Il ne passe pas une semaine sans qu'un journal, papier ou en ligne, ne propose un article sur l'investissement dans les montres. Un des derniers en date fut publié par GQ Magazine en France le 11 novembre (malheureusement il n'y a pas eu de trêve...). Ne tournons pas autour du pot: ce genre d'article est une pure catastrophe. Au-delà du fait que le rédacteur en question ne connaît pas son sujet (il suffit de voir le choix des photos illustrant le propos), l'article contribue à l'ambiance générale qui consisterait à penser que l'horlogerie est un excellent support d'investissement. Autrement dit, le client peut faire une jolie culbute de façon quasi certaine. Le problème est qu'à force, de tels propos deviennent nocifs pour les clients ainsi que pour l'industrie horlogère elle-même qui se trouve prise dans son propre piège.
Pourtant à la base, parler d'investissement n'est pas un problème en soi: nous parlons d'objets ayant une certaine valeur et tous autant que nous sommes, nous n'avons guère envie de perdre beaucoup d'argent en cas de revente, pour financer par exemple l'acquisition d'une nouvelle pièce. Il n'y a donc pas de mal à parler d'argent, de prise de risque, de la possibilité de revendre plus ou moins facilement une montre.
En revanche, le fait de laisser croire au grand public (la cible de tels articles) que l'horlogerie pourrait être un excellent support d'investissement est beaucoup plus critiquable. Car la réalité est tout autre.
D'ailleurs, comment pourrions-nous qualifier un marché financier dont 99% des titres perdent de la valeur? Dont les rares titres qui prennent de la valeur ne soient pas accessibles à tous? Qu'il est quasiment impossible de les acquérir aux prix annoncés? On le qualifierait de marché pourri. Et pourtant, c'est bel et bien la réalité du marché horloger.
Alors, le seul conseil que l'on puisse légitimement donner au grand public c'est d'acheter une montre pour se faire plaisir, pour la porter, pour en profiter. Tout ceci n'empêche pas l'achat intelligent: il faut se renseigner, prospecter, ne pas se précipiter pour justement éviter des déceptions et se retrouver avec une montre "boulet" impossible à revendre en cas de lassitude. Mais si au moins la joie simple de porter un bel objet devient la raison principale d'une acquisition, le risque de déception est alors fortement diminué.
L'article publié dans GQ cite plusieurs montres dans sa sélection qui vont décoter. Un conseiller financier pourrait même être accusé de défaut de conseil car l'article ne s'embarrasse pas de prudence ni de réserve: tel modèle est un "très bon investissement pour les années à venir"... Qui pourrait confirmer de tel propos? Personne. Quant aux autres montres, les habituelles incontournables, elles sont de toutes les façons inaccessibles aux communs des mortels s'ils souhaitent les acquérir à leurs prix catalogue. Et c'est ainsi que les détaillants se retrouvent toute la journée à devoir répondre au téléphone à des personnes qui s'imaginent presque trouver un chrono Daytona en passant quelques coups de fils... Au bout du compte, les gens sont déçus et se détournent d'un secteur qui pourtant a plus besoin de gagner de nouveaux clients et de les séduire que de les frustrer.
On imagine à peu près qui sont les acteurs qui poussent à la rédaction de tels articles. Mais au final ils finissent aussi par poser un problème à l'industrie elle-même. J'ai observé à travers les réseaux sociaux (qui sont plus "grand public" que des espaces de connaisseurs) un changement manifeste de comportement au fil des ans.
Il y a 10 ans, les discussions portaient sur l'intérêt horloger, le confort, l'étanchéité, la facilité de revente. Aujourd'hui, la seule interrogation porte sur la cote de la montre. Les premières questions sont presque systématiquement: Est-ce que la montre décote? Puis-je espérer faire un billet dessus?
Cet état d'esprit est la résultante de toute cette communication voulue par les marques (qui souhaitaient renforcer la dimension patrimoniale des montres) et relayée par de nombreux et ifférents supports. Or la réalité est que de très rares marques (ou plutôt modèles) peuvent véritablement répondre à cette attente. Toutes les autres marques se retrouvent donc dans la situation d'être incapables de répondre à une attente qu'elles ont elles-même contribué à créer. Un vrai paradoxe et surtout une belle balle dans le pied dont profitent les deux ou trois acteurs aux comportements pérennes et constants depuis des décennies.
Je pense sincèrement que l'industrie a besoin de retrouver plus de simplicité dans les messages, plus de sincérité et de revenir aux fondamentaux. Une montre mécanique est un objet "plaisir" avant tout. Ne mélangeons pas tous les sujets... J'ai tout à fait conscience que l'envol ces dernières années des cotes de modèles phares puisse fasciner. Cet situation est aussi due à la disponibilité de capitaux et aux taux d'intérêt très bas qui ont favorisé ce type d'investissement. J'ai la conviction que le jour où les taux d'intérêt partiront à la hausse ces cotes ne se maintiendront pas. Je ne crois pas non plus à l'explosion de la bulle mais une correction s'effectuera.
En d'autres termes, plaisir et prudence sont les maîtres-mots et si on la prend par le bon bout, l'horlogerie peut alors apporter beaucoup plus de satisfaction que de frustration. La montre mécanique est un objet fascinant et merveilleux et pas un support d'investissement qui peut s'acheter et se revendre d'un seul clic de souris.