Atelier Wen: Ji & Hao

Le problème de Kickstarter est que la multiplicité des projets horlogers qui cherchent à se financer via la plateforme rend très difficile la séparation du bon grain de l'ivraie. Fort heureusement, les montres en provenance de d'Atelier Wen n'ont pas échappé aux écrans radar et plusieurs médias ont ainsi pu présenter la singularité de la démarche. La récompense est au bout du chemin: l'objectif de la campagne de financement a été bouclé en moins de 24 heures. Bien évidemment, cette campagne se poursuit  (la fin est prévue pour le 13 novembre) et les prochains jours ne feront que confirmer cette belle lancée.


Mais quel est le secret de cette réussite? C'est très simple finalement: Atelier Wen propose bien plus que des montres mais une démarche originale allant à contre-courant des pratiques voire même des réflexes du marché: il s'agit, excusez du peu, de redonner des lettres de noblesse à l'horlogerie chinoise en définissant ce que serait l'incarnation d'une montre chinoise contemporaine de qualité. La tâche semble pourtant insurmontable. De prime abord, l'industrie horlogère chinoise est synonyme de production de masse, de montres d'entrée de gamme à la qualité suspecte voire même dans le pire des cas de manufacture universelle de la contrefaçon. Cette vision caricaturale met de côté deux points importants: l'industrie horlogère dans son ensemble utilise  très fréquemment des composants fabriqués en Chine et les standards de qualité de certains prestataires chinois n'ont pas à rougir face à ceux d'autres pays. Et Atelier Wen va s'appuyer sur ce réseau de prestataires pour bâtir son ambition.


A ce stade, le projet semble déjà singulier. Mais ce qui le rend totalement incroyable, c'est ce que ses deux instigateurs sont deux jeunes français, Robin Tallendier et Wilfried Buiron. Alors évidemment, créer une montre célébrant la culture chinoise depuis la France et entre Français n'était pas concevable.C'est la raison pour laquelle ils ont très vite veillé à intégrer des personnes chinoises dans leur équipe et à oeuvrer depuis la Chine. Un tel projet nécessite un vrai doigté. Il s'agit avant tout d'une démarche multiculturelle et absolument pas d'un choc de cultures. Robin et Wilfried durent d'abord s'imprégner de la réalité de la culture chinoise, comprendre les codes pour ne pas imaginer une montre occidentale aux accents orientaux... ce qui aurait été un échec. Et puis il a fallu apprendre à travailler avec des collègues et des fournisseurs chinois. Une chose est certaine: avant même la réussite de la campagne Kickstarter, Robin et Wilfried pouvaient être fiers de l'acquisition d'expérience et de savoir-faire que le projet a pu générer.

Visiblement, la conduite du projet dans cet univers multiculturel a été maîtrisée car les deux montres qui en sont issues sont convaincantes et séduisantes. Elles le sont car à aucun moment la partition n'est surjouée. J'ai le sentiment que l'équipe d'Atelier Wen a trouvé le bon ton car ils se dégagent de l'observation des montres Ji (la bleue) et Hao (la blanche) un sentiment d'équilibre et d'harmonie, une sorte de quiétude orientale qui correspond parfaitement à l'atmosphère recherchée. 


Le risque aurait été d'ajouter à une base horlogère classique (et donc très occidentale) des éléments culturels chinois sans lien. Atelier Wen est parvenu à créer des montres cohérentes et inspirées grâce aux talents de Li Mingliang et Liu Yuguan, les deux designers qui ont rejoint l'équipe.

Deux éléments esthétiques sont fondamentaux dans cet aboutissement: le cadran en porcelaine et le fond gravé du boîtier qui définissent l'identité des deux montres. Au premier coup d'oeil, elles ressemblent beaucoup à des montres traditionnelles suisses des années 50 avec une petite trotteuse à 6 heures. Alors, Atelier Wen ne serait pas en contradiction avec son objectif? En fait l'équipe est revenu aux sources de l'horlogerie chinoise dont la première montre fut fabriquée à Tianjin en 1955. Et cette montre était fortement inspirée par les marques suisses qui étaient populaires en Chine avant la fin de la guerre civile.

Ce cadre étant défini, Atelier Wen a consacré beaucoup de soin au design du cadran. Les deux cadrans disponibles différent à la fois par leurs couleurs et par leurs esthétiques. Le cadran blanc est mon préféré. Ses codes couleurs rendent hommage au style Qinghua-Ci. Le secteur de la trotteuse est décoré avec des caractères issus du Dizhi et qui symbolisent le lever et le coucher du soleil. L'intensité des couleurs est pour moi parfaite. Le bleu est ainsi très bien dosé, plus pâle que ce l'on retrouve habituellement sur les cadrans de couleurs similaires. L'ensemble m'évoque bien certains vases ou porcelaines chinois sans tomber dans le kitsch. La graduation périphérique est ravissante et originale. J'aime aussi beaucoup les deux traits dans le secteur de la trotteuse qui relient les symboles car ils apportent une jolie dynamique sur le cadran. Ce cadran est une vraie réussite.


Le cadran bleu est également abouti. Le chemin de fer périphérique est particulièrement bien fait, utilisant un motif chinois traditionnel, le Huiwen. Le secteur de la trotteuse est aussi décoré avec des caractères liés au concept du Bagua. En revanche, le cadran bleu se distingue du cadran blanc par la présence d'index bâton ou demi-sphères appliqués. Ces demi-sphères donnent une dimension qualitative supérieure au cadran bleu par rapport au blanc. Cependant, j'ai trouvé la montre "blanche" plus lumineuse, plus lisible, plus agréable que la bleue. J'ai peut-être été aussi plus sensible à la beauté des aiguilles feuilles bleuies que celles avec une finition poli miroir.

Si les montres Ji et Hao se distinguent par leurs cadrans, elles sont en revanche similaires sur tous les autres aspects y compris le fond du boîtier. Très souvent, pour des raisons commerciales, les projets présents sur Kickstarter proposent des montres à fond transparent pour offrir une vue sur le mouvement et renforcer la dimension "mécanique" même si le calibre n'a pas grand intérêt. Fort heureusement, Atelier Wen a évité cet écueil et proposé une solution bien plus satisfaisante: un fond gravé du plus bel effet représentant la créature légendaire, le Kunpeng, un oiseau qui peut se transformer en animal aquatique et qui peut être considéré comme une allégorie du Yin Yang. Cette gravure comporte une finition polie et sablée et le résultat est vraiment bluffant... et cohérent avec l'esprit des montres.


Le boîtier, réalisé en acier 316L, a une présentation classique. Son diamètre est de 39mm ce qui est très équilibré et permet de positionner de façon harmonieuse le sous-cadran de la trotteuse. Les cornes sont  présentes  visuellement mais heureusement la fixation du bracelet est proche du boîtier. La hauteur du boîtier est relativement importante (11,7mm) mais ce n'est guère gênant. Elle s'explique notamment par l'épaisseur du cadran. J'aurais cependant aimé  un peu plus d'élégance et de finesse mais le cadran remplit son office efficacement. La finition "poli-brossé" apporte en outre un peu de subtilité.

Dans le contexte de l'ambition d'Atelier Wen, seul un mouvement chinois pouvait être choisi pour animer les montres Ji et Hao. Alors que de nombreux mouvements chinois existent, l'offre proposant une petite seconde à 6 heures est réduite et de qualité hétérogène. Atelier Wen, après une sélection rigoureuse, a porté son choix sur le mouvement Dandong Peacock SL-3006 qui répondait aux exigences du cahier des charges tout en offrant un comportement stable, des performances correctes (une réserve de marche de 41 heures pour une fréquence de 4hz)  et des possibilités de modification et d'amélioration. Par exemple, le mécanisme de date a pu être totalement retiré afin d'éviter une position inutile de la couronne. Compte tenu de l'esthétique des montres, j'aurais à titre personnel préféré un mouvement à remontage manuel. Mais ce mouvement automatique offrait le meilleur compromis. Atelier Wen a d'ailleurs exigé de la part du fournisseur des critères de tests plus exigeants.


J'ai découvert les deux montres d'Atelier Wen il y a quelques semaines lorsque j'ai rencontré Robin Tallendier à Paris. Je fus séduit par la qualité de fabrication, par le design de caractère et harmonieux (avec un gros coup de coeur pour la montre blanche) et peut-être plus encore par la démarche. J'ai envie de dire: enfin un projet qui a du sens et une ambition originale, qui va plus loin que de vouloir créer simplement une montre qui se vend. Des montres chinoises de qualité, de haut niveau, j'en ai déjà vu. Ne serait-ce qu'avec les horlogers chinois qui exposent sur le stand de l'AHCI à Bâle. Mais Atelier Wen parvient à nous réconcilier avec l'horlogerie chinoise tout en restant dans des prix très raisonnables (il faudra compter autour de 620 euros HT en dehors de la campagne Kickstarter. Le prix Early Bird est toujours disponible au moment où je publie l'article). Les deux montres sont perfectibles (la couronne est trop petite mais cela va être revu), le boîtier m'est apparu comme manquant de finesse mais le résultat est vraiment très séduisant et apporte un vent nouveau dans le monde horloger. La mission est accomplie: Atelier Wen nous permet de porter un regard différent sur l'horlogerie chinoise et ce n'était pas une mince affaire. La preuve? Tout simplement, on peut porter avec plaisir une Ji ou une Hao tout en revendiquant fièrement leurs origines.

A noter que la livraison des montres est prévue pour le printemps 2019 .

Les plus:
+ la qualité et la présentation des cadrans en porcelaine
+ la très belle gravure du fond du boîtier
+ les finitions qualitatives
+ le mouvement amélioré selon les standards d'Atelier Wen

Les moins:
- un boîtier qui manque un peu de finesse
- une couronne qui est difficile à manipuler (mais ce point sera revu dans la version finale)