Le SIHH 2017 avait été marqué par l'annonce du décès de Walter Lange, qui fut bien plus que l'artisan, avec Günter Blümlein, de la renaissance de Lange & Söhne. Walter Lange était un guide spirituel, un lien entre le passé de la marque et son présent et un formidable vecteur de passion et de connaissances à l'attention des nouvelles générations. Rien ne lui faisait plus plaisir que de transmettre son savoir aux jeunes horlogers en formation dans les ateliers de la manufacture. Il incarnait aussi une certaine idée de l'horlogerie, une horlogerie discrète et efficace, mettant en valeur la précision des mécanismes et des affichages. Il aurait été simple finalement pour Lange & Söhne de créer une montre superlative et compliquée dédiée à cette personnalité si marquante. Mais le meilleur hommage qui pouvait lui être rendu était de concrétiser une des idées qui lui tenaient à coeur: une montre, en série limitée, qui met en scène une invention de Ferdinand Adolph Lange datant de 1867 et consistant en une seconde centrale sautante et indépendante pouvant être stoppée et redémarrée grâce à un poussoir.
Il faut donc tirer un coup de chapeau à l'équipe Lange & Söhne pour avoir concrétisé un tel projet. Soyons clairs: cette montre s'adresse avant tout aux collectionneurs en offrant une complication que l'on qualifiera de subtile et qui nécessite le développement coûteux d'un mouvement spécifique. Je ne suis même pas sûr que la sortie de cette série limitée soit rationnelle du point de vue financier. Mais il y a des raisons qui font oublier les raisonnements froids et logiques. Le strict respect du projet défini par Walter Lange était la seule voie possible, sans compromis ni détournement et Walter Lange méritait un tel hommage.
Tout l'intérêt de la 1815 "Homage to Walter Lange" réside dans son ambigüité. Elle apparait à la fois simple et complexe. De prime abord, elle ressemble beaucoup à une 1815 simple. Je retrouve sur son cadran tous les éléments du design habituel de la collection 1815: les chiffres arabes, le chemin de fer périphérique, les aiguilles Alpha... mais très vite deux détails d'importance apparaissent et nous confirment que nous ne sommes pas face à une 1815 comme une autre: la seconde centrale et le poussoir à deux heures.
La seconde centrale est rarement utilisée chez Lange & Söhne: seule la Richard Lange en possède une. Mais celle de la 1815 "Homage to Walter Lange" est particulière: elle est non seulement sautante mais elle peut également être stoppée et redémarrée par le biais du poussoir à deux heures. L'intérêt d'une telle complication est de permettre la mesure de temps très courts et de façon précise à la seconde grâce au positionnement parfait de la trotteuse face aux graduations de la minuterie. La trotteuse peut aussi être utilisée de façon permanente comme une montre classique à seconde morte (ou sautante selon la terminologie de Lange & Söhne). Dans ce cas, le propriétaire de la montre, s'il est rigoureux, veillera à caler cette trotteuse centrale sur la petite seconde à 6 heures, une tâche aidée éventuellement par le stop-seconde de cette dernière. En revanche, aucune des deux trotteuses ne peut être remise à zéro. J'aurais aimé que cela puisse se faire avec la trotteuse centrale par le biais du poussoir, comme un chronographe mono-poussoir, afin de pouvoir rendre cette complication plus pratique. En tout cas, une fois synchronisées, le ballet des deux trotteuses est très agréable à observer.
Le diamètre du boîtier est de 40,5mm soit le même que celui d'une Richard Lange. La 1815 "Homage to Walter Lange" est donc plus grande que la 1815 simple qui n'est disponible aujourd'hui qu'avec un diamètre de 38,5mm. La taille est idéale pour profiter pleinement de l'animation apportée par la trotteuse centrale sautante. Le poussoir latéral est bien intégré, ne nuisant pas à l'élégance discrète traditionnelle de la 1815.
Le mouvement L1924 est à l'image de ce qui se passe côté cadran: il est simple et complexe à la fois. De fait, il offre un spectacle unique à son genre, comme une sorte de chronographe simplifié. Il ne possède certes pas le rendu si majestueux et enchevêtré du mouvement chronographe mais il n'en demeure pas moins très séduisant et pour le moins original.
3 éléments se distinguent nettement:
- le pont de la trotteuse centrale qui évoque celui que l'on retrouve sur la Richard Lange
- la roue à colonnes liée au mécanisme de démarrage et d'arrêt de la trotteuse centrale
- la roue située entre le pont de la trotteuse et le pont du balancier qui stocke l'énergie nécessaire au fonctionnement de la trotteuse et permet de la bloquer avant qu'elle n'effectue son saut à chaque seconde.
Le mouvement, composé de 253 pièces, possède une fréquence de 3hz et une réserve de marche de 60 heures. Il est bien évidemment fini selon les standards de la marque, c'est-à-dire excellemment. Cependant, c'est plus son architecture et les effets de relief qui attirent le regard. J'aime beaucoup les éléments au premier plan qui définissent la spécificité technique de la pièce.
Lange & Söhne rend une fois de plus hommage à Walter Lange en sortant de sa nomenclature habituelle pour définir la référence du mouvement: 1924 est en effet son année de naissance. Le jour et le mois (29 juillet) se retrouvent dans les références des versions des montres qui débutent toutes par 297. Mais ce n'est pas tout. En effet, les nombres de pièces disponibles symbolisent aussi des dates clé de l'histoire de la manufacture:
- les 90 montres en or rose rappellent que la société Lange Uhren GmbH fut établie le 7 décembre 1990, date officielle de la renaissance de la marque,
- le nombre de pièces disponibles en or jaune évoque les 27 ans qui séparent la présentation de la série limitée de la création de la société,
- enfin la renaissance de la marque a eu lieu 145 ans après la fondation de la manufacture ce qui définit le nombre de montres en or gris.
La star du SIHH 2018 fut pour Lange & Söhne le Triple-Split compte tenu de son contenu technique et de la complexité du mécanisme à rattrapante. Pourtant, c'est peut-être cette 1815 "Homage to Walter Lange" qui est peut-être la pièce la plus marquante. Du fait de sa portée sentimentale bien entendu. Et aussi grâce à sa réalisation et à son originalité derrière un design très classique. Je dois avouer qu'à titre personnel j'aurais aimé que Lange & Söhne soit plus audacieux du point de vue esthétique pour mettre en valeur de façon plus spectaculaire la trotteuse centrale. La montre reste visuellement très proche d'une 1815 simple. Mais c'est aussi sa force: elle est totalement fidèle à l'esprit de Walter Lange et ainsi, sans compromis ni évolution inutile. En tout cas, j'ai pris beaucoup de plaisir à la porter, notamment en comparant les comportements des deux trotteuses.
Enfin, Lange & Söhne a apporté une preuve supplémentaire que cette montre était vraiment spéciale. En effet, une pièce unique en acier et avec un cadran en émail noir sera vendue lors d'une vente aux enchères organisée par Phillips le 12 mai prochain à Genève. Les bénéfices de cette vente seront reversés à Children Action, une association caritative suisse qui vient en aide aux enfants à travers des projets menés dans le monde entier. La vente sera d'ailleurs un excellent indicateur de la perception qu'ont les collectionneurs de la valeur de Lange & Söhne. Une Lange en acier demeure très rare et le contexte de la 1815 "Homage to Walter Lange" la rend très désirable aux yeux des amateurs de la marque.
Les plus:
+ une montre hommage sans compromis qui respecte totalement l'esprit de Walter Lange
+ le comportement simultané des deux trotteuses
+ l'architecture et la finition du mouvement
+ une complication originale et rare
Les moins:
- la seconde centrale ne peut pas être remise à zéro
- j'aurais aimé un peu plus d'audace esthétique mais elle est ainsi fidèle à Walter Lange ce qui est le plus important