La période de confinement a entraîné une évolution significative de l'utilisation d'Instagram par les acteurs du monde horloger: afin de palier l'absence de rencontres physiques et l'abandon du calendrier des sorties des nouveautés, les sessions "live" se multiplient afin d'offrir soit des jeux de questions & réponses avec les followers soit des entretiens avec d'autres intervenants de l'industrie. Il se crée ainsi une dimension beaucoup plus interactive qu'auparavant.
Ce sont surtout les médias horlogers qui ont saisi cette opportunité. Il s'agit pour eux d'un enjeu de survie: ayant peu d'actualité à présenter, si ce n'est de rares nouveautés et les réflexions sur l'avenir des salons, ils se doivent de maintenir une présence pour être en capacité de rebondir lorsque l'activité reprendra. Les sessions lives peuvent être très intéressantes lorsqu'elles sont bien préparées et lorsque l'interactivité est réelle. Elles peuvent être aussi pénibles quand deux personnes tiennent une discussion qui relève plus de l'échange informel de comptoir sans dimension informative. Et puis les lives... c'est aussi une façon de tester l'audience réelle de certains. Que penser des comptes à plus de 100.000 followers qui ont du mal à rassembler plus de 40 personnes en même temps lors d'une session ? Les followers sont très sollicités, les lives se déroulant assez souvent lors des mêmes créneaux horaires et ils zappent très facilement. Tout l'enjeu consiste alors à capter et conserver leur attention. En tout cas, il me semble important de souligner que ces médias essayent d'utiliser au maximum les capacités de l'application et s'en tirent plutôt bien.
La situation est aussi complexe pour les détaillants dont l'activité de vente est à l'arrêt total sauf dans de rares zones géographiques. Ils ont plus de mal à communiquer ayant sûrement peur que leurs messages soient perçus comme trop mercantiles dans une période où l'achat de montres est loin d'être la priorité. Certains font cependant preuve d'imagination et Maier Lyon a mis par exemple un place un quizz horloger régulier. Cela permet d'animer, de garder le lien sans assommer les followers avec des incitations à l'achat trop marquées.
Enfin, il y a les marques. Et là, c'est une véritable catastrophe. Attention, je parle de façon très générale: il faut noter un certain nombre de bons élèves. Zenith par exemple qui organise des lives très réguliers où Julien Tornare n'hésite pas à mouiller la chemise, créant ainsi une proximité avec les followers. Zenith publie aussi de nombreuses stories et on voit bien que le compte est géré de façon professionnelle. Breitling se démarque aussi avec l'organisation de la présentation des nouveautés via webcast le 16 avril prochain. Panerai organise des échanges réguliers avec ses ambassadeurs tout comme Omega. Au niveau des indépendants, Grönefeld organise des quizz fréquemment assurant ainsi une animation régulière du compte tout en faisant découvrir la marque. Vacheron Constantin regramme des photos: c'est un progrès! Bamford se démène et publie des interviews de personnalités en permanence. Enfin, plusieurs marques ont profité de leur engagement pour lutter contre la propagation du virus pour communiquer sur des actions spécifiques, soit le reversement d'une partie des ventes à des organismes (MATWATCHES, Gerald Charles, Mauron Musy, Louis Erard etc... soit en mettant à disposition leur outil industriel (Bulgari, LVMH, Kering).
Maier Lyon, Zenith, Grönefeld: de bons exemples qui savent tirer profit de la dimension interactive d'Instagram:
Le reste? Je mets de côté Patek Philippe (Patek is different... y compris sur Instagram) dont la stratégie de communication sur Instagram est vraiment originale (une publication le 18 du mois consistant à plusieurs posts créant une image géante) et qui a annoncé l'arrêt temporaire de son activité sur l'application pendant cette période. Rolex est aussi à part: les community managers sont les fans de la marque. Mais les autres ? Le constat est cruel: aucun changement dans la façon de communiquer, le robinet à messages corporate continue à couler sans interruption, sans aucune interactivité, sans aucune créativité, de façon insipide et inintéressante.
Il y a pourtant un contexte qui oblige à se réinventer et à réfléchir sur la stratégie de communication sur les réseaux sociaux. Depuis des années, je constate, y compris (surtout ?) parmi les plus grands acteurs, l'incapacité à tirer profit des outils proposés par l'application en mettant en place une véritable interactivité et en adaptant le contenu au contenant. Les marques communiquent de la même façon que ce soit sur Facebook ou Instagram. Cela n'intéresse personne et c'est aussi la raison pour laquelle ce sont les comptes des collectionneurs, des fans (plus encore que ceux des médias) qui captent le plus l'attention: les clients veulent voir des photos live, des vidéos "naturelles", du matériel non retouché 50 fois. Et puis, c'est la leçon de ces dernières années mais elle ne semble pas être comprise: les clients veulent plus d'interaction et d'échanges. Or les comptes semblent aussi fermés qu'auparavant avec une communication uniquement descendante.
En période de confinement, c'est plus pratique d'avoir une astronaute comme ambassadrice! Ses conseils seront précieux. La situation met aussi en lumière la pertinence des choix de ces ambassadeurs. Ceux qui sont inutiles apparaissent encore plus inutiles. Quant à Breitling, toutes les personnes enregistrées pourront assister à la présentation des nouveautés.
Les messages semblent aussi à côté de la plaque. Cartier poste des citations dignes des affiches que l'on retrouve dans les salles de réunion américaines et ne présente même pas sa nouveauté horlogère (la Santos-Dumont XL à remontage manuel) alors que certains médias en parlent déjà. Cartier peut se rassurer: ils ne sont pas les seuls à être dans ce cas! Hublot donne l'impression de n'avoir rien à raconter en l'absence d'événements. IWC est trop agressif avec chaque photo conduisant à la boutique. Lange & Söhne n'a plus communiqué depuis le 24 mars mais devrait alors expliquer pourquoi comme Patek Philippe. En dehors du "restez à la maison", les marques n'ont malheureusement plus rien d'intéressant à exprimer comme si finalement toutes les nouveautés de ces dernières années étaient plus des prétextes pour communiquer que des produits à vendre. Pourtant la période est propice à l'élargissement et au renouvellement de la communication. Pourquoi ne pas parler d'histoire de la marque ? De technique ? Pourquoi ne pas présenter des acteurs des manufactures ? Des horlogers ? Des créateurs ? Pourquoi ne pas justement mettre un peu d'humain derrière ces grandes machines?
Malheureusement, il ne se passe rien pour l'instant. Je dois avouer que je suis très inquiet. On nous a promis que le futur de l'horlogerie allait passer par un rapprochement entre les marques et la clientèle. Certains l'ont compris mais la majorité semble toujours prisonnière des vieux schémas. En fait, ce qui se passe aujourd'hui sur Instagram est l'illustration de tout le paradoxe de cette industrie. Depuis des années, les marques ont expliqué que les réseaux sociaux étaient extrêmement importants. Tout cela pour adopter une stratégie des années 80 et employer un stagiaire "Procter & Gamble" payé au lance-pierre comme community manager sans aucune notion de l'horlogerie, de son histoire, de sa clientèle. Alors la réalité apparaît sans fard: les bons se révèlent et les mauvais s'enfoncent comme à chaque fois dans les contextes difficiles.