Nous le savons tous, il existe depuis plusieurs années une tendance forte dans l'horlogerie: celle de la montre sport-chic polyvalente en acier et à bracelet intégré. Les raisons qui expliquent l'explosion de la demande de ce type de montre sont multiples. J'en vois deux principales. La première est liée au succès des Nautilus ou autres Royal Oak qui a pu inciter certaines marques à surfer sur la vague et à espérer tirer profit d'un éventuel report de la demande. La seconde est beaucoup plus profonde. Elle est due à l'évolution de nos styles de vie compte tenu du développement des nouvelles façons de travailler. Ce phénomène s'est accentué avec la crise sanitaire et de nombreuses personnes sont restées dans un schéma presque exclusif de télétravail même en dehors des périodes de confinement. Cela conduit à une modification du rythme des journées et de la façon dont on se comporte et on s'habille. Il y a un exemple frappant qui me vient à l'esprit. Les sneakers sont devenus aujourd'hui majoritairement les chaussures de travail des salariés du tertiaire. La cravate et le costume ont quasiment disparu du vestiaire et il serait illusoire de penser que ces changements profonds n'ont pas d'incidence sur les montres.
Nous pouvons nous en réjouir ou le regretter mais la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle s'estompe. Le bureau s'installe à la maison et une journée de travail n'est plus organisée de la même façon qu'auparavant. Nous pouvons nous absenter pendant une heure pour aller faire du sport, une course, pour répondre à une obligation privée et revenir par la suite à son poste de travail. Une sorte de fragmentation s'opère alors que les différentes périodes de la journée ne se mélangeaient pas il y a quelques années. De plus en plus fréquemment, pour répondre à cette évolution, les clients des marques horlogères souhaitent acquérir des montres qui puissent les accompagner dans toutes ces étapes. Ces montres doivent être confortables, pratiques, polyvalentes. Ces critères n'ont fait que renforcer la marque phare, Rolex car la polyvalence a toujours été son crédo. Pour d'autres marques, plus confidentielles et plus ancrées dans le segment de la montre habillée, la situation devenait plus compliquée au risque de perdre leurs clientèles de base. Il fallait réagir et c'est la raison pour laquelle la montre polyvalente a fait son apparition (ou a vu son rôle se renforcer) au sein de collections de très nombreuses maisons.
Vous noterez l'absence de cornes. Le boîtier coussin prolonge ainsi le bracelet sans rupture:
Nous pensons à Lange & Söhne, à Czapek, à Chopard, à Bell & Ross et je suis loin de citer toutes les sociétés contributrices à cette tendance. Nous pouvons distinguer deux méthodes employées par les marques. La première consiste à puiser dans son catalogue un modèle du passé et à l'adapter au contexte d'aujourd'hui. C'est ce qu'ont fait Chopard ou Girard-Perregaux. Et puis il y a les marques, notamment du fait de leurs histoires contemporaines plus récentes, qui ont dû créer des modèles à partir d'une feuille blanche. Le risque avec un tel exercice est d'être fortement inspiré, plus ou moins consciemment, par les icônes du genre, notamment celles dessinées par Gérald Genta. Sur ce point il faut rendre grâce à Moser: la nouvelle ligne Streamliner possède sa propre identité et c'est ce qui fait sa réussite.
Le premier modèle de cette ligne, la Streamliner Flyback Chronograph, avait été présenté début 2020 à Dubai. Cette montre avait surpris par son design audacieux et son bracelet intégré. Son design abouti avait été inspiré par les différentes réalisations du courant esthétique Streamline en vogue entre les années 20 et les années 50. Cette inspiration se retrouvait dans les stries du bracelet, dans la fluidité des lignes et dans la parfaite intégration entre les différents éléments de la montre. J'ai notamment beaucoup apprécié dans ce modèle la continuité entre le bracelet et le boîtier de forme coussin. Le souci du détail se manifestait également dans le traitement et la position des poussoirs. La contrepartie était la relative épaisseur du boîtier malgré l'utilisation du superbe mouvement chronographe automatique développé avec Agenhor. De plus, compte tenu de la complication, le prix de vente se situait bien au-delà de celui qui était attendu pour une montre de ce type à trois aiguilles émanant d'une belle manufacture suisse.
Le fermoir à 3 lames:
La très bonne nouvelle est que la version à trois aiguilles fut présentée quelques mois plus tard lors du Geneva Watch Week. Pour moi, malgré toute l'admiration que j'avais pour le travail effectué sur la Streamliner Flyback Chronograph, l'approche esthétique de la ligne Streamliner prend véritablement son sens avec le modèle Centre Seconds. Plus petite, plus fine, la Streamliner Centre Seconds incarne la véritable offre de la part de Moser dans le segment de la montre sport-chic polyvalente. Le diamètre du boîtier en acier est de 40mm (au lieu de 42,3mm pour la Streamliner Flyback Chronograph) mais surtout l'épaisseur n'est plus que de 10,7mm (verre compris) au lieu des 14,3mm du modèle initial. Le ratio diamètre/épaisseur est ainsi plus favorable ce qui accentue la fluidité des lignes et le style élancé.
Le résultat est immédiatement perceptible lorsque la montre est portée. Il se dégage une atmosphère spéciale, unique: la pièce est singulière tout en étant raffinée. Contrairement à ce qu'elle pourrait laisser penser, sa réalisation est très fidèle à l'esprit Moser. Le cadran Matrix Green fumé est typique du style de la manufacture. D'ailleurs, je trouve le choix de cette couleur très judicieuse. Cela permet de sortir du sempiternel bleu qui de toutes les façons a été utilisé pour la nouvelle version de la Streamliner Flyback Chronograph. Cette couleur verte fonctionne très bien avec la Streamliner Centre Seconds et je me suis demandé pourquoi. J'ai peut-être une explication. Selon moi, elle contribue à donner un style reptilien à la montre. Regardez de nouveau les stries du bracelet, la succession des maillons, la forme coussin du boîtier et la façon avec laquelle ce dernier prolonge le bracelet... par moment, la Streamliner Centre Seconds m'évoque une Serpenti masculine en plus puissante... En tout cas, la maîtrise de Moser se ressent dans les reflets crées par le cadran (dont le spectre va du vert vif au bronze) et dans l'approche minimaliste et graphique des indications. J'aime l'absence de chiffres, la subtile alternance de la graduation périphérique ainsi que la forme des aiguilles. La montre va à l'essentiel et je retrouve d'une certaine façon la sobriété pour ne pas dire le dépouillement de l'Endeavour Perpetual Calendar ou de l'Endeavour Centre Seconds.
Le mouvement HMC 200 occupe généreusement le boîtier:
Et puis, comment ne pas évoquer le choix délibéré de ne pas afficher la date? Pour moi, l'absence de guichet ne génère que des avantages: la montre gagne en finesse, le cadran est équilibré et la pureté esthétique est ainsi obtenue. Il s'agit d'une composante essentielle dans la réussite de cette montre.
La Streamliner Centre Seconds est, sans surprise, animée par le calibre HMC 200. Je dis "sans surprise" car c'est le même mouvement qui équipe les autres "Centre Seconds" du catalogue, à savoir la Pioneer et l'Endeavour. Nous sommes ainsi dans un terrain connu avec un mouvement qui est le calibre de base de Moser. Ses performances sont appréciables avec une réserve de marche de 3 jours pour une fréquence de 3hz. Mais surtout, il s'adapte parfaitement au contexte de la Streamliner Centre Seconds: son propre diamètre est important (32mm) ce qui le rend agréable à observer car il occupe généreusement le boîtier. De plus, la masse oscillante est en or et j'apprécie ce détail. La masse contraste avec la platine et les ponts du mouvement et laisse le mouvement visible grâce à sa grande ouverture. C'est l'organe réglant qui attire en priorité notre regard avec son pont de balancier en forme de chapeau, le balancier à masselottes et l'utilisation d'un Spiral Straumann émanant de la filiale de Moser Precision Engineering AG. Pour le reste, la finition du mouvement est soignée (nous reconnaissons les doubles côtes de Moser) sans être spectaculaire. J'aurais par exemple aimé que le mouvement soit plus ouvert.
J'ai pris beaucoup de plaisir à porter la Streamliner Centre Seconds lorsque je l'ai découverte il y a quelques mois. J'avais la chance de pouvoir essayer un modèle à ma taille. En tout cas, la grande force de cette montre, au-delà de son exécution irréprochable, est qu'elle ne laisse pas indifférent. Il y a une sorte d'alchimie qui s'opère. La montre apparaît au premier abord comme étrange, bizarre. Puis elle devient singulière. Et petit à petit, son charme agit. J'ai aimé l'esthétique du bracelet et l'articulation des maillons. Ce bracelet a vraiment été très bien conçu. Les maillons s'emboîtent bien et la forme générale épouse efficacement le poignet. C'est une des raisons qui expliquent le confort au porter, l'autre étant la très agréable boucle déployante à 3 lames.
La fluidité des lignes est réelle. En tournant le poignet dans tous les sens, la Streamliner Centre Seconds se révèle être élancée sous n'importe quel angle. Seule peut-être la couronne détonne... et j'aurais bien imaginé une Streamliner sans cet élément... Les conséquences de la mise en oeuvre d'une solution alternative étant très lourdes du point de vue technique et comme du point de vue pratique, rien ne remplace véritablement une couronne, il est sûrement beaucoup plus raisonnable de la conserver!
J'ai aussi beaucoup apprécié avec le Streamliner Centre Seconds le jeu de lumière. J'ai évoqué les reflets du cadran mais le bracelet et le boîtier ne sont pas en reste grâce aux alternances entre les parties polies et brossées. Malgré la sobriété de l'ensemble, la montre est très vive et dynamique. Quant à l'objectif de polyvalence, il est bel et bien atteint. L'étanchéité est de 120 mètres, les aiguilles sont luminescentes et la fluidité des lignes lui permet d'être portée y compris dans un contexte plus formel. Reste à savoir si la montre conservera son attrait esthétique au fil du temps. J'y crois personnellement. Le design de la Streamliner Centre Seconds est hors du temps. La montre me fait presque penser à une réalisation uchronique, une sorte de montre du futur inventée dans le passé.
J'ai la conviction que Moser a délivré une des montres sport-chic à bracelet intégré les plus abouties, cohérentes et séduisante de ces dernières années. Il faut juste mettre de côté les impressions initiales, s'habituer à la forme du bracelet et au boîtier coussin et laisser son pouvoir de séduction agir. En tout cas, félicitations à Moser de ne pas avoir choisi le chemin le plus simple: la Streamliner Centre Seconds ne laisse pas indifférent, elle suscite des réactions tranchées et surtout elle se situe aux antipodes d'une "Genta-Like". Et ça, c'est un sacré atout. Car quand on fait du "Genta-Like", les comparaisons avec les montres originales sont souvent douloureuses.
L'intensité de la couleur du cadran change selon les conditions de lumière:
La Moser Streamliner Centre Seconds est commercialisée à un prix de 19.000 euros TTC. Sa faible production la rend difficilement disponible.
Les plus:
+ une approche esthétique originale et engagée
+ la présentation du cadran et l'absence de date
+ les performances du mouvement
+ le confort au porter
Les moins:
- j'aurais aimé que le mouvement ait une présentation plus ouverte
- la couronne casse un peu la fluidité des lignes