Depuis plusieurs années, l'horlogerie française connaît un véritable renouveau. Enfin, pour être plus précis, je devrais plutôt parler de la dynamique impulsée par des créateurs et entrepreneurs français car dans la plupart des cas, leurs montres ne peuvent pas être qualifiées de "montres françaises". Maintenant, ce qui compte le plus pour moi, ce n'est pas le pays de rattachement mais l'intérêt et le pouvoir de séduction des projets. Une démarche horlogère n'a de sens que si elle apporte quelque chose de nouveau. C'est justement dans cette logique que s'inscrit Trilobe, la marque créée par Gautier Massonneau.
L'ambition du jeune chef d'entreprise français est de non seulement réinventer l'affichage du temps mais également de redéfinir les relations qui peuvent exister entre une marque et sa clientèle. De fait, Trilobe est un projet qui englobe à la fois un produit et une stratégie de commercialisation et de relation avec les collectionneurs.
Trilobe effectue ses premiers pas par le biais de sa série inaugurale "Les Matinaux" qui sera éditée en une centaine d'exemplaires et disponible en trois couleurs de cadran différentes: argenté, gris et bleu. L'idée principale est de renouveler l'affichage du temps en supprimant l'utilisation d'aiguilles, remplacées par des index fixes et des disques mobiles.
Autant le dire tout de suite: un affichage basé sur un tel système n'est ni nouveau ni innovant. On le trouve de nos jours par exemple sur une Seiko Discus. Bien évidemment toutes les montres à index fixes des années 70 nous reviennent aussi à l'esprit. Elles furent produites en masse à l'époque des derniers soubresauts de l'horlogerie mécanique qui luttait alors pour sa survie face au quartz. Cependant, le cadran d'une montre Trilobe se distingue de ces exemples. Tout d'abord les disques ne sont pas concentriques ce qui est loin d'être anodin. Ensuite, les index fixes ne sont pas alignés.
En fait, de façon traditionnelle une montre à index fixes se présente avec un repère unique horizontal (comme sur une Discus) ou vertical (comme sur une Klokers). En logeant les repères entre les disques et du fait des positionnements décalés des disques, le cadran d'une montre Trilobe crée une dynamique stylistique en esquissant un mouvement non rectiligne de type sud-ouest vers nord-est.
J'aime beaucoup cet effet visuel qui est le point fort de cette pièce. Le rendu uniforme et rigide des montres de ce type est chamboulé et l'asymétrie apporte du caractère et un certain intérêt esthétique. De plus l'emplacement des index fixes semble aléatoire. Les trois index ne sont pas alignés alors que rien ne l'empêchait du point de vue technique. Ces petits décalages entre les index donnent de la fantaisie et du caractère sans nuire à la lisibilité: après tout, les index restent suffisamment proches pour éviter que notre regard ne se perde en différents endroits du cadran.
Ce dernier se présente comme une alternance d'éléments mobiles et de zones fixes tout en respectant l'ordre habituel imposé par un mouvement mécanique classique: les secondes sur le petit disque puis les minutes sur le disque intermédiaire et enfin les heures en périphérie. L'influence esthétique médiévale que Gautier Massonneau a souhaité distiller se retrouve dans la grande rosace du disque des secondes et dans les index fixes.
La grande rosace a trois vertus: elle décore le cadran comme une cathédrale, elle anime le cadran et elle crée une ouverture sur le mécanisme du module d'affichage, rajoutant ainsi une touche de dimension technique à la montre. Les index reproduisent le logo de la marque qui explique d'ailleurs son nom: Trilobe. Il s'agit en fait du contour d'une rosace trilobée dont la forme est cohérente avec la présence de la rosace mobile.
Cette inspiration médiévale est originale et raffinée. Elle apporte de la singularité à une montre qui aurait pu apparaître comme trop rigoureuse voire austère. Cependant, compte tenu de leur petite taille, les index trilobés ressemblent à des coeurs et se rajoutant à l'esthétique évidemment florale de la rosace, l'ensemble m'est apparu comme un peu trop féminin à mon goût. En tout cas, la finition du cadran est irréprochable: les chiffres sont inscrits avec finesse et précision et j'ai aimé le léger contraste entre les zones fixes et les éléments mobiles.
Le boîtier de la série "Les Matinaux" est disponible en acier avec un diamètre de 41,5mm. Ce diamètre a été choisi avec soin: il est suffisamment important pour permettre une bonne lecture de l'heure tout en restant dans des dimensions à peu près raisonnables. La contrepartie de ce diamètre qui dépasse les 40mm est qu'il augmente la taille des disques (ce qui est logique pour améliorer la lisibilité). La montre nécessite alors un module d'affichage performant qui optimise la consommation d'énergie.
Le mécanisme de la montre est ainsi composé d'un calibre de base ETA2892-A2 qui alimente le module exclusif développé par Chronode, la société de Jean-François Mojon. L'objectif du module est de gérer et d'animer les trois disques non concentriques dédiés à l'affichage. Son efficacité semble excellente puisque la réserve de marche annoncée du mécanisme (42 heures) est similaire à celle du calibre de base sans module.
Le calibre est visible à travers le fond transparent du boîtier. Sa décoration reste sommaire même si le logo trilobé se retrouve sur la masse oscillante et que la forme trilobée entoure la surface vitrée. Je pense sincèrement qu'un fond plein joliment décoré aurait été plus pertinent mais des raisons commerciales ont poussé à rendre visible le calibre de base.
Une fois mise au poignet, la première montre de Trilobe laisse un sentiment favorable. Elle dégage une sorte de quiétude du fait de l'absence d'aiguilles. Le temps semble s'écouler plus lentement ce qui est après tout une sensation fort agréable. Le mouvement de la rosace, le plus rapide sur le cadran, reste très discret compte tenu de sa forme. Quelle que soit la version, la série "Les Matinaux" offre des couleurs classiques et sans surprise mais l'atmosphère simple et délicate imposait cette approche de bon goût. Ma version préférée est la grise que je trouve très élégante. L'argentée est trop conventionnelle et la bleue me semble un peu trop répondre à une logique de mode actuelle.
La série initiale de Trilobe va être commercialisée à partir de la rentrée. Comme évoqué précédemment, une des ambitions de Gautier Massonneau sera de soigner particulièrement la qualité de la relation avec les clients. Les montres seront ainsi vendues à Paris dans un salon dédié près de la rue de la Paix. De plus, les montres seront remises à leurs propriétaires lors d'une cérémonie collective en présence de Jean-François Mojon afin de pouvoir rencontrer et discuter avec le créateur du module d'affichage. Après tout, pourquoi pas même si j'émets quelques doutes quant à la pertinence de cette approche. De nombreux collectionneurs préfèrent la discrétion et n'ont pas forcément envie d'une grande messe pour récupérer leurs montres.
Maintenant, le plus difficile commence pour Trilobe. Il s'agit justement de vendre la série et d'expliquer sa plus-value. Pour être franc, je la situe plus au niveau esthétique et de l'émotion que suscite cette montre classique non dénuée d'originalité qu'au niveau technique. De plus, il va falloir convaincre les acheteurs potentiels avec un prix autour de 7.500 euros pour une pièce animée par un mouvement ETA2892-A2 et un module certes exclusif. La tâche n'est pas simple mais la montre ne manque pas d'atouts.
Les plus:
+ une esthétique classique mais non dénuée d'originalité
+ une montre paisible au lent écoulement du temps
+ la finition simple et raffinée du cadran
Les moins:
- la finition austère du mouvement de base
- le prix reste somme toute élevé