Bohen: Mille Mer

Je dois avouer que je ne suis pas le mieux placé pour parler des montres de plongée. Je ne suis pas plongeur et je n'ai pas la possibilité de les tester dans les conditions pour lesquelles elles sont faites. Mais finalement, est-ce si grave que ça? La très grande majorité des montres de plongée ne dépasse pas le cadre de la simple baignade et elles sont devenues au fil du temps des pièces plus appréciées pour leur polyvalence que pour leur respect des normes précises de leur catégorie. Il est clair que les marques ont bien senti ce phénomène, amplifié par l'évolution de notre style de vie et de notre façon de travailler. La montre de plongée a eu tendance à "s'urbaniser" et à adopter des styles plus consensuels afin de répondre à l'attente d'une clientèle désireuse de la porter en toute circonstance y compris dans un cadre formel. Et pourtant, l'offre en matière de montres de plongée plus radicales, dédiées aux grandes profondeurs subsiste. Rolex, Seiko font par exemple partie des marques incontournables en la matière. L'explication est simple: ces montres sont une démonstration de savoir-faire, elles permettent d'innover et elles légitiment les performances des autres pièces de la collection. Rolex, Seiko et quelques autres sont des mastodontes de l'industrie et leur capacité à développer des montres avec des performances élevées en matière d'étanchéité ne surprend guère. En revanche, la probabilité d'être séduit et convaincu par une montre de plongée étanche à 1000 mètres émanant d'une toute nouvelle marque semble bien plus réduite. Et pourtant, c'est ce qui se passe avec le modèle Mille Mer de Bohen.
 

Les montres étanches à 1000 mètres ne sont évidemment pas rares. Certaines sont même disponibles à des prix très raisonnables. Mais la plupart du temps, le renforcement de l'étanchéité se fait au détriment du style. C'est un des points sur lesquels le fondateur de Bohen, Blaise-Dominique Giuliani, a particulièrement été vigilant: la montre Mille Mer devait être résistante et pratique tout en offrant un design sophistiqué. L'autre ligne directrice que Blaise-Dominique Giuliani a suivi fut de refuser tout compromis en matière de qualité et cela devait se traduire dans la sélection rigoureuse des sous-traitants, des solutions techniques et des matériaux.

C'est ainsi que la montre Mille Mer est née. Elle existe aujourd'hui en l'état de plusieurs prototypes et j'ai eu l'occasion de découvrir l'un d'entre eux il y a quelques jours. Mes sentiments à sa découverte furent multiples: la surprise d'abord compte tenu de ses dimensions, la satisfaction ensuite du fait de la qualité de l'exécution et enfin le plaisir grâce à son confort au porter.

Blaise-Dominique Giuliani a un passé de designer dans l'industrie horlogère et cela se ressent en observant et manipulant pour la première fois la Mille Mer. D'abord, je fus surpris par son gabarit. Clairement, la montre est volumineuse. C'est dû à son diamètre (43mm au niveau de la lunette) et à son épaisseur (17,5mm). Cependant, elle dégage plus un sentiment de force et de puissance maîtrisée que de lourdeur esthétique. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Tout d'abord les dimensions totales qui tiennent compte de tous les éléments (corne à corne, couronne etc...) demeurent dans des proportions raisonnables, en tout cas guère excessives comparées au diamètre de base de 43mm. La couronne est positionnée à 12 heures ce qui donne à la montre un style symétrique et évite l'utilisation d'un protège-couronne latéral qui aurait alourdi le boîtier. Ensuite les cornes sont particulièrement bien intégrées. Leur forme débute même de façon avancée le long des carrures latérales. Malgré leur taille (elles sont imposantes visuellement et contribuent fortement à l'identité de la montre), elles dépassent d'assez peu le boîtier. Le bracelet est relié au boîtier grâce à un système de changement rapide basé sur un lien universel intégré, ce dernier étant fixé de façon très proche de la carrure (ce lien pourra par la suite accueillir un bracelet caoutchouc). La flexibilité du bracelet et la position du lien rendent la montre portable y compris sur un poignet de taille moyenne.
 

Le design sophistiqué du boîtier supprime tout risque d'uniformité et de monotonie. C'est un choix bienvenu car avec une épaisseur de 17,5mm, le risque du syndrome de la boîte de thon (les boîtiers au rendu cylindrique portent ce surnom) n'était pas à exclure. Le boîtier offre de multiples surfaces anguleuses (cornes, carrures latérales) qui apportent un contraste par rapport à la lunette  et qui renforcent l'esthétique puissante de l'ensemble. A noter que la valve à hélium est logée dans la corne supérieure droite.

A titre personnel, j'aime beaucoup la couronne à 12 heures. Certes, ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile à manipuler même si le lien universel intégré est bien pensé. Mais je trouve qu'elle donne de l'originalité et de la fluidité au dessin.
 

L'autre effet qui permet de contrôler la taille perçue est l'ouverture du cadran mesurée. C'est un effet classique des plongeuses: l'épaisseur de la lunette réduit l'ouverture. De plus, ce cadran est loin d'être monotone. Tout d'abord, il offre un spectaculaire effet de profondeur. L'épaisseur de la montre a au moins une vertu, celle d'offrir cette possibilité! Le rehaut est très incliné et semble littéralement plonger sur le cadran. Puis les index et les aiguilles ont une taille respectable afin d'obtenir la meilleure lisibilité. J'apprécie d'ailleurs le design de ces aiguilles, originales et contemporaines. Enfin, la date occupe une place importante. Comme d'habitude, je me serais bien passé de ce guichet de date, surtout dans le cadre d'une montre de plongée. Il a malgré tout un intérêt ici, celui de proposer une loupe de quantième interne unique au monde. En terme d'efficacité, je n'ai pas été convaincu par le résultat qui me fait un peu penser à celui de la Royal Oak Offshore. En revanche, j'ai trouvé le rendu esthétiquement convaincant, se mariant harmonieusement avec les autres éléments.
 

Grâce au travail sur le boîtier et à la présentation du cadran, la taille perçue de la montre reste par conséquent dans des limites très acceptables. De plus, le confort au porter est réel grâce à l'efficacité du bracelet et à son excellent fermoir. La montre est lourde (ce qui pour moi n'est pas un problème bien au contraire) mais le poids est bien réparti entre les éléments (la montre ne bascule pas au poignet) et a été optimisé grâce à l'utilisation du titane pour le fond de boîte. Peut-être d'ailleurs qu'il aurait été judicieux de réaliser l'intégralité de la montre en titane mais j'imagine aisément que les coûts de production n'auraient pas été les mêmes. Le fait que le boîtier soit majoritairement en acier ne me pose pas de problème. Le poids est cohérent avec le design.
 

La manipulation de la montre permet d'apprécier la qualité du travail effectué sur la Mille Mer. Blaise-Dominique Giuliani insiste sur la sélection de ses fournisseurs et cela se ressent. La dureté de la lunette tournante en céramique est bien dosée, la boucle à crémaillère est efficace et l'ensemble respire le sérieux et la rigueur. La luminescence est excellente permettant une lecture aisée des informations dans l'obscurité. La forme des aiguilles assure un contraste efficace entre celle des heures et celle des minutes et l'extrémité de la trotteuse se distingue aussi nettement. Je n'ai pas testé en revanche la persistance de cette luminescence mais je n'ai pas de doute quant à ses performances sur la durée, les repères phosphorescents étant réalisés en Superluminova X1. D'autre détails confirment le niveau de l'exécution comme la précision de la découpe des index ou le traitement double-couche interne du verre saphir légèrement en forme de dôme. 
 

La Bohen Mille Mer est animée par un calibre M100 de Soprod (utilisé également par Triton). Il s'agit d'une évolution du calibre A10 lui-même considéré comme une offre alternative au mouvement ETA 2892-A2. Les performances sont classiques (une fréquence de 4hz pour une réserve de marche de 42 heures) et en-deçà de celles de mouvements de conception récentes qui offrent notamment des réserves de marche supérieures. En revanche, il s'agit d'un mouvement fiable, connu  et qui possède le certificat Chronofiable délivré par le laboratoire Dubois. Le test opéré par le laboratoire est fondé sur un cycle de vieillissement accéléré qui simule les effets du porter et qui permet de déterminer un taux de fiabilité. Bohen communique sur une évolution de ce calibre à sa demande, j'imagine qu'il s'agit d'un réglage spécifique (les performances en matière de précision sont annoncées dans la plage +/- 4 secondes / jour sur 5 positions qui est légèrement plus réduite que celle du COSC mais sur une durée de test plus courte) ainsi qu'une amélioration des performances antimagnétiques. Quoi qu'il en soit, ce mouvement robuste et qui possède une bonne efficacité au remontage remplira sa mission sans souci.

Le test au porter a fini par me convaincre de la réussite de la conception de la Mille Mer. La montre se pose bien sur le poignet y compris sur le mien qui a une taille de 17,5mm. Malgré son poids, la Mille Mer est bien maintenue et elle ne bouge pas (ce sont les mouvements du boîtier qui génèrent en premier le sentiment d'inconfort). J'avais eu la possibilité de demande à Blaise-Dominique Giuliani une mise à la taille avant notre rencontre. Même du point de vue visuel, la Mille Mer parvient à offrir un rendu harmonieux même si l'épaisseur du boîtier est bien présente. Cependant, c'est plus l'écart de hauteur entre le boîtier et le lien universel intégré qui surprend que l'épaisseur propre du boîtier. 
 

J'ai en tout cas beaucoup aimé cette montre. Tout simplement parce qu'elle est le fruit d'une démarche personnelle sans compromis ni concession. La Mille Mer est sous certains aspects excessive mais c'est ce qui la rend passionnante aussi. Rien de pire qu'une montre de synthèse créée pour plaire au maximum de clients potentiels. Ce n'est pas le cas ici et certains seront réticents à porter une pièce avec une telle épaisseur. Mais au final, la Bohen Mille Mer est cohérente dans son approche et elle répond à son enjeu: elle constitue une proposition crédible dans le segment des montres de plongée de grande profondeur tout en se distinguant avec un style puissant et personnel non dénué de touches de raffinement. De plus, j'ai trouvé le prix de vente de lancement (1.991 euros TTC) très compétitif compte tenu de la qualité de l'ensemble. Les livraisons seront prévues au cours du premier semestre 2022 même s'il faut être prudent sur les délais compte tenu des conditions sanitaires qui peuvent impacter les fournisseurs en Suisse. Suite à cette découverte, je vais suivre avec beaucoup d'intérêt les prochaines étapes de Bohen car la marque possède un vrai potentiel.

Les plus:
+ une montre cohérente, très bien conçue et à l'excellente qualité d'exécution
+ la finition du cadran et du boîtier
+ la confort au porter pour une montre d'un tel gabarit
+ le prix de lancement attractif compte tenu des éléments qui précédent

Les moins:
- l'épaisseur du boîtier
- la réserve de marche du mouvement
- je l'aurais préférée sans guichet de date