On s'en doutait, le prototype RD#2 présenté lors du SIHH 2018 n'allait pas rester sans suite et c'est en toute logique que la version commercialisée fut présentée une année plus tard. Ce n'était certes pas une mince affaire car il y a toujours une grande différence entre la fabrication de prototypes et la production homogène d'un certain nombre d'exemplaires surtout lorsque la montre en question est le quantième perpétuel automatique le plus plat au monde. En tout cas, tant que la montre restait en l'état de prototype, il restait un goût d'inachevé. Pour moi, un record ne peut être validé que si la montre est commercialisée et disponible. Sinon, on reste dans le domaine du concept. La mission est accomplie pour Audemars Piguet. La Royal Oak Quantième Perpétuel Automatique Extra-Plat 26586IP est maintenant livrée à ses clients depuis plusieurs semaines et elle est aussi impressionnante que le prototype dont elle découle.
En fait, cette montre est très convaincante car elle s'inscrit dans une logique. La vocation de la Royal Oak, telle qu'elle fut imaginée par Gérald Genta, est d'être une montre élégante, fine et élancée. Et d'ailleurs, les Royal Oak Quantième Perpétuel qui furent dévoilées par la suite étaient également dans cette même démarche esthétique. Le contexte était favorable et la quête du record de finesse avait du sens avec une telle montre. Encore fallait-il y parvenir. Nous le savons tous: chaque dixième de millimètre de gagné dans le cadre d'un mouvement mécanique relève de l'exploit. Il faut optimiser tous les éléments, mobiles ou non: roues, pignons, ponts mais très vite les contraintes apparaissent: des hauteurs minimum sont requises pour que le mouvement fonctionne avec fiabilité et performance.
C'est la raison pour laquelle Audemars Piguet est allé plus loin que cette pure optimisation en changeant l'architecture du mouvement qui offre une structure plus rationnelle et intégrée. Le calibre 5133 qui anime la Royal Oak Quantième Perpétuel Automatique Extra-Plat possède une épaisseur de 2,89mm ce qui est une performance significative compte tenu du système de remontage et de la complication. Imaginez la prouesse: l'épaisseur du boîtier est de 6,3mm soit plus de 3mm de gagné par rapport à une Royal Oak Quantième Perpétuel traditionnelle. Ce résultat a été obtenu grâce au rassemblement des fonctions du calendrier perpétuel sur un seul plan au lieu des trois niveaux habituels. Deux brevets témoignent de cette meilleure intégration: l’intégration de la came de fin de
mois à la roue de date et l’association de la came des mois à la roue
des mois.
Ce qui est remarquable avec cette montre est que le résultat a été atteint sans concession du point de vue pratique. La couronne se manipule comme une couronne normale. Les fonctions traditionnelles du quantième perpétuel d'Audemars Piguet sont bel et bien présentes avec cependant une organisation différente du cadran: les phases de lune sont au sommet du cadran (habituellement à sa base) et les quantièmes sont à 6 heures au lieu de 3 heures ce que je préfère: je trouve la lecture de la date facilitée ainsi. A noter que l'affichage des années bissextiles est à côté du sous-cadran des mois au lieu d'être à l'intérieur et la présence d'un indicateur jour&nuit très pratique pour le réglage en sécurité des fonctions du quantième perpétuel. Mais surtout, les affichages ont été élargis ce qui permet d'améliorer sensiblement la lisibilité, surtout au niveau de celui des quantièmes qui reste l'affichage le plus important.
Si la référence 26586IP est la version de production du prototype RD#2, elle n'en est cependant pas le clone. Deux éléments distinctifs sont à souligner: la disparition du motif "Grande Tapisserie" remplacé par une finition bleu satiné du plus bel effet et l'utilisation d'un boîtier en titane qui remplace le boîtier en platine. La lunette en platine est toutefois conservée. De fait, la montre définitive est plus légère que le prototype: plus légère du point de vue du poids mais aussi visuellement parlant. Le retrait du motif du cadran donne finalement un aspect plus contemporain et favorise l'élargissement des affichages.
Je dois avouer que j'ai un sentiment mitigé sur l'alliance entre le titane et le platine. Je comprends l'intérêt de combiner deux matériaux de couleur neutre et qui ont des rendus différents. Cela donne beaucoup de subtilité et selon les conditions de lumière les contrastes peuvent être forts. En revanche, mettre une lunette en platine ne me semble pas être la meilleure idée pour une Royal Oak: le matériau prend les rayures facilement et est très délicat à polir. Or la lunette est la partie la plus exposée. Dans ces conditions, j'aurais préféré un boîtier entièrement en titane.
Une chose est certaine: du point de vue esthétique, la Royal Oak Quantième Perpétuel Automatique Extra-Plat est une véritable réussite. Elle est élégante, raffinée, contemporaine. Et surtout, malgré son style élancé (un diamètre de 41mm pour une épaisseur de 6,3mm), elle conserve une très belle présence au poignet. La qualité des finitions, le design typique de la Royal Oak, les jeux de lumière (l'aspect satiné du cadran, l'alternance des parties polies et satinées), le rendu réaliste de la lune contribuent à cette présence et au charme incomparable de la montre.
Le spectacle est également à la hauteur à l'arrière du boîtier. Nous ne sommes pas dépaysés puisque le mouvement 5133 a été développé à partir d'un calibre 2120 ce qui indique bien que l'essentiel du travail s'est concentré sur le module spécifique de quantième perpétuel. La conséquence est que nous retrouvons les performances liées au moteur de base à savoir une fréquence de 2,75hz et une réserve de marche, malheureusement trop courte, de 40 heures. La présentation du mouvement est très soignée tout en évitant les effets spectaculaires inutiles. Audemars Piguet a privilégié une décoration monochrome et c'est une excellence idée, cohérente avec le design de la montre. J'ai beaucoup aimé le rendu du mouvement et son plus grand diamètre est un plus esthétique.
Audemars Piguet a donc incontestablement frappé un grand coup avec cette Royal Oak. Le record de finesse s'inscrit avant tout dans une démarche esthétique et le résultat est magnifique. La montre dégage une atmosphère à la fois technique et élégante et décrit d'une certaine façon l'ambition future de la manufacture. Le travail effectué sur le mouvement apporte la preuve de toute sa capacité de développement et d'amélioration de l'existant. La référence 26586IP est extrêmement innovante mais elle n'oublie pas les racines et les fondamentaux de la marque. Elle se situe dans le prolongement esthétique des autres Royal Oak Quantième Perpétuel tout en offrant des petites évolutions stylistiques qui ont du sens. Une fois mise au poignet, la référence 26586IP surprend par son confort, son style élancé et surtout sa lisibilité. Si je ne devais retenir qu'un seul élément, je saluerais l'effort fait sur l'agrandissement de l'affichage des quantièmes. Car une montre à quantième perpétuel dont les quantièmes sont illisibles perd tout son sens. Et on en connaît beaucoup dans ce cas. Audemars Piguet n'a pas perdu les objectifs pratiques dans sa quête du record de finesse et c'est ce qui rend cette montre si aboutie et si séduisante. Son prix est malheureusement (et logiquement) à la hauteur du sommet atteint: 140.000 francs suisses hors taxes. Mais je ne suis pas très inquiet: portée par sa beauté, son contenu technique et le Grand Prix de l'Aiguille d'Or obtenu lors du GPHG 2019 il y a quelques semaines, elle n'aura aucun mal à trouver des clients. C'est plutôt ces derniers qui auront du mal à l'obtenir.
+ une réussite technique au service d'une esthétique
+ l'organisation du cadran et l'affichage élargi des quantièmes
+ une décoration raffinée et sans effet inutile
+ le confort au porter
Les moins:
- la lunette en platine est un piège à rayures
- la réserve de marche, trop courte particulièrement pour une montre à quantième perpétuel