Les montres "squelette" sont la grande spécialité de Claude Meylan. La marque dirigée par Philippe Belais (dont il est également le propriétaire) accorde un soin particulier à cet art décoratif en n'hésitant pas à intervenir en profondeur et en détails y compris dans les parties mobiles comme les roues, le rochet ou le barillet. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours considéré qu'il y avait un style propre à la marque car le rendu du squelette est toujours fin, élaboré et sans lourdeur visuelle. A titre d'exemple, le barillet et le ressort sont intégrés esthétiquement avec discrétion et ne gâchent pas le plaisir lié à l'observation du squelette qui est perçu comme une délicate dentelle mécanique.
Les montres les plus représentatives de Claude Meylan sont pour moi issues de la ligne Tortue car Philippe Belais n'hésite pas à modifier la forme du mouvement (un calibre Unitas pour les versions à remontage manuel) pour l'adapter à celle du boîtier et définir un style original et reconnaissable. Et surtout n'imaginons pas que Claude Meylan reste une marque très classique pour ne pas dire traditionnelle comme les montres de la collection Légendes pourraient nous le faire penser! La ligne Tortue est également le théâtre de l'expression de quelques délires colorés que j'avais eu la chance de voir ces dernières années à Bâle. Je me souviens d'une Tortue recouverte de flamme ou d'une autre totalement pop - acidulée. Mais, c'est tout le paradoxe, les montres qui ont le plus fait parler d'elles ces dernières années furent le couple "MANGA'CH", deux montres présentées en 2018 aux cadrans ornés par les portraits de Heidi et Peter interprétés à la sauce japonaise. Pour tout dire, même si le mouvement ETA 2512 qui équipait les deux montres était ajouré, les formes de Heidi étaient clairement bien plus rebondies que celle d'un squelette! En tout cas, les montres "MANGA'CH" avaient suscité le débat lors de leur présentation ce qui n'était pas leur moindre vertu puisqu'elles avaient permis de mettre un coup de projecteur sur une marque finalement singulière dans le paysage horloger suisse.
Claude Meylan dévoila lors de l'édition 2019 de Bâle 3 montres basées sur le même principe technique que les deux montres "MANGA'CH": les Lac Motorities. L'idée est finalement simple. En utilisant un petit mouvement logé dans un boîtier de 42mm, Philippe Belais parvient à combiner deux approches: d'un côté la décoration technique à travers les finitions appliquées sur le calibre ETA 2512, de l'autre la décoration artistique grâce aux motifs qui occupent la plus grande partie du cadran. Si les montres "MANGA'CH" étaient gentiment provocatrices, les Lac Motorities sont beaucoup plus sages. Elles n'en demeurent pas moins intéressantes car elles explorent une iconographie très en vogue lors de l'âge d'or des courses automobiles.
En fait, la décoration artistique est beaucoup plus complexe qu'elle ne semble l'être au premier coup d'oeil. Le motif est en réalité composé d'une superposition de cadrans découpés ce qui donne des effets de profondeur. Cela me fait penser d'une certaine façon à une image stéréoscopique. De plus, si Heidi et Peter étaient très colorés, les Lac Motorities sont en revanche monochromes, explorant une large palette de noir, blanc et gris. Ces montres m'ont immédiatement évoqué les films d'actualité en noir et blanc des années 50 et il ne manquait plus que la voix caractéristique du commentateur pour plonger dans l'ambiance.
Ce qui est amusant de constater avec ces montres, c'est qu'une absurdité (utiliser un mouvement de 17mm dans un boîtier en acier de 42mm) est devenu une formidable opportunité. Le travail sur le mouvement est vraiment spectaculaire car le rendu, malgré la petite taille, respecte les standards de la marque: le calibre est ajouré de façon soignée et il est agréable à observer même si, évidemment, ce n'est pas aussi spectaculaire qu'un grand mouvement squeletté. Mais l'exploit est à souligner car à la base le calibre ETA 2512 est très rustique. En revanche, ses performances sont très correctes car malgré un petit barillet (et certes un petit balancier) la réserve de marche atteint les 38 voire les 40 heures pour une fréquence de 3hz. La lisibilité est sinon satisfaisante car le contraste entre les aiguilles et le mouvement est suffisant. La lecture de l'heure est en revanche plus compliquée quand les aiguilles sont proches du fait de leurs petites tailles.
Le travail est aussi élégamment fait à l'arrière de la montre. Les ponts ajourés permettent aux rouages et au balancier d'être libérés de leurs carcans. Et j'ai beaucoup aimé la représentation du drapeau à damier, en cohérence avec l'atmosphère du thème des Lac Motorities.
Les Lac Motorities sont avant tout des montres artistiques et d'émotions. Même si nous pouvons lire l'heure dessus, notre attention est captée par les scènes évocatrices et tri-dimensionnelles. Elles offrent une véritable plongée dans le temps et dans l'ambiance des courses automobiles d'antan. J'ai donc pris beaucoup de plaisir à découvrir et porter ces montres et si je devais en choisir une, je me dirigerais sans hésiter vers celle qui représente le pilote car c'est la plus originale avec un joli effet de relief au niveau du rétroviseur et des lunettes. Dans ce contexte, je n'ai que deux véritables critiques à formuler. J'aurais positionné le nom de la marque plus haut voire éventuellement pris la décision de ne rien mettre et de l'indiquer uniquement à l'arrière de la montre. Je trouve en outre que le boîtier manque de caractère. Mais ces détails ne m'empêcheraient pas de faire des tours de piste avec ces bolides d'autrefois.
Chaque montre de la collection Lac Motorities est vendue à un prix de CHF 5.500 HT.
Les plus:
+ une présentation astucieuse du cadran
+ la décoration du mouvement, tout à fait correcte compte tenu du point de départ
+ une atmosphère joliment retranscrite
+ une lisibilité satisfaisante
Les moins:
- j'aurais positionné le nom de la marque plus haut ou l'aurais carrément supprimé côté cadran
- le boîtier manque de caractère