Avec sa nouvelle collection, l'Edition Manufacture, Frank Huygue part à l'abordage d'un segment horloger différent de celui dans lequel navigue habituellement Ralf Tech. Une telle ambition pourrait apparaître comme surprenante voire inconsciente car nous connaissons les difficultés qu'ont les marques, quelles qu'elles soient, à évoluer en dehors de leurs environnements naturels, notamment tarifaires.
En effet, la WRX Edition Manufacture "Pirates", une des deux représentantes actuelles avec la "Torpedo" de cette collection, se situe dans une gamme de prix bien plus élevée que celle des montres qui composent la division professionnelle de Ralf Tech. Cependant, l'ambition de Frank Huygue, bien réelle, demeure mesurée en termes de volume de pièces concernées. Connaissant parfaitement le marché horloger, il sait pertinemment que les attentes de la clientèle face à une montre de 17.000 euros ne sont pas les mêmes que dans la fourchette autour des 2.000 euros. L'objectif poursuivi par l'Edition Manufacture est donc de témoigner d'une expertise et d'un savoir-faire, de renforcer l'image de Ralf Tech en tant que marque de niche mais sûrement pas de tirer l'ensemble de la collection vers le haut à un moment où la sensibilité des consommateurs par rapport aux prix est extrêmement élevée. De plus, Frank Huygue s'est donné les moyens de réussir dans sa démarche, à savoir de vendre l'ensemble des pièces de la collection et d'équilibrer l'opération, en renforçant et en crédibilisant le contenu horloger. L'Edition Manufacture dans son ensemble repose sur un calibre exclusif, le type 77, qui est le fruit du partenariat entre Ralf Tech et l'atelier Novowatch au Locle.
Il est important d'apporter plus de détails sur ce mouvement dont les caractéristiques témoignent de l'esprit dans lequel s'inscrit l'ambition horlogère de Frank Huygues. En un sens, j'y vois une sorte d'hommage à l'horlogerie traditionnelle: d'un grand diamètre (35,5mm), d'une architecture très classique, s'appuyant d'ailleurs sûrement sur une reprise de pointage de l'Unitas, il évoque plus les mouvements d'il y a quelques décennies plutôt que les mouvements contemporains. Sa fréquence (3hz), l'angle de levé du balancier (44°), le nombre de rubis (17) font immédiatement penser aux Unitas de "deuxième génération " (au suffixe 2) qui possèdent une réserve de marche étendue et une fréquence plus élevée. Cependant, il serait dommage de s'arrêter à cette première impression car le type 77 comporte de nombreux détails techniques qui visent à renforcer ses performances tant du point de vue de la stabilité de marche que de la chronométrie. En retournant la montre, le détail qui se remarque instantanément est le cliquet de remontage qui a été revu. L'organe réglant a également fait l'objet d'un soin particulier tant au niveau du balancier que de celui la forme du spiral.
Le contexte classique du mouvement est pourtant contre-balancé par une approche décorative bien plus contemporaine grâce notamment à la forme des ponts, au microbillage avec revêtement ruthenium et au travail de squelettage effectué côté cadran. L'ensemble est ainsi très agréable à regarder y compris côté ponts. Mais bien entendu, le point d'attention se situe côté cadran.
La WRX Edition Manufacture "Pirates", au-delà de son mouvement, se distingue avant tout par son audace esthétique. Elle profite d'abord de la forme et de la taille du boîtier en acier traité DLC noir mat d'un diamètre de 47,5mm. Heureusement, cette taille n'est pas insurmontable. L'ensemble est galbé et donne même l'impression d'être ramassé. L'épaisseur de la lunette contient l'ouverture du cadran et donc réduit la taille perçue. Il n'en demeure pas moins que la montre dégage un sentiment de puissance appuyé par le protège couronne et le traitement de la lunette.
La lunette est peut-être l'élément qui m'a le plus plu. En tout cas, elle joue un rôle extrêmement important puisqu'elle supporte les chiffres romains et index polis à la main qui assurent la lisibilité. En outre, son traitement au ruthénium abrasé confère à la WRX Edition Manufacture "Pirates" un rendu brut mais non dénué de raffinement, cohérent avec le motif qui orne le cadran: la représentation du drapeau de pirate.
La tête de mort, voici un véritable thème casse-gueule dans l'horlogerie. Compte tenu de son omniprésence dans les dernières collections (je ne compte plus le nombre de têtes de mort vues à Bâle cette année), il est très difficile de sortir du lot. Certains ont carrément sombré dans le ridicule. Mais dans ce cas précis, le charme opère.
Je l'explique par d'abord la qualité du motif. Les longs sabres sont finalement aussi importants que la tête en elle-même et évitent à la montre de tomber dans la rhétorique du memento mori. Ensuite, le motif s'intègre avec harmonie avec l'architecture du mouvement qui se dévoile dans la partie semi-ouverte du cadran. J'aime beaucoup la façon avec laquelle ces différents éléments se mélangent. Enfin, la puissance du boîtier et le rendu de la lunette soutiennent avec force tout l'imaginaire véhiculé par le drapeau de pirate.
Dans ce contexte de cadran complexe et très occupé, un des enjeux consistait à préserver la lisibilité. Les index et chiffres de la lunette aident beaucoup mais les aiguilles en traitement PVD gris anthracite mat, malgré leurs pointes rouges ont un peu de mal à se distinguer. Il s'agit ici d'un choix esthétique. En les rendant plus visibles, le motif du cadran aurait peut-être perdu de son intérêt. L'option choisie est assurément la meilleure du point de vue du design mais pas du point de vue pratique.
Sans surprise, le confort au porter est au rendez-vous, comme de coutume avec le boîtier WRX. La taille et la forme des cornes, sans oublier la largeur du bracelet positionnent efficacement le boîtier sur le poignet. Cependant, un petit poignet ne sera pas adapté à une telle montre. Plus qu'un réel problème de confort, il s'agit de l'inadéquation entre le style de la pièce et le poignet qui la porte qui finirait par être trop perceptible. Fort heureusement, seulement cinq amateurs de piraterie en tout genre suffiront pour que le succès soit au rendez-vous de la WRX Edition Manufacture "Pirates" comme ce fut le cas précédemment avec la Torpedo dont tous les exemplaires furent vendus. En effet, la "Pirates" n'est commercialisée que dans le cadre d'une série extrêmement limitée de 5 pièces, toutes disponibles chez Colette à Paris. Dans ce contexte d'exclusivité, de positionnement tarifaire inhabituel et d'audace esthétique, cette boutique est sans aucun doute le partenaire commercial idéal pour Ralf Tech.
Merci à Frank Huygue pour son accueil lors de Baselworld 2014.
Merci à Frank Huygue pour son accueil lors de Baselworld 2014.
Les plus:
+ la cohérence de l'ensemble
+ le cadran, esthétiquement réussi
+ le rendu de la lunette
+ l'intérêt et la présentation du mouvement à remontage manuel même s'il impose de dévisser la couronne pour le remontage quotidien
Les moins:
- le gabarit du boîtier et le thème imposent un large poignet
- la lisibilité est moyenne du fait du faible contraste des aiguilles avec le cadran