans son ensemble. Nayla Hayek, présidente de Swatch Group, en conclusion de son message dans le rapport de gestion 2021 rappelait: "Cette année 2022 va également se révéler très faste en nouveaux produits. Les marques du groupe, et ce dans tous les segments de prix, vont continuer de surprendre et d'explorer de nouveaux territoires. Raison pour laquelle Swatch Group prévoit un taux de croissance des ventes à deux chiffres en monnaies locales. Nous avons en tous cas toutes les cartes en mains. Et les meilleures, peu importe l'atout qui sera choisi." . Nous y voilà: Swatch Group a choisi de jouer deux cartes maîtresses en même temps. L'enjeu sera de parvenir à rafler la mise sans altérer une de ces cartes. Sinon, Swatch Group devra se poser la question si le jeu en valait la chandelle.