Ce que j'apprécie avant tout dans l'horlogerie indépendante, c'est sa capacité à développer les projets les plus ambitieux qui explorent de nouvelles façons de lire l'heure. Je ne vais pas vous raconter d'histoires: il n'y a rien de plus lisible et compréhensible que les deux bonnes vieilles aiguilles qui tournent. Mais l'horlogerie mécanique créative n'est pas uniquement pratique. Elle offre bien plus que cela: elle propose une nouvelle relation par rapport au temps qui passe et c'est sur ce territoire que la toute nouvelle marque Genus s'engage. Genus (genre en anglais) a été fondée par Catherine Henry, chef d'entreprise, responsable du lancement et du développement de la marque et par Sébastien Billières, horloger et formateur, au cv impressionnant, qui a appris et exercé son métier notamment au sein de Roger Dubuis ou d'Urwerk. Son expérience s'est par la suite consolidée grâce à sa société de sous-traitance qui oeuvre dans le développement de complications et de mécanismes pour les plus grandes marques horlogères.
Nous connaissons tous l'histoire: lorsqu'un horloger de talent travaille pour les autres, il finit toujours par désirer concrétiser ses propres idées. En fait les principes d'affichage mis en scène par Genus ont germé dans l'esprit de Sébatien Billières il y a 10 ans. Et après 3 ans de développement et de test, voici donc en cet été 2019 la première montre de Genus: la GNS 1.
En fait, s'il fallait résumer en quelques mots la GNS 1, je pourrais dire qu'elle représente la rencontre entre deux mondes. D'un côté celui des affichages alternatifs, sous certains aspects surprenants voire déroutants. De l'autre celui de la pure tradition horlogère qui s'exprime à travers un mouvement de base d'architecture classique et aux finitions de très haut niveau. C'est cette rencontre qui rend la GNS 1 passionnante. Côté "face", elle nous plonge dans un univers extrêmement technique et contemporain, composé de rouages, de structures, d'étranges éléments mobiles, le tout magnifié par des effets de profondeur et de lumière saisissants. Côté "mouvement", la GNS 1 est beaucoup plus paisible et classique tout en partageant le même souci du détail.
J'ai ressenti plusieurs sentiments en découvrant la GNS 1 et en la manipulant pour la première fois. Tout d'abord, je fus surpris par l'impact de la lumière sur les éléments de l'affichage du fait de l'utilisation d'un verre saphir box qui permet d'éclairer efficacement et en profondeur le côté face de la montre. Vous noterez que je n'emploie pas le terme de cadran et pour cause: il n'y en a pas. Ce fut d'ailleurs mon deuxième sentiment: l'affichage du temps et le mécanisme ne font qu'un. J'ai très vite apprécié par la suite les proportions. Le diamètre du boîtier est de 43mm, sa hauteur de 13,1mm. Ce sont des tailles somme toute raisonnables car quel que soit le côté de la montre, tout l'espace disponible semble bel et bien occupé. En effet, le mouvement, à remontage manuel, possède un diamètre propre de 38mm ce qui, au-delà de ses finitions, le rend très agréable à observer. L'obstacle du mouvement trop petit qui anime une grande complication est évité et c'est une excellente nouvelle.
Et puis très vite, je me suis posé la question que j'aurais d'ailleurs dû me poser en premier: mais comment lit-on l'heure?
La GNS 1 combine 3 affichages. En théorie, un seul pourrait être indispensable: celui des index des heures situés en périphérie de la montre sur un anneau qui effectue une rotation constante. Cet affichage indique les heures grâce à l'aiguille fixe à 9 heures. Cependant, la position de l'anneau apporte aussi une indication sur les minutes: si par exemple, l'aiguille fixe est face au milieu du segment entre deux index, c'est parce que nous sommes proches de la demi-heure. Cet affichage est véritablement surprenant. Sur les photos, vous remarquerez que tous les chiffres sont orientés dans le bon sens. L'astuce est qu'au fur et à mesure que l'anneau se déplace, les index pivotent sur eux-mêmes à quatre reprise d'un quart de tour. Pour moi, cet affichage orbital qui effectue une révolution et qui supporte douze index qui tournent sur eux-mêmes rappelle le passé de Sébastien Billières chez Urwerk. J'aime beaucoup cette idée qui constitue un des deux brevets fondamentaux développés par Genus.
Si le premier affichage peut à la rigueur se suffire à lui-même, la lecture précise des minutes nécessite d'autres indicateurs. C'est le rôle joué par la zone centrale, dédiée aux dizaines des minutes et par le compteur rotatif à 3 heures consacré aux unités.
L'affichage des minutes est donc séquentiel: les dizaines d'abord, les unités ensuite. La pierre angulaire de la montre qui crée sa principale spécificité est constituée de deux orbites centrales qui forment un huit. Les dizaines de minutes sont affichés grâce à la position de l'indicateur de tête de l'élément mobile qui ressemble à une sorte de chenille à 12 segments. Cette chenille bouge donc de façon constante et le plus surprenant est qu'elle est capable de passer librement d'une orbite à l'autre (c'est le second brevet développé par Genus). Le mouvement de la chenille se comprend en tournant la couronne pour accélérer le temps: elle s'enroule, suis les courbes des orbites et dessine les contours du huit. La position de la tête indique ainsi la dizaine de minutes en cours et l'unité peut aussi se devenir en fonction de cette position. La lecture précise des unités est obtenue grâce à un disque tournant à 3 heures qui place la minute en cours en face d'une aiguille fixe.
Le fonctionnement de l'affichage en tournant la couronne:
Le fonctionnement de l'affichage en tournant la couronne:
La tête de la chenille donne son nom à la marque puisqu'elle s'appelle elle-même "le Genus". Cela s'explique aisément: la volonté des fondateurs de Genus est de réutiliser ce type d'affichage dans les futurs modèles de la marque. Il offre de grandes libertés et pourra s'adapter à n'importe quelle forme, pas uniquement le 8 constitué par les deux orbites.
J'ai beaucoup aimé l'esthétique du côté face de la montre ainsi que cette intégration entre les affichages et le mécanisme. Les finitions sont très belles et les reflets de lumière permettent à certains détails de se détacher. La sensation de profondeur et les entrelacs mécaniques donnent un sentiment d'une extrême complexité et renforcent l'atmosphère technique. La montre ne s'adresse pas aux amateurs d'esthétique pure mais le résultat est extrêmement séduisant et convaincant. La lisibilité est dans ce contexte correcte (surtout en s'appuyant sur l'affichage à 9 heures) mais perfectible. Je pense que Genus devrait travailler à améliorer le contraste pour que les chiffres des index des heures se distinguent mieux et que la tête de la chenille soit aussi plus facilement perceptible. J'ai eu du mal à différencier la tête de la queue de cette dernière.
L'objectif de définir un nouvel affichage est dans tous les cas atteint. La GNS 1 possède ainsi sa propre identité et une esthétique en constante évolution car la forme de la chenille change en fonction de son évolution sur les orbites.
Le spectacle offert par le mouvement est radicalement opposé. Tout d'abord, j'apprécie beaucoup la taille du calibre à remontage manuel qui occupe largement l'espace. L'autre point qui me séduit est le grand diamètre du balancier. En fait, l'équipe Genus a adopté un mouvement à l'architecture traditionnelle. La fréquence est basse (2,5hz), le barillet est imposant et je dois avouer que j'ai toujours eu un faible pour ce type de calibre. Il délivre beaucoup de puissance (ce qui est requis par l'affichage) et offre une très grande stabilité de comportement. Sa réserve de marche dans ce contexte est d'une cinquantaine d'heures ce qui est tout à fait acceptable.
La présentation du mouvement est superbe. Au-delà de son organisation, il propose de très belles finitions et décorations faites à la main. La montre photographiée est un prototype mais offre déjà un très bel aperçu du résultat final. J'ai particulièrement aimé la finition des ponts ainsi que leurs anglages, les teintes du mouvement qui donnent un aspect plus contemporain et quelques détails très originaux. Par exemple, la roue de couronne comporte un petit outil trilobé qui est utilisé pour démonter le rochet. J'aime aussi beaucoup le contraste entre le pont de la roue d'échappement et le pont traversant du balancier. J'ai cependant un reproche à formuler. Compte tenu du prix annoncé de la montre (288.500 CHF HT), j'aurais souhaité que le pont de rouage soit plus aérien et offre plus d'angles rentrants. En tout cas, le mouvement fonctionne parfaitement dans le cadre de la mission qui lui est confiée: il se remonte avec plaisir et délivre la puissance et la régularité requises.
Genus frappe donc les esprits avec sa première montre. La GNS 1 interpelle d'abord puis séduit par sa construction rigoureuse et son approche respectueuse des traditions horlogères comme le prouve l'utilisation de matériaux nobles. L'or est ainsi présent partout: dans le boîtier, les ponts et platines du mouvement ainsi que dans les éléments de l'affichage. La montre est logiquement lourde. Mais elle se porte avec grand confort du fait des cornes courtes et incurvées. Le diamètre est certes important mais comme l'affichage occupe tout l'espace (il n'y a littéralement pas de lunette), il se dégage de la GNS 1 une sensation d'équilibre. Il est aussi important de considérer que la proposition de Genus a du potentiel compte tenu de la capacité de la chenille à évoluer dans d'autres contextes. Enfin, un climat de confiance et de pérennité entoure la démarche de Genus: la société de sous-traitance de Sébastien Billières apporte une sécurité que n'aurait pas une nouvelle marque démarrant de zéro.
Je fus donc très séduit par cette première montre proposée par Genus. Elle n'est certes pas parfaite et des points doivent selon moi être travaillés comme la lisibilité et l'ouverture du mouvement. Mais le fonctionnement de la chenille est réellement bluffant et la présentation de l'affichage très aboutie. Genus est pour moi une marque à suivre compte tenu du potentiel qu'elle recèle.
Les plus:
+ l'innovation apportée par le déplacement de la chenille
+ la qualité des finitions
+ une utilisation optimale de l'espace et ce, des deux côtés de la montre
+ le respect des traditions horlogères
Les moins:
- la lisibilité des index des heures et de la tête de la chenille
- j'aimerais que la décoration du pont de rouage soit plus ambitieuse