Zenith: Chronomaster Sport

La sortie en ce début d'année du chronographe Chronomaster Sport est une excellente nouvelle pour Zenith. D'abord parce que c'est une belle montre et ensuite parce qu'elle crée du buzz. Il s'agit en fait du meilleur lancement de la marque depuis de nombreuses années tant du point de vue commercial que de celui de l'exposition médiatique. Zenith avait besoin d'un tel événement. La manufacture est appréciée des amateurs mais depuis plusieurs décennies elle souffre du même problème: celle de l'absence d'un modèle véritablement emblématique qui tirerait l'ensemble de la collection. Car la star chez Zenith, c'est le mouvement chronographe El Primero. Or l'écrasante majorité de la clientèle n'achète pas un premier lieu un mouvement. Elle achète une montre iconique, connue et reconnaissable. Face aux célèbres Submariner, Speedmaster, Navitimer et autres, Zenith proposait le chronographe "El Primero". Mais quel modèle? Pas évident de répondre à cette question.


Il y a quelques années, la manufacture s'était engagé dans une voie très technique pour présenter des produits innovants comme la Defy Lab et son oscillateur particulier ou la Defy El Primero 21 avec sa capacité d'afficher des temps au 1/100ième de seconde. Mais finalement, dans un contexte où la clientèle a besoin d'être rassurée, les aspirations du marché étaient autres. La capacité d'innover était certes dans les gènes de la manufacture et il était aussi très tentant et pertinent de s'appuyer sur le potentiel créatif et financier du groupe LVMH. Sous l'impulsion de Julien Tornare, la marque a opéré récemment un recentrage pour s'appuyer de façon plus nette sur son véritable atout, le mouvement El Primero. On en revenait cependant toujours au problème de l'absence d'une montre clairement identifiable. La marque a cependant su travailler pour pallier cette faiblesse en réorganisant son catalogue qui est dorénavant beaucoup plus lisible et structuré autour de 4 collections: Defy (qui concentre les montres les plus audacieuses), Elite (pour une proposition plus habillée et raffinée), Pilot (rassemblant des montres d'inspiration Vintage avec un design à forte personnalité) et Chronomaster qui est la véritable clé de voute de ce catalogue. 


En fait, la collection Chronomaster agrège 3 lignes qui ont une importance fondamentale: la ligne Open au cadran ouvert, la ligne Revival qui propose des rééditions de modèles du passé et la toute nouvelle ligne Chronomaster Sport. Le point commun entre toutes ces lignes ? Le calibre El Primero évidemment. Et nous voyons ici tout l'intérêt de cette restructuration: Zenith s'appuie sur son mouvement phare mais communique sur un véritable nom de montre (Chronomaster). La confusion qui pouvait exister entre le nom de la montre et le nom du mouvement n'est plus.

Nous percevons bien ici tous les efforts qui sont déployés dans le contexte de cette stratégie. Les différentes rééditions (les "Revival") oeuvrent dans le même but. Elles veulent forger une légende autour de modèles et pas uniquement autour du mouvement.

Le mouvement El Primero 3600:


Je pense sincèrement que toutes ces actions commencent à porter leurs fruits. Et le meilleur exemple de la réussite de cette stratégie est la présentation du Chronomaster Sport. Cette montre coche en fait toutes les cases voulues par Zenith. Elle reste fidèle au style de la marque et aux modèles antérieurs grâce à l'organisation et à la présentation de son cadran. Elle possède des éléments qui forgent sa propre personnalité dans le catalogue Zenith comme la lunette en céramique noire (je vais revenir sur ce point). Et elle n'oublie pas la dimension innovante grâce aux performances du calibre El Primero 3600. Elle offre même un bonus que je qualifierais de presque inespéré pour Zenith: le buzz.

Les qualités propres du Chronomaster Sport peut expliquer ce buzz. Mais ne tournons pas autour du pot: la montre a beaucoup fait réagir et a suscité de nombreux commentaires positifs ou négatifs du fait de sa ressemblance supposée avec la Rolex Daytona 116500. La lunette céramique noire, la forme des aiguilles, le design du bracelet, le fermoir... tout a été disséqué, analysé par de nombreux observateurs pour critiquer la démarche de Zenith. Au final, cette histoire est du pain béni pour la manufacture. Rien de pire qu'une montre qui sort dans l'indifférence. Le buzz a généré une exposition médiatique rare pour Zenith qui, et c'est le plus important, s'est convertie en un succès commercial au cours de ces premières semaines de disponibilité.

Vous noterez que Zenith a intelligemment travaillé la présentation du mouvement pour lui permettre de mieux occuper l'espace par rapport à un calibre El Primero traditionnel:


Être comparé à la Daytona, c'est au bout du compte un grand honneur. Il y a pire comme reproche. La Daytona est le chronographe de référence et plus que ça encore: un objet de fantasme. Il n'a ni équivalent, ni concurrent dans son statut de mythe horloger. Alors, même pour des raisons qui peuvent paraître négatives, se retrouver à un moment sur une ligne de comparaison peut être perçu comme un privilège.

Mais alors, qu'en est-il concrètement de cette supposée ressemblance et surtout, est-ce que le Chronomaster Sport se distingue par des caractéristiques qui lui seraient propres ?


Il est évident de remarquer la ressemblance avec la Daytona. Après tout, est-ce si surprenant que ça ? Nous évoquons deux chronographes classiques dont chaque exécution respecte quelques grands principes du genre, par exemple la répartition en 3-6-9 des sous-cadrans afin d'obtenir une bonne lisibilité des informations et un cadran équilibré. C'est bien entendu la lunette en céramique noire qui renforce cette ressemblance. Mais je la considère comme une tendance esthétique qui se manifeste régulièrement dans la production horlogère actuelle de la même façon que des tendances passées ont produit des montres similaires. Sans oublier que Zenith a sorti de nombreuses montres à lunette noire dans son histoire plus ou moins récente (la De Luca par exemple).

Je pense qu'il vaut mieux s'attarder aux spécificités du Chronomaster Sport afin de comprendre que les similitudes ne sont pas aussi évidentes que ça. Prenons de nouveau la lunette. Elle joue un rôle fondamental pour le Chronomaster Sport: elle met en lumière la particularité du mouvement. Sa graduation n'est pas une échelle tachymétrique. Elle représente la graduation au 1/10ième de seconde de 10 secondes soit une centaine d'intervalles. Son rôle est de permettre la lecture aisée et précise des mesures du chronographe grâce au comportement particulier de l'aiguille centrale de seconde. Cette dernière effectue un tour complet du cadran en dix secondes. La conséquence est qu'un des sous-cadrans doit être dédié à l'affichage des secondes sur 60 secondes. C'est la raison pour laquelle le Chronomaster Sport n'indique pas les heures du chronographe malgré les trois sous-cadrans. Lorsque le chronographe est enclenché les deux sous-compteurs alignés horizontalement offrent un comportement similaire avec dans chacun une aiguille effectuant un tour complet en soixante secondes: la trotteuse permanente à gauche, la trotteuse du chronographe à droite. Le compteur des minutes est situé à 6 heures. Et puis il y a cette aiguille de seconde centrale du chronographe. Elle offre un spectacle unique. On n'est ni dans le contexte du chronographe traditionnel (un tour complet en soixante secondes) ni dans celui de la Defy El Primero 21 (un tour complet en une seconde). On est dans un entre-deux original et finalement très agréable visuellement. La vitesse se ressent sans avoir le tournis comme avec la Defy El Primero 21. Nous comprenons ainsi que le Chronomaster Sport ne ressemble à aucun autre chronographe actuel du marché du point de vue des affichages et du comportement de l'aiguille centrale sur le cadran. En revanche, Zenith avait sorti un chronographe aux caractéristiques similaires il y a plus de dix ans avec le El Primero Striking Tenth et son mouvement 4052 qui avait été par la suite décliné en différentes versions.

Le cadran est fidèle au style Zenith en présentant 3 sous-cadrans de couleurs différentes. Elles sont choisies en soin et combinent harmonieusement. Je trouve personnellement que ces couleurs sont très bien dosées. Elles sont plutôt douces, voire pastel selon l'inclinaison de la lumière et la lunette est dans la même mouvance en étant perçue plus souvent comme grise que noire. Les index appliqués donnent du volume et le guichet de date se trouve entre deux de ces index, à 4h30. Comme régulièrement, j'aurais préféré qu'il n'y en ait pas mais cet affichage de la date fait partie intégrante du style "chronographe El Primero". Et imaginez ce qu'auraient dit certains si Zenith avait supprimé la date: "Vous voyez bien, ils veulent cloner la Daytona..."!  Quoi qu'il en soit, la qualité de l'exécution du cadran est irréprochable. J'ai une préférence du point de vue esthétique pour la version à cadran blanc car les sous-cadrans se distinguent mieux. La version à cadran noir est plus originale, plus dynamique et la perception de la taille perçue est moindre.

Les sous-cadrans se chevauchent légèrement (cela a toujours été le péché mignon des chronographes El Primero compte tenu des entraxes plutôt faibles). Dans le cas du Chronomaster Sport, il n'y a rien de rédhibitoire puisqu'aucune graduation n'est coupée et le cadran offre de façon globale un joli équilibre. La montre ne louche pas et l'épaisseur de la lunette permet de limiter l'ouverture du cadran. 

Le boîtier en acier du Chronomaster Master est également bien réalisé même si le rendu est un peu épais. Le diamètre est de 41mm et l'épaisseur de 13,6mm. Rien de choquant, surtout avec un chronographe. J'aime beaucoup l'exécution de la lunette céramique aux inscriptions précises. Elle joue bien son rôle de graduation de l'aiguille centrale. Les poussoirs sont faciles à actionner du fait de leur forme et ils ne sont pas vissés. Le déclenchement du chronographe est plutôt dur mais l'arrêt et le retour à zéro sont agréables. Clairement, ce n'est pas un Datograph et j'ai connu mieux à ce niveau mais les sensations sont satisfaisantes. En revanche, j'ai trouvé que le remontage manuel de la couronne était plus compliqué et un peu pénible. Heureusement, le besoin de remonter manuellement le mouvement est plutôt rare (l'efficacité du remontage du mouvement El Primero n'est plus à démontrer) mais j'aime bien donner des tours de couronne de temps en temps.


Le bracelet acier est à trois maillons, le maillon central étant poli. Cela fait plusieurs jours que je porte cette montre avec un bracelet à ma taille et je le trouve d'un grand confort. La montre est bien maintenue et se pose bien sur le poignet. En revanche, le fermoir n'est pas agréable à ouvrir (j'ai trouvé une technique en le maintenant avec deux doigts sur les côtés et en tirant) car il fait mal en utilisant l'ongle pour le soulever à son extrémité. L'autre point délicat est l'absence d'un système d'ajustement fin rapide. Plusieurs positions de fixation du bracelet sur le fermoir sont à disposition mais le réglage nécessite une intervention. Enfin, je ne suis pas fan non plus du rendu esthétique de l'écart qui existe entre la pièce de bout et le premier maillon. Ces défauts, fort heureusement, ne nuisent pas au confort qui est réel. De toutes les façons, le Chronomaster Sport est aussi disponible avec un bracelet caoutchouc texturé pour les allergiques au bracelet acier.

L'atout maître du Chronomaster Sport est bien entendu le mouvement El Primero 3600. Ce mouvement est visible grâce au fond transparent. Il aurait été dommage de s'en priver car je le trouve visuellement très séduisant. Sa présentation est plus aérée et il offre de beaux effets de profondeur. Sans être fini de façon spectaculaire, il est extrêmement agréable à observer. Il comporte quelques détails distinctifs comme des vis et la roue à colonnes bleuies. La masse oscillante évidée permet de profiter de cette architecture. De plus, Zenith a été astucieux. Sans que le diamètre propre du mouvement soit plus important que celui d'un calibre El Primero traditionnel, Zenith a ouvert la zone périphérique et utilisé une masse oscillante enveloppante. Le mouvement El Primero 3600 semble donc plus grand et mieux adapté au diamètre de la montre. 

J'ai posté une vidéo du chronographe en fonctionnement sur Instagram à cette adresse: https://www.instagram.com/p/CLPYn62qez_/

Les performances du mouvement sont excellentes avec une réserve de marche de 60 heures pour une fréquence de 5hz. C'est ça qui est fascinant avec le calibre El Primero de façon générale. Malgré son âge, il demeure un mouvement très actuel. Son architecture est plus séduisante et charmante que celles de mouvements chronographes plus récents (que je trouve plus "froids") tout en proposant une mesure au 1/10ième de seconde avec une réserve de marche très correcte. A noter un détail d'importance avec le mouvement El Primero 3600: le sens du réglage devient naturel, la date se réglant sur le premier cran de la couronne et l'heure sur le second. Le Chronomaster Sport n'est pas en tout cas la première montre à l'utiliser. Rappelez-vous, Zenith avait présenté ce mouvement en 2019 dans le coffret 50ième anniversaire El Primero. La montre équipée de ce mouvement avait déjà une lunette céramique noire... mais la date était à 6 heures et le boîtier avait un diamètre de 42mm.

Le fermoir du Chronomaster Sport:


Le Chronomaster Sport offre de belles sensations lorsqu'elle est portée. Sa taille perçue reste raisonnable car l'ouverture du cadran est limitée. Comme je l'ai indiqué précédemment, ce phénomène est accentué avec la version à cadran noir. La montre est confortable car la pièce de bout impose au bracelet d'épouser efficacement le poignet. Le déclenchement du chronographe est un peu dur mais le spectacle offert par l'aiguille centrale est réjouissant. La date est discrète et la montre s'adoucit selon les conditions de lumière. A l'usage, le Chronomaster Sport profite de l'efficacité au remontage du mouvement, de sa fiabilité et de sa précision. La lecture des secondes du chronographe nécessite une petite période d'accoutumance pour jongler avec les deux affichages mais l'utilisation de la graduation de la lunette devient très vite indispensable. Enfin, la montre se révèle être polyvalente grâce à son style somme toute classique et son étanchéité de 100 mètres.

Incontestablement, Zenith marque les esprits en ce début d'année avec le Chronomaster Sport. Cette montre est une vraie réussite grâce à sa réinterprétation convaincante de l'affichage du chronographe qui tire profit de la faculté du mouvement El Primero de mesurer les 1/10ième de seconde. Si je la compare avec la première pièce équipée du même mouvement El Primero 3600, je la trouve plus équilibrée, mieux proportionnée et plus qualitative. Comme quoi, il ne suffisait pas de mettre une lunette céramique pour créer une montre désirable. Le Chronomaster Sport est le fruit d'une démarche  bien pensée qui s'inscrit dans l'orientation stratégique de Zenith. La vraie question maintenant est de savoir si ce modèle va devenir le véritable emblème de la marque, à savoir la montre identifiable qui va booster les ventes. Les premiers résultats commerciaux laissent penser que la réponse sera affirmative. Même si le Chronomaster Sport n'est pas une montre parfaite, il a en tout cas tous les atouts pour remplir ce rôle à l'avenir. Zenith vient peut-être de réaliser, à un moment inhabituel, son lancement le plus important depuis de très nombreuses années.


Le Chronomaster Sport est disponible en quatre versions, en acier uniquement, en cadran noir ou en cadran blanc, avec un bracelet acier ou un bracelet caoutchouc texturé. Le prix de vente avec le bracelet acier est de 9.700 euros. Ce prix est fixé à 9.200 euros avec le bracelet caoutchouc.

Les plus:

+ les performances et la présentation du mouvement El Primero 3600

+ la dimension pratique de la lunette

+ le confort au porter

+ la polyvalence esthétique et à l'usage

Les moins:

- le fermoir n'a pas de réglage fin rapide et son ouverture n'est pas très agréable

- le déclenchement du chronographe est dur