Le chronographe [Re]Master01 fut présenté par Audemars Piguet lors du premier trimestre de l'année dernière. Sa présentation avait pour but de célébrer l'inauguration du tout nouveau Musée Atelier de la marque au Brassus. L'inauguration eut lieu compte tenu de la crise sanitaire quelques mois plus tard mais incontestablement, la montre et le musée partagent la même ambition. Il s'agit non pas d'avoir un regard nostalgique du passé mais de tirer profit de ses racines pour se projeter dans l'avenir.
Le chronographe [Re]Master01 est une pièce que l'on qualifie de néo-rétro car fortement inspirée par un chronographe des années 40. Ce n'est cependant pas un clone et surtout, il met en scène un des tout derniers mouvements développés en interne par la manufacture: le calibre 4409 découlant du calibre 4401 qui fut utilisé pour la première fois avec les montres chronographes de la collection Code11.59. Le chronographe [Re]Master01 est donc une montre résolument actuelle malgré son atmosphère esthétique. C'est d'ailleurs cette combinaison entre design classique et mécanique contemporaine qui rend cette montre si particulière et qui lui donne beaucoup de caractère.
La pièce qui a servi d'inspiration date plus précisément de 1943. Il s'agit d'un chronographe à aiguilles principales bâton qui se caractérise par son boîtier bicolore, ses poussoirs ovales, ses aiguilles bleuies dédiées à la fonction chronographe et une inscription "45" rouge dans le compteur des minutes. Le chronographe [Re]Master01 reprend toutes ces caractéristiques ainsi que la police de caractère, mise en valeur par l'impressionnant 12 au sommet du cadran, l'échelle tachymétrique et la signature de la marque "Audemars.Piguet & C° Genève". Sur ce dernier point, je suis un peu surpris qu'Audemars Piguet ait conservé la référence à Genève et il m'aurait semblé plus logique, comme la montre n'est pas une reproduction à l'identique, d'indiquer "Le Brassus" ce qui en plus aurait été un clin d'oeil supplémentaire au Musée Atelier.
Lorsque nous examinons le chronographe [Re]Master01 de face, il y a deux principales caractéristiques qui le distinguent du chronographe de 1943: la taille du boîtier qui est évidemment mieux adaptée au marché d'aujourd'hui avec un diamètre de 40mm (contre 36mm pour la montre d'origine ce qui était d'ailleurs plutôt grand à l'époque) et l'organisation du cadran. Au-delà de ces considérations de taille plus en phase avec les aspirations du marché, c'est bien entendu l'utilisation du calibre 4409 qui impose de telles évolutions. Ce calibre a un diamètre propre de 32mm ce qui le rend compatible avec des boîtier de 40mm. De plus, il a été conçu pour afficher la seconde permanente à 6 heures. J'ai d'ailleurs une préférence pour l'organisation du cadran de la montre de 2020 par rapport à celle de la montre d'origine. Les compteurs du chronographe sont ainsi alignés horizontalement (minutes à gauche, heures à droite) ce que je trouve plus pratique et élégant. Les aiguilles bleuies occupent donc le diamètre horizontal ce qui renforce la symétrie et l'équilibre de la montre. Le cadran est parfaitement exécuté et sa couleur or jaune se marie parfaitement (et étonnamment) avec la lunette en or rose. L'ensemble est chaleureux sans tomber dans un charme qui apparaîtrait comme suranné ou vieillot. Les compteurs créent de très jolis reflets de lumière différents de ceux du cadran.
Je trouve que la reprise du 45 rouge du compteur des minutes de la montre d'origine est une excellente idée. Outre le clin d'oeil au football (qui n'est pas anodin pour une marque comme Audemars Piguet), la touche de rouge égaye subtilement le cadran. L'échelle tachymétrique est située sur le rehaut périphérique et comme les compteurs sont légèrement en retrait, le cadran possède plusieurs niveaux. Il est loin d'être plat et compense sans problème l'absence d'index appliqués. Enfin, le verre saphir avec traitement anti-reflets assure une lisibilité optimale. J'avais une crainte au niveau des aiguilles principales en or rose mais le contraste avec le cadran en or jaune est suffisant.
Le boîtier est également très séduisant. C'est d'ailleurs l'élément qui a le plus de personnalité. L'approche bicolore est ici pertinente et élégante. Le boîtier et les cornes sont en acier, la lunette, les poussoirs et la couronne sont en or rose. J'aime beaucoup observer la carrure de la montre car je trouve les poussoirs ovales particulièrement réussis. L'autre atout du bicolore est le contraste entre la lunette et le boîtier. La montre apparaît alors comme moins épaisse qu'elle n'est (14,6mm tout de même). Enfin, les cornes en forme de goutte sont à la fois une forte évocation de la montre d'origine et un élément d'originalité dans la production horlogère actuelle.
C'est en retournant le boîtier que la dimension contemporaine du chronographe [Re]Master01 apparaît clairement avec la vue sur le calibre 4409 à remontage automatique. Il est de conception récente et cela se voit dans plusieurs détails: dans l'architecture du mouvement, dans le pont de balancier traversant, dans le système de réglage du balancier, même dans la forme de la roue à colonne. Les performances sont d'ailleurs dans les standards d'aujourd'hui avec une réserve de marche de 70 heures pour une fréquence de 4hz sans oublier la fonction retour en vol. Le rendu visuel du calibre est très moderne et même si la masse oscillante est beaucoup plus traditionnelle que celle du chronographe 11.59, il existe un contraste entre le rendu du cadran et le rendu du mouvement dans le sens où on a l'impression que ce sont deux périodes distinctes de l'histoire de l'horlogerie qui s'expriment. La finition est irréprochable, extrêmement soignée même si la découpe des ponts ne propose pas d'angles rentrants. Ce qui est en tout cas très agréable, c'est de constater que le mouvement occupe généreusement le boîtier. En revanche, je regrette un peu qu'Audemars Piguet n'ait pas fait le choix d'une masse oscillante plus ajourée. Cette dernière est omniprésente et j'aurais aimé un travail esthétique plus raffiné à ce niveau afin d'obtenir une vue plus large sur le mouvement. Il aurait été possible d'ajourer la masse tout en proposant une finition différente de celle du mouvement des Code11.59 chronographes. Cependant, la masse oscillante choisie est plus dans l'esprit de la montre.
En fait se pose la question du choix du remontage automatique pour une telle montre. Le retrait de la masse oscillante aurait même permis de réduire l'épaisseur. Cependant je vois deux obstacles à cette solution. Le premier est qu'un mouvement automatique auquel on retire le mécanisme de remontage est généralement moins séduisant qu'un vrai mouvement à remontage manuel. Le second est que cette montre contribue à la promotion de la nouvelle famille de calibres automatiques d'Audemars Piguet. Alors, le choix du maintien du remontage automatique devenait logique.
Le chronographe [Re]Master01 est très agréable à l'usage. Sa taille est équilibrée, son bracelet en cuir de veau est souple et confortable et le mouvement est très efficace au quotidien: le déclenchement est précis et l'efficacité du remontage est bonne. La couronne est relativement large ce qui facilite sa manipulation et les poussoirs ovales sont aussi ergonomiques. En revanche, le point d'attention se trouve au niveau de l'étanchéité qui n'est que de 20 mètres. Mais comme la vocation de la montre n'est sûrement pas la baignade, ce n'est pas un grand souci.
J'ai en tout cas beaucoup aimé cette montre. Au-delà de sa réalisation aboutie, elle permet d'apprécier le calibre 4409 dans un contexte différent de celui de la collection Code11.59. De plus, compte tenu de son nom particulier, le chronographe [Re]Master01 préfigure sûrement d'autres montres inspirées du passé et par des pièces du patrimoine. Cela aurait du sens pour Audemars Piguet qui rappellerait ainsi que son histoire a commencé bien avant l'arrivée de la Royal Oak. En tout cas, le chronographe [Re]Master01 est présenté à part dans le catalogue de la marque ce qui pourrait confirmer l'hypothèse de l'émergence d'une ligne [Re]Master. Un des axes stratégiques de la marque est de réduire le poids des collections Royal Oak dans le chiffre global. Une telle collection y contribuerait non seulement du point de vue commercial mais également du point de vue de l'image.
Le chronographe [Re]Master01 est vendu dans le cadre d'une série limitée de 500 pièces à un prix de 60.100 euros TTC.
Les plus:
+ la présentation du cadran
+ la lisibilité des mesures du chronographe grâce aux aiguilles bleuies
+ le boîtier bicolore charmant sans être vieillot
+ les performances du mouvement
Les moins:
- une étanchéité limitée
- j'aurais aimé une masse oscillante ajourée pour mieux profiter du mouvement