Petit à petit, Emmanuel Dietrich est en train de gagner son pari, celui qui consiste à bâtir une marque cohérente et à l'identité reconnaissable. L'Organic Time présentée en 2014 avait jeté les fondations et surpris par son audace, la Time Companion en 2017 avait placé la marque sur des bases swiss made et la trajectoire se poursuit avec le lancement de la Dietrich Device en décembre 2019. Je pourrais aussi évoquer la Perception qui est le modèle haut de gamme mais son prix la place dans une dimension différente. Ceci dit, son approche esthétique assure un lien avec les autres modèles de la collection. En tout cas, la toute dernière Dietrich Device opère une sorte de synthèse entre l'Organic Time et la Time Companion en partant d'un concept similaire à l'une et en utilisant les critères de qualité de l'autre. C'est la raison pour laquelle elle prend place dans le catalogue en remplacement de l'Organic Time qui l'a déjà quitté.
Ce qui me plaît beaucoup avec Emmanuel Dietrich, c'est qu'il conçoit des montres engagées, avec un véritable parti pris. Elles ne sont pas faites pour plaire à tout le monde et le consensus n'est sûrement pas le but recherché. Emmanuel Dietrich exprime ses idées, joue avec les formes et veille à ce que ses montres soient faciles à vivre pour leurs propriétaires. La Dietrich Device n°1 (DD-1) s'inscrit clairement dans cette optique. L'hexagone est évidemment la clé de voute de la DD-1 toute comme il l'est avec les autres modèles. Je retrouve aussi l'astucieux système de changement rapide de bracelet de l'Organic Time où il suffit de le glisser sous le boîtier. En fait, la DD-1 fait immédiatement penser à l'Organic Time. La forme du boîtier (mais légèrement plus petit et moins épais que celui de l'OT) est la même, la base du boîtier qui intègre les cornes est la même, le concept de double graduation du cadran est la même, je retrouve une forme identique d'aiguilles principales... et pourtant la DD-1 est radicalement différente de l'OT!
Les différences esthétiques se situent à deux niveaux au-delà de la taille plus contenue. L'OT jouait avec un cadran ouvert pour permettre aux éléments mobiles (petite trotteuse et affichage des 24 heures) de créer des effets de relief et d'animation, la DD-1 propose en revanche un cadran plein. L'OT possédait une lunette épaisse qui soulignait la forme hexagonale, la DD-1 la fait disparaître pour laisser le premier rôle à un verre saphir traité anti-reflet double face qui recouvre la quasi-intégralité de la surface dont les fameuses vis de la lunette. Ces deux changements transforment totalement la montre et la font changer d'univers. L'OT était audacieuse et sous certains aspects déroutante, la DD-1 est plus subtile et raffinée. Mais elle demeure originale et surprenante!
Malgré le cadran plein, les effets de profondeur restent présents. Ce ne sont plus les mêmes. Toute l'astuce a consisté à positionner la graduation des secondes sous le verre. Elle apparaît ainsi au premier plan, juste au-dessus de la trotteuse. Puis viennent les aiguilles principales dont les extrémités sont recouvertes de matière luminescente. La qualité des finitions des aiguilles est en nette hausse par rapport à celle des aiguilles de l'OT. La surprise vient en tout cas de la forme de la trotteuse en escalier ce qui lui permet de "lécher" le verre. Enfin, le cadran se positionne en arrière plan avec sa graduation des minutes qui englobe le guichet de date et qui comporte en son centre des nervures stylisées pour créer le lien avec l'ambiance organique. Des petites ouvertures sur les rubis, l'incabloc et quelques éléments du mouvement existent mais elles sont très discrètes.
Il y a une contrepartie à cette réussite esthétique fondée sur une approche tri-dimensionnelle: le boîtier a pratiquement la même épaisseur que celui de l'OT ce qui lui donne un style plus ramassé. Rien de bien gênant non plus, les 13mm d'épaisseur se supportent très bien et donnent de la présence au poignet. Mais la DD-1 n'est clairement pas destinée aux amateurs de montres fines!
Malgré une taille en diminution par rapport à l'OT, les dimensions du boîtier en acier demeurent importantes avec une largeur de 45mm et une longueur de 46mm. Cela pourrait sembler rédhibitoire pour une montre qui se veut plus élégante mais Emmanuel Dietrich a su jouer avec les couleurs. L'atmosphère générale est monochrome et sombre (PVD noir pour le boîtier, gris anthracite pour le cadran) et seuls les index, la date et les extrémités des aiguilles apportent du contraste. Le résultat est immédiat: la taille perçue est ainsi diminuée. Ce rendu monochrome est en tout cas bienvenu pour soutenir cet objectif plus qualitatif. En revanche, la montre perd une partie du fun et de l'énergie qui se dégageait de l'OT. L'ambiance de la DD-1 est plus paisible et assurèment plus sérieuse.
En tout cas, le plus grand écart qui se manifeste entre l'OT et la DD-1 ne se ressent pas au premier coup d'oeil. Mais il finit par être perceptible immanquablement. Je parle bien entendu de la qualité de l'exécution. Sur ce point, la DD-1 s'inspire de la Time Companion. La finition du boîtier est irréprochable et il est de plus très agréable à toucher. Le cadran et les aiguilles sont fabriqués avec précision et netteté et le bracelet en croco qui était fourni avec la montre que j'ai testée était souple et très agréable. Mais surtout, la motorisation est changée. Le calibre Miyota est abandonné et remplacé par un calibre ETA2824-2 d'une fréquence de 4hz et d'une réserve de marche d'une quarantaine d'heures (un peu courte selon les standards des mouvements conçus aujourd'hui). Alors, certes, le calibre Miyota faisait très bien son office avec l'OT. Cependant, le fait d'utiliser le calibre ETA est un vrai plus en terme d'image et assure un comportement plus homogène entre les différentes montres produites. Ce calibre n'est pas visible puisque le fond du boîtier est plein et de toutes les façons, il aurait été caché par le bracelet.
Le système de fixation du bracelet est vraiment très bien conçu. Le bracelet épouse efficacement le poignet et maintient fermement la montre. En revanche, il est conseillé au départ de mettre la montre au-dessus d'un lit... il faut un peu d'habitude pour fermer le bracelet sans risque!
La DD-1 est commercialisée à un prix de 1.850 francs suisses hors taxes ce qui en fait un tarif raisonnable compte tenu de la qualité de la montre et de sa singularité. Confortable, étonnante sans être délirante, beaucoup plus subtile que l'OT, la DD-1 est le résultat d'une démarche pleine de maturité de la part d'Emmanuel Dietrich. Comme son nom peut le laisser supposer, elle constitue la première pierre de toute une collection de montres qui embarqueront différentes complications. C'est peut-être sur ce point-là que le passage au Swiss Made prend tout son sens. Au-delà de l'aspect qualitatif, le Swiss Made ouvre un large éventail de possibilités ce qui ne peut que réjouir le designer qu'est Emmanuel Dietrich.
Les plus:
+ la qualité de l'exécution compte tenu du prix
+ une réussite esthétique, à la fois originale et subtile
+ le système de changement de bracelet
+ le confort au porter
Les moins:
- la réserve de marche du mouvement, courte selon les standards actuels
- un boîtier un peu trop épais