Quel avenir pour Baselworld ?

Une des grandes vertus des Geneva Watch Days est d'amorcer une sorte de convergence de l'industrie horlogère. C'est une très bonne nouvelle car la capacité à se présenter de façon unie n'a jamais été sa principale qualité alors que sa taille très modeste dans l'économie mondiale (les exportations horlogères suisses tournent autour de 20 milliards de CHF ce qui représente à peu près 10% du chiffre d'affaire d'Apple) nécessiterait de la solidarité entre acteurs. Maintenant, il faut se replacer dans le contexte de la rentrée 2021 et considérer que le Baselworld d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec le mastodonte du passé. Mais ne boudons pas notre plaisir! Voir réunis au cours de la même semaine et dans la même ville deux événements horlogers était une bonne nouvelle pour les visiteurs et une démonstration de la part des acteurs d'une prise de conscience que le monde a bel et bien changé en peu de temps.

L'écart, que dis-je, le gouffre qui existe entre le pop-up modeste de Genève et les immenses halls de Bâle peut choquer et donner l'impression d'une déchéance, voire d'une longue agonie. Et pourtant, j'y vois au contraire des signes d'espoir.

 
Crédits image: Baselworld

Tout d'abord, et le symbole est fort, cette utilisation de nouveau opérationnelle du nom de Baselworld se déroule à Genève. Qui aurait imaginé une telle déconnexion entre la foire d'antan et la ville de Bâle ? Mais il ne faut pas oublier non plus qu'une des origines des maux qu'a subi Baselworld était le comportement à la limite du racket de certains acteurs économiques de ville. Les visiteurs (et les marques) finirent par avoir le certitude d'être des moutons que l'on tondait allégrement pendant une semaine. Cette implantation éphémère à Genève était donc un joli pied de nez au passé et une manière de démontrer que le nouveau Baselworld avait peu de chose à voir avec l'ancien (n'oublions pas que MCH Group, la société holding, a son siège à Bâle ce qui souligne la force de ce symbole). Il sera en tout cas intéressant de voir comment se comporteront ces acteurs économiques bâlois lors de la prochaine édition de Baselworld prévue à compter du 31 mars 2022.

Ensuite, l'atmosphère du pop-up était très loin des fastes du Hall 1.0. Cependant, nous étions déjà habitué à ce contraste entre les stands des marques "leader" et les installations des petits indépendants comme par exemple l'incubateur de 2019. En fait, le pop-up était une nouvelle version de cet incubateur et il apporte une indication claire (à mes yeux) de ce l'avenir de Baselworld sera fait. 

Le pop-up de la semaine passée était voulu comme une démonstration  dans un contexte réel, avec de vrais exposants du nouveau format. En tout cas, cette idée était excellente. En attirant des marques, Baselworld a pu ainsi inciter les visiteurs à découvrir le format. Car il ne faut pas rêver: qui serait allé visiter "un concept" ? Rien n'est plus efficace qu'un test grandeur nature et je dois l'avouer, il fut plutôt réussi.

Tout d'abord, le plateau des marques était intéressant et bien équilibré. Plusieurs segments de prix étaient représentés et il y avait même une marque significative du marché (Ice-Watch) sans oublier certaines qui ont crée le buzz récemment (je pense par exemple à Furlan Marri). L'AHCI qui a toujours été un des principaux centres d'intérêt de Baselworld était représentée par Ludovic Ballouard (je n'ai pas vu personnellement David Candaux). La présence de Sinn rappelait que l'Allemagne est un pays clé de l'industrie et donnait une dimension internationale. Toutes ces marques, pourtant très différentes les unes des autres partageaient le besoin de communiquer, de présenter leurs dernières créations et d'aller non seulement à la rencontre des journalistes et des blogueurs mais aussi des clients.

L'organisation du pop-up a été efficace. J'ai été un peu surpris en m'y rendant une première fois par l'atmosphère industrielle et froide du lieu mais j'ai changé d'avis par la suite. Après tout, ce sont les participants qui mettent l'ambiance et grâce à la qualité du plateau et à l'adhésion des marques au concept, une alchimie positive s'est créée. Baselworld a voulu mettre en place un lieu de vie, de communication (avec par exemple l'organisation des conférences) pour encourager les échanges et j'ai la conviction que cela a bien fonctionné. Mon bémol se concentre sur le mobilier. Les tables étaient trop petites et le confort des exposants qui restent debout pendant des heures auraient pu être amélioré. 

Une des stars du pop-up, le chronographe de Furlan-Marri:

Le cocktail final a été un succès du fait de sa fréquentation et il ressort de cette expérience un bilan positif. Les marques ont eu ce qu'elles cherchaient: du trafic, de l'exposition, de la visibilité. Les visiteurs ont également été comblés avec la possibilité d'échanger avec des acteurs passionnés et créatifs.

Maintenant, la vraie question est de savoir qu'elle va être la suite pour Baselworld. Ce que je ressens à titre personnel est que Baselworld doit faire un double constat. Premier constat: l'expérience de Genève prouve qu'il y a une véritable attente pour les événements plus modestes afin de découvrir des marques moins connues et plus abordables pour la plupart. Second constat: les grandes marques n'ont plus besoin de Baselworld. Elles font leurs vies comme elles l'entendent, de façon plus autonome ce qui leur donne plus de réactivité.

D'après moi, l'avenir de Baselworld ne se situe plus dans un événement central qui regrouperait même de façon plus modeste qu'avant de nombreux acteurs de l'industrie. Cet aspect est terminé. Ceux qui sont partis ne reviendront pas et le monde a changé. En revanche, il y a dans l'univers horloger une véritable demande de la part des clients finaux, des amateurs, des passionnés d'aller à la rencontre de marques dont l'opportunité d'apprécier, de toucher, de tester leurs produits est rare. Un pan entier de l'économie horlogère se développe grâce aux outils digitaux et de nombreux clients hésitent à acheter car ils n'ont pas la possibilité de voir en vrai les montres. C'est la raison pour laquelle je pense que l'avenir de Baselworld réside plus dans l'organisation de plusieurs événements locaux et raisonnables afin de créer ce lien entre clients finaux et marques émergentes ou en dynamique de croissance. Par exemple, depuis la disparition de Belles Montres, il n'y a plus eu de véritable salon horloger à Paris... eh oui, même une ville comme Paris ressent ce besoin. Les nombreuses boutiques répondent à l'attente des clients pour les marques d'envergure. Mais pour les marques qui sont en dehors des sentiers battus ? Dans ce contexte un retour à Bâle comme il est prévu l'année prochaine est-il souhaitable ? N'y-a-t-il pas trop d'ondes négatives et de mauvais souvenirs ? N'est-ce pas un lieu trop éloigné des clients finaux au moment où les marques veulent communiquer directement à leur attention?

Certes, le concept de plusieurs salons locaux et raisonnables peut sembler fort mesuré et peu contributif au développement du chiffre d'affaires et je connais pas la feuille de route assignée par MCH Group. Les marques en question n'ont pas des budgets pharaoniques. Mais le savoir-faire de l'équipe de Baselworld, sa capacité de maîtriser les coûts peuvent lui permettre de développer cette activité dans la profitabilité. De plus, cela donnerait une connotation positive à Baselworld en tant que contributeur à la découverte de talents et en tant qu'organisateur d'un événement en phase avec notre temps, plus chaleureux, plus inclusif, s'inscrivant aussi dans une meilleure démarche de développement durable. Ne serait-ce pas une jolie façon d'inverser le cours de l'histoire et de définitivement tourner la page des excès et des facturations astronomiques ?

Quoi qu'il en soit, la nouvelle équipe de Baselworld menée par Michel Loris-Melikoff a déjà réussi à créer des perspectives d'avenir. Rien que le fait de se poser la question sur la forme que prendra cette avenir est une victoire. Baselworld revient de loin, la partie n'est pas gagnée mais j'ai vu à travers le pop-up de Genève une lueur d'espoir. Je reviendrai dans un prochain article sur les montres qui m'ont marqué lors de ma visite du pop-up.