Je ne pouvais pas me rendre à Dublin sans saluer Stephen McGonigle. Et coup de chance: il était bien en Irlande lors de mon passage et non pas dans son atelier en Suisse. J'avais rencontré pour la première fois Stephen et son frère John à Paris lors du Salon Belles Montres en 2008 soit deux ans après la fondation de la marque McGonigle Watches. Je suis très nostalgique de ces bons moments où le salon parisien faisait l'événement et était le seul véritablement dédié aux clients finaux. Et quel plateau! Tous les principaux horlogers indépendants étaient présents dont les frères McGonigle qui présentaient à l'époque leur première montre Tourbillon développée sur la base d'une ébauche Claret. J'avais adoré cette montre, son esthétique, la forme de son pont de tourbillon, les aiguilles... tout simplement parce je ressentais cette inspiration irlandaise qui définissait une atmosphère unique.
En 2011, McGonigle Watches présenta la Tuscar, la première montre de la marque équipée d'un mouvement 100% maison. Plusieurs versions de la Tuscar furent depuis fabriquées (la One of Ten au cadran totalement ouvert puis la version Banu en or rose) jusqu'à la toute dernière en or gris. C'est cette montre que j'ai eu le plaisir de voir lors de ma rencontre avec Stephen.
Cela faisait quelques années que je n'avais pas revu une Tuscar Banu et en découvrant cette version en or gris, j'ai ressenti la même émotion que la première fois. Je considère cette pièce comme une des plus belles montres "simples" en provenance d'une marque indépendante. Je retrouve au premier coup d'oeil tous les éléments esthétiques qui m'avaient plu avec la montre tourbillon comme les somptueuses aiguilles, les chiffres et la forme originale du pont du balancier. Cette forme est différente de celle de la montre tourbillon et elle est ici encore plus singulière. Elle donne d'ailleurs son nom à la montre puisque "Tuskar Rock" désigne un groupe de rochers surmonté d'un phare se trouvant dans la mer d'Irlande. Et la forme du pont, agressive, a été inspirée par celle de ces rochers.
J'aime aussi beaucoup le concept de cadran à demi-ouvert qui révèle une partie du mouvement (Banu signifiant l'aube). Le contraste entre les deux zones du cadran met en valeur le travail sur le mouvement et le grand balancier (près de 13mm de diamètre) aux lentes oscillations (la fréquence du calibre est de 2,5hz). Les roues et le secteur de la graduation de la trotteuse, finis en or jaune, se distinguent visuellement et apportent du dynamisme et de l'élégance à l'ensemble.
La trotteuse décentrée apporte un bel équilibre et répartit harmonieusement les différents éléments mobiles de la zone inférieure. La trotteuse est également en acier bleui tout comme les aiguilles principales qui ont en plus des extrémités en or. La Tuscar Banu est ainsi passionnante à observer côté cadran grâce à l'excellence des finitions et aux animations apportées par la trotteuse et le balancier. J'apprécie également la couleur ardoise de la zone supérieure du cadran dont l'intensité change nettement selon les conditions de lumière.
Le spectacle est tout aussi réjouissant côté mouvement. Cependant, il peut surprendre car contrairement à de très nombreuses marques indépendantes, Stephen McGonigle a ici privilégié une architecture fermée. N'attendez pas des ponts ciselés aux formes permettant la multiplication d'angles rentrants. Ce type d'exercice se retrouve côté cadran. L'arrière de la montre propose au contraire une sorte de platine 4/4 (si je peux m'exprimer ainsi) qui répond à deux objectifs: le premier est de mettre en valeur la couleur et les reflets du maillechort, le second est de créer l'espace suffisant afin de pouvoir insérer les motifs décoratifs celtiques dessinés par Frances McGonigle (la soeur de Stephen et de John) et gravés par Michèle Rothen Rebetez. Ces motifs apportent une touche de magie supplémentaire à la montre et renforcent son atmosphère si particulière.
L'autre élément qui différencie la Tuscar Banu des autres montres classiques indépendantes est sa taille. C'est incontestablement une grande montre avec un diamètre de 43mm. Ce dernier est cependant très bien adapté au contexte. La Tuscar Banu est une montre irlandaise, inspirée par les mythes et légendes d'un pays de guerriers! Les aiguilles, le pont du balancier sont là pour nous le rappeler. Je n'aurais pas imaginé une petite montre délicate avec de telles origines! Le boîtier est non seulement grand, il est également imposant du fait de ses larges cornes et de sa couronne proéminente. De plus, le mouvement remplit parfaitement l'espace que ce soit à l'avant ou à l'arrière de la montre. Le fait qu'il impressionne par sa propre taille contribue d'ailleurs au plaisir procuré par la montre. Cette taille est d'ailleurs nécessaire pour loger, outre le grand balancier, le double-barillet qui permet d'atteindre les 90 heures de réserve de marche.
Je suis donc un fan absolu de cette montre produite dans une série de 20 exemplaires. Puissante et raffinée, virile et charmeuse, elle offre une ambiance unique magnifiée par une qualité de réalisation sans faille. C'est exactement le genre de pièce que j'apprécie de la part d'un horloger indépendant: rien qu'en la voyant, je peux deviner les origines de l'horloger. La Tuscar Banu est une montre avec un parti-pris esthétique très marqué tout en restant fidèle aux principes de la tradition horlogère (basse fréquence, grand balancier). C'est ce qui la rend si attractive. Mais l'excellence se paye et il faudra débourser au-delà de 50.000 francs suisses pour acquérir cette montre qu'un druide n'aurait pas renié.
Les plus:
+ une réussite esthétique qui nous plonge dans une atmosphère unique
+ l'originalité des gravures
+ le plaisir d'un mouvement à basse fréquence
+ les reflets du maillechort
Les moins:
- un gabarit imposant, cohérent avec le style mais qui ne rend pas la montre appropriée à tous les poignets