La Daytona à lunette Cerachrom noire peut être considérée comme le symbole de la collection 2016 de Rolex car elle était globalement attendue par les fans de la marque à la couronne et parce que sa présentation suscita un consensus positif. La nouvelle Air-King, c'est un peu l'effet miroir de la Daytona. Elle n'était absolument pas attendue dans cette configuration et elle provoqua des réactions très tranchées. C'est la raison pour laquelle je la trouve passionnante!
Ce qui a de fascinant avec Rolex, c'est sa faculté à surprendre et à se trouver là où on ne l'attend pas du point de vue esthétique alors que les ingrédients utilisés sont totalement connus et maîtrisés. C'est un peu le résumé de cette Air-King: pris un par un, chaque élément constitutif fait partie intégrante de l'univers Rolex. Mais c'est l'ensemble qui crée l'originalité et donc l'intérêt de la montre. En fait, Rolex effectue avec l'Air-King un virage sur l'aile, sans mauvais jeu de mot compte tenu du nom de la montre. Au fil du temps, l'Air-King était devenue la montre d'entrée de gamme de la collection, simple et de bon goût, adaptée aux petits poignets. Son retour s'effectue dans un contexte opposé. L'Air-King devient plus imposante et surtout plus segmentante. Elle n'a plus la dimension consensuelle de sa devancière au diamètre de 34mm et laisse à d'autres modèles de la collection la vocation d'incarner le moyen le plus abordable d'acquérir une montre de la prestigieuse manufacture.
A vrai dire, il ne s'agit plus du tout de la même montre au point de me demander pourquoi Rolex a souhaité conserver un tel nom. Après tout, ce retour s'effectue non pas dans un contexte aérien, malgré la communication de Rolex sur le sujet, mais bel et bien terrestre. En effet, le design du cadran est inspiré par les deux instruments de mesure (compteur de vitesse et chronographe) qui sont placés au sein du véhicule Bloodhound SSC dont l'objectif est de battre le record du monde de vitesse terrestre. Alors, pourquoi "Air-King"?
J'y vois deux raisons.
La première est que chez Rolex, les noms de collection ont un fort ancrage au sein du catalogue. Ils incarnent une histoire, des événements, des relations particulières entre les montres et leurs propriétaires. Un nom aussi célèbre que celui d'Air-King ne pouvait sortir du catalogue pendant de longues années.
La seconde est que le véhicule Bloodhound SSC est propulsé par un moteur-fusée lui permettant de dépasser les 1.000 miles à l'heure. Dans ce contexte, je relie plus le nom d'Air-King au concept de vitesse supersonique qu'à celui du véhicule terrestre. J'imagine donc que d'autres modèles pourront être développés autour de cette thématique et revenir ainsi dans les airs.
Le risque pour Rolex était que cette nouvelle Air-King fût perçue comme une montre de synthèse et non comme une montre possédant sa propre identité. En effet, en l'observant de près, j'y retrouve des éléments de l'Explorer (les aiguilles y compris la trotteuse, les chiffres 3-6-9 en relief) et de la Milgauss (le boîtier et le mouvement) donnant ainsi le sentiment d'être en face de l'improbable croisement entre ces deux montres de référence.
Et puis, un élément fait toute la différence et loge l'Air-King dans son propre univers: le cadran. Rolex a travaillé sur deux points précis: les chiffres et les couleurs. En fait, le cadran combine les esthétiques du compteur de vitesse (gradué de 0 à 11) et du chronographe analogique (gradué de 0 à 60 avec des pas de 5) du véhicule Bloodhound SSC et c'est la raison pour laquelle il regroupe des chiffres simples 3-6-9 en relief pour représenter les heures et des index des minutes sur le même pourtour du cadran. Le résultat est surprenant et peut même sembler confus car deux graduations distinctes se situent sur la même échelle. Heureusement, Rolex évite cet écueil grâce aux chiffres appliqués qui sont perçus alors au premier plan tandis que les graduations des minutes semblent en retrait.
L'autre élément d'importance est le jeu des couleurs. Toujours inspiré par les instruments de mesure, Rolex pare sa couronne d'un jaune vif tandis que le nom de la marque et la trotteuse utilisent la couleur emblématique, le vert (le pilote du véhicule Bloodhound SSC s'appelle d'ailleurs Andy Green!). Ces deux couleurs se distinguent nettement compte tenu du contraste avec le fond noir du cadran. Elles décontractent la montre qui apparaît de façon instantanée comme plus sportive et moins austère. Et surtout, la combinaison de tous ces éléments donnent à l'Air-King un style unique et original dans le catalogue Rolex.
Il fallait un boîtier à la hauteur pour habiller un tel cadran. Le boîtier en acier 904L de la Milgauss, ici dans une version satinée et à lunette lisse, remplit parfaitement sa mission. Il apporte sa discrétion, sa taille harmonieuse (40mm) et son style très masculin compte tenu de sa relative épaisseur. Assurant une étanchéité de 100 mètres, il se caractérise par sa couronne Twinlock et son fermoir Oysterclasp à boucle déployante. Une maille de rallonge rapide Easylink permet de l'ajuster pour un confort optimal ce qui est un très bon point car la montre, contexte Milgauss oblige, est relativement lourde.
L'épaisseur du boîtier est due à la protection du mouvement par écran magnétique car Rolex a souhaité augmenter les performances anti-magnétiques de la montre compte tenu de sa vocation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le mouvement est le même que celui de la Milgauss, le calibre 3131 qui utilise un spiral Parachrom bleu et une roue d'ancre paramagnétiques. Sa fréquence est de 4hz et sa réserve de marche est de 48 heures ce qui est nettement suffisant compte tenu de l'efficacité légendaire du remontage des calibres automatiques de Rolex. Cette réserve de marche n'en demeure pas moins un peu courte selon les standards actuels mais comme l'Air-King ne possède aucune complication additionnelle, sa remise à l'heure ne prend que quelques secondes. Les performances chronométriques du calibre 3131 suivent celles de la certification Chronomètre Superlatif soit une plage de -2/+2 secondes par jour, plus exigeante que celle du COSC.
Les caractéristiques des éléments constitutifs de l'Air-King sont convaincantes et imprégnées du sérieux de Rolex. Je n'avais aucun souci à ce niveau. Mais j'avais besoin d'un test au porter pour confirmer mon impression première, très favorable, sur l'esthétique particulière du cadran. Il y a en fait deux façons de l'apprécier et cela se retrouvait dans les réactions des visiteurs de Baselworld. Soit on le considère comme incohérent et confus soit on apprécie son originalité, son caractère et ses touches de couleur. Je fais résolument partie de ceux qui ont adoré cette approche esthétique qui sort des sentiers battus. J'ai trouvé l'Air-King plus que séduisante, irrésistible. Au bout du compte, les réactions tranchées, négatives ou positives sont du pain béni pour Rolex. Car la marque à la couronne a ceci de magique qu'elle arrive à faire retourner les opinions de ses plus ardents détracteurs. Je vois aisément un avenir très prometteur pour cette Air-King suivant le principe du vilain petit canard qui se transforme en un beau cygne: les montres Rolex clouées au pilori par certains deviennent des incontournables quelques années plus tard aux yeux de ces mêmes personnes. Provoquer des émotions fortes, c'est la clé du succès en horlogerie. Et c'est le domaine que Rolex maîtrise mieux que quiconque. Incontestablement, l'Air-King a marqué de son empreinte l'édition 2016 de Baselworld et elle augure surtout un très beau potentiel esthétique qui ne demande qu'à se développer dans le futur au sein du catalogue Rolex.
Merci à l'équipe Rolex pour son accueil pendant Baselworld.
Les plus:
+ un cadran original au sein du catalogue de la marque
+ une montre de caractère, sérieuse et décontractée à la fois
+ le boîtier satiné
+ le confort au porter
Les moins:
- une réserve de marche un peu courte selon les standards actuels