Claude Meylan: Tortue Lady

C'est au sein du pop-up de Baselworld que fut dévoilée une des montres les plus intéressantes de la dernière édition des Geneva Watch Days. Il s'agit de la Tortue Lady de Claude Meylan et ce pour une très bonne raison: c'est une montre ambitieuse qui parvient à combiner une approche esthétique avec un contenu horloger solide. Surtout, ce qui m'a le plus plu fut de constater qu'une montre dédiée aux femmes pouvait être le vecteur de cette ambition. Tel est le paradoxe de l'horlogerie. Tout le monde répète que le plus grand potentiel de développement se trouve au sein de la clientèle féminine, tout le monde constate qu'une femme peut aussi bien porter des petites montres comme des très grandes, tout le monde constate qu'une femme est ouverte à une plus grande diversité de style qu'un homme et pourtant... à de rares exceptions près, la démarche qui consiste à créer une montre féminine est plutôt paresseuse. La recette employée est généralement la réduction du diamètre, l'adjonction de quelques pierres, l'utilisation de couleurs pastels et vogue la galère. D'ailleurs, le fait que de très nombreuses femmes aiment porter des montres soi-disant masculines en dit long. La majorité de ces montres sont en fait mixtes et s'adaptent aussi bien à un poignet féminin que masculin. Mais il y a aussi le constat fait par les femmes que l'offre qui leur est spécifique peut être décevante. Or j'ai la conviction qu'il y a de la place pour une véritable offre féminine originale et mécanique. Elle existe dans des segments de prix supérieurs. Je pense notamment à Van Cleef & Arpels ou à Richard Mille. Mais je trouve qu'elle se fait plus rare dans les segments plus raisonnables.


Les deux postulats de départ de la Tortue Lady de Claude Meylan expliquent son succès. Tout d'abord elle est le fruit d'une démarche commune menée par Pia de Chefdebien et Philippe Belais. Le fait qu'une femme soit impliquée dans la création d'une montre féminine semble aller de soi et pourtant je n'ai pas l'impression que cela soit si évident que ça dans cette industrie. En tout cas, Pia a pu apporter ses idées et sa sensibilité et cela se ressent. Ensuite, la montre a été construite autour du mouvement ce qui renforce sa légitimité horlogère.

La Tortue Lady trouve son nom dans la forme du boîtier en acier. Il s'agit bien entendu d'une forme clivante mais elle fait partie du concept et c'est une sorte de signature pour Claude Meylan. Ses proportions sont harmonieuses et bien pensées. Le diamètre horizontal est de 31mm mais s'agissant d'une montre de forme, la taille perçue est supérieure. Ce boîtier héberge un calibre ETA 2671 qui a été retravaillé. Je ne sais pas si le terme de "retravaillé" est le bon. Il me semblerait plus juste d'évoquer une restructuration. En effet, afin de renforcer la dimension horlogère, Pia et Philippe ont positionné la masse oscillante côté cadran. N'oublions pas que le calibre ETA 2671 possède à la base un rotor central ce qui démontre que le travail de transformation est loin d'être anodin car la masse s'apparente à un micro-rotor.  Cette modification est l'idée maîtresse de la Tortue Lady et sa clé de voûte. Tout le devant de la montre est ainsi structuré en trois parties. Au sommet, le cadran en partie encerclé par un pont dont la surface permet une expression artistique à travers sa décoration. Dans la partie intermédiaire, du côté gauche, se trouve l'organe réglant du mouvement. Enfin, la masse oscillante est logée à la base. 


Lorsqu'on observe la Tortue Lady une fois mise au poignet, on est alors surpris par les trois animations qui cohabitent: la petite trotteuse qui effectue son parcours de façon régulière avec ses 8 pas à la seconde (la fréquence du mouvement est de 4hz pour une réserve de marche de 38 heures), le balancier qui oscille et le micro-rotor dont la rotation dépend des mouvements du poignet. Le devant de la montre est non seulement animé mais il est aussi intéressant du point de vue esthétique car asymétrique et dynamique, esquissant une sorte de Yin Yang. Toute cette organisation s'adapte idéalement au contexte du boîtier Tortue et le constat de la cohérence entre le calibre et ce boîtier procure beaucoup de plaisir. J'apprécie le fait que la dimension mécanique et technique soit mise en avant tout en se mettant au service de la démarche esthétique.

Les finitions sont en tout cas soignées tant du côté face que du côté pile. Côté cadran, les contrastes entre les zones décorées et les éléments ajourés apportent de la légèreté, du raffinement et aussi du caractère et de la présence. A l'arrière de la montre, Pia et Philippe ont privilégié l'ouverture des ponts afin que la lumière puisse circuler et compenser le fait que les parties mobiles d'envergure (balancier et masse oscillante) soient situées sur le devant. L'ensemble est propre, délicat et très convaincant du point de vue du design et de l'exécution.

L'intégration du mouvement dans le boîtier Tortue est idéale:


Plusieurs modèles sont disponibles. J'ai pu découvrir au cours des Geneva Watch Days des versions dont le pont principal et la masse oscillante étaient décorés avec des méthodes classiques horlogères: guillochage, clous de Paris, nacre. Depuis, Claude Meylan a proposé d'autres versions avec une ambition artistique plus prononcée (water printing voire même une gravure réalisée par Philippe Narbel pour le modèle "La Pointe de sable"). Ces différents exemples soulignent le potentiel artistique de la Tortue Lady tout comme la réussite de l'intégration du mouvement dans le design. Encore une fois, la technique se met au service de l'esthétique et c'est la raison pour laquelle la magie opère.


Le prix de vente des modèles de base que je qualifierais "à décoration horlogère" est de CHF 3.850. Les modèles décorés avec du water printing sont commercialisés à un prix de CHF 4.850. J'imagine en outre que Pia et Philippe sont à l'écoute des demandes particulières de personnalisation puisque le modèle semble s'y prêter. 

La Tortue Lady est donc pour moi une très jolie réalisation de Claude Meylan. Portée par l'ambition commune de Pia de Chefdebien et de Philippe Belais, elle apporte la démonstration que lorsque la volonté est là et qu'on évite les solutions de facilité, il est tout à fait possible de créer une montre résolument féminine au contenu horloger pertinent et à l'esthétique convaincante. Et comme les prix restent raisonnables pour une montre de petite série, la Tortue Lady a décidemment tout pour séduire une clientèle à la recherche d'une montre qui sort des sentiers battus.


Les plus:

+ une montre féminine qui combine contenu horloger et esthétique ambitieuse

+ la qualité des finitions

+ le travail sur le mouvement qui le rend cohérent dans un boîtier Tortue

+ le potentiel décoratif et artistique

Les moins:

- le boîtier est clivant mais il contribue au caractère de la montre

- une réserve de marche un peu courte