Lionel Bruneau est un amateur d'horlogerie qui décida un jour de se lancer dans le grand bain en créant ses propres montres. Comme je le comprends! Pouvoir faire aboutir ses propres idées et proposer à des clients potentiels le résultat d'une démarche personnelle est peut-être la plus belle aventure que puisse vivre un passionné. Les premières idées qui germèrent dans sa tête lui conduisirent à rencontrer des fournisseurs suisses du secteur pour étudier la faisabilité. Puis au gré des contacts, des échanges et de l'évolution de sa propre sensibilité, le projet se transforma en la définition d'une gamme complète de montres s'articulant autour de deux marques, Beaulieu et Ultramarine. Les montres font l'objet depuis plusieurs jours d'une campagne de financement via la plateforme Kickstarter avec comme objectif l'atteinte d'une récolte de fonds de 190.000 euros avant le 2 juillet. Si le nombre de contributeurs séduits par la démarche permet de dépasser ce seuil, les montres pourront alors être produites pour une livraison prévue en fin d'année.
Je dois avouer que la stratégie qui consiste à proposer deux marques et plusieurs montres distinctes au sein d'une même campagne est plutôt osée et peut même s'avérer perverse car les contributeurs ont généralement besoin d'un message clair avec une feuille de route bien tracée. Cependant, j'ai souhaité sortir de ce contexte et rencontrer Lionel Bruneau pour découvrir de plus près la montre qui selon moi présente le plus grand intérêt: l'Ultramarine Morse UTC. Et si une montre mérite d'être produite dans le lot, c'est bien celle-là.
Cela ne veut pas dire que les autres sont moins intéressantes, loin de là. Les montres de la campagne se caractérisent d'ailleurs par une qualité homogène. Cependant, la Morse UTC est la plus ambitieuse et aboutie esthétiquement parlant.
Si Beaulieu a pour vocation d'incarner la dimension habillée et élégante des créations de Lionel Bruneau, Ultramarine joue une partition d'inspiration plus professionnelle (comme les chronomètres de marine ou les montres de pilote). Cependant, le projet repose sur deux piliers communs: transparence et rigueur.
La transparence se manifeste à deux niveaux: transparence sur les coûts de production et transparence sur la provenance des éléments constitutifs de la montre. L'ambition, que dis-je, la raison d'être du projet est de créer des montres 100 % Swiss Made tout en conservant des coûts de production maîtrisés afin de rendre les prix de vente les plus accessibles possibles. Lionel Bruneau a ainsi constamment informé les personnes qui suivaient son aventure sur le forum français Forumamontres sur sa démarche élément par élément (cadran, aiguilles, boîtier, mouvement etc...) afin de rendre perceptible le niveau incompressible des coûts de production globaux si l'on veut concevoir et fabriquer une montre 100% Swiss Made qualitative.
Cette façon de faire se situe à l'opposé des pratiques de l'industrie. Globalement, les prix de vente sont définis par les positionnements marché puis les marges découlent des prix de production que les marques veillent à minimiser dans le cadre d'une définition du Swiss Made qui autorise quelques degrés de liberté "géographique".
Ce souci de transparence de la part de Lionel Bruneau est louable. Mais il comporte aussi quelques risques. En se dévoilant trop, le projet perd de sa magie, de son mystère et ce pilier de transparence peut finir par occulter l'autre pilier qui, pour moi, est le plus pertinent: celui de la rigueur.
La rigueur s'exprime elle aussi à deux niveaux: d'abord dans le choix des sous-traitants, puis dans l'approche esthétique. L'Ultramarine Morse UTC est la résultante logique de cette dimension.
J'étais séduit par la Morse UTC en photos, je le fus également en manipulant la montre. La pièce respire la qualité de façon incontestable avec deux atouts principaux: la finition du cadran, excellente dans ce segment de prix et celle du boîtier.
Le cadran de la Morse UTC est une vraie réussite. La finition soleillée, la précision avec laquelle le logo (pourtant compliqué à exécuter) est dessiné, la définition des chiffres, tous ces éléments contribuent au sentiment très favorable. Il en est de même avec le boîtier même si j'aurais préféré une alternance polie/brossée (qui sera de toutes les façons disponibles à la commande). La qualité du boîtier se ressent notamment dans l'inscription en relief des lettres de la lunette arrière: le travail est irréprochable.
Rigueur dans l'exécution mais aussi rigueur esthétique. Il y a quelque chose de germanique dans le design du cadran de la Morse UTC. La montre va à l'essentiel, élimine le superflu et pourrait presque tomber dans une austérité excessive si plusieurs détails ne contribuaient pas à dynamiser le tout. Tout d'abord, les reflets bleutés du cadran sont de toute beauté. Ensuite, l'organisation du cadran, est plutôt originale avec la trotteuse à 9 heures et le sous-cadran qui affiche les 24 fuseaux à 6 heures. J'aime ce côté asymétrique qui casse le côté strict. La police de caractère utilisée me plaît car je la trouve contemporaine et intemporelle. Enfin, les aiguilles principales se distinguent par leur forme, apparaissant comme une évolution moderne et luminescente des aiguilles Alpha.
Tout n'est cependant pas parfait car les deux aiguilles auxiliaires ont tendance à se perdre sur le cadran. Ce n'est pas grave pour la trotteuse mais c'est plus gênant pour l'affichage du second fuseau. Ce point est à retravailler tout comme la lisibilité du sous-cadran. Ce dernier manque de repère ce qui rend sa lecture confuse. En outre, je tiens à préciser que la couleur du guichet de date sera revue pour correspondre parfaitement à celle du cadran.
Les positions du guichet et des sous-cadrans indiquent que le mouvement est adapté au diamètre de 40mm du boîtier. C'est une excellente nouvelle qui rend le design de la montre équilibrée lorsqu'elle est portée. Le mouvement est indiqué sur le cadran: il s'agit du calibre Eterna 3914A qui découle, comme son nom l'indique, du calibre 39.
Le choix de Lionel Bruneau est sur ce point audacieux. Le calibre Eterna est certes bien né et très qualitatif mais n'est pas d'une large diffusion. Toutefois, des marques l'utilisent ou l'ont utilisé comme Sarpaneva ou Mauron-Musy. Maintenant, je salue cette prise de risque qui ne doit pas être vaine. En effet, j'apprécie qu'un nouveau projet s'appuie sur un mouvement qualitatif moins courant. Et puis ce choix est pertinent à double titre: d'abord parce que les performances sont intéressantes avec une bonne efficacité du remontage et une réserve de marche de 65 heures (pour une fréquence de 4hz) et parce que la présentation du mouvement est agréable. La finition est évidemment industrielle et simple mais la taille propre du mouvement, son architecture et la forme de la masse oscillante rend le spectacle offert par le fond transparent plus agréable que prévu.
J'ai eu l'opportunité de porter la Morse UTC pendant une bonne heure. Le test au poignet s'est avéré concluant. La montre est confortable et ses proportions sont pour moi tout à fait acceptables. Le diamètre est le bon: 40mm, c'est ni trop grand, ni trop petit et cela fonctionne bien avec le cadran. L'épaisseur est un peu élevée (12mm) mais n'est guère choquante surtout avec une montre à second fuseau et avec un style moins formel. Le bracelet est perfectible mais ses dimensions sont bien pensées (20mm/20mm). Il maintient fermement la montre et la boucle complète joliment le design. Enfin, le verre est d'une belle qualité et soutient la lisibilité des aiguilles principales de la Morse UTC.
Je n'ai donc aucune hésitation de mon point de vue: l'Ultramarine est la montre la plus aboutie et séduisante du projet de Lionel Bruneau. Sans être d'une folle originalité, elle offre plusieurs détails qui la distinguent du lot sans oublier son prix d'appel attractif (1.360 euros HTVA). Elle m'apparaît donc comme le porte-drapeau idéal de la démarche Swiss Made et rigoureuse de son créateur. J'espère donc que la campagne Kickstarter permettra à cette montre d'être produite et livrée en fin d'année. Cela me ferait plaisir de voir un projet personnel qualitatif aboutir.
Les plus:
+ une qualité perçue excellente dans un contexte tarifaire très raisonnable
+ la finition et la présentation du cadran
+ la lisibilité des aiguilles principales
+ les performances du calibre Eterna 39
Les moins:
- la lisibilité du sous-cadran du second fuseau
- la faible diffusion du mouvement