L'édition limitée de la montre Passages (au pluriel pour symboliser les différentes étapes de la vie) prouve qu'il n'est pas nécessaire de dépenser des fortunes pour acquérir une pièce exclusive. Tout comme il n'est pas nécessaire de posséder des budgets pharaoniques pour mettre en place un marketing efficace. Car au-delà de son originalité esthétique, la Passages recèle plusieurs surprises qui en font un cas très intéressant à étudier.
Egard est une jeune marque nord-américaine fondée en 2012 par Ilan Srulovicz qui voulait d'abord créer une montre pour son père. Elle se distingue par un design audacieux et des boîtiers relativement imposants. S'appuyant dans la majorité des cas sur des mouvements japonais automatiques ou suisses à quartz, Egard a su en très peu de temps définir une véritable identité grâce notamment à son boîtier ovoïde "oblong" qui se retrouve dans un pan entier du catalogue.
La visibilité de la marque va totalement changer à partir du 17 novembre 2013. A cette date, l'édition limitée de la Passages est placée sur le site de financement participatif Indiegogo. En permettant par leur soutien la mise en production des premiers 200 exemplaires (50 par version), les participants au financement qui s'étaient positionnés sur la pièce pouvaient l'acquérir pour le tiers du prix définitif (moins de 400 dollars vs 1.199 dollars). Mais un prix attractif ne suffit pas: il faut d'autres raisons pour inciter des clients potentiels à se lancer dans une telle aventure. Le seuil fixé par Egard était de 75.000 dollars à atteindre en deux mois. L'objectif a été rempli à 900% puisque la récolte des fonds a dépassé les 680.000 dollars! Comment expliquer un tel succès?
La forme ovoïde, est-ce pour évoquer un oeuf d'alien?
Toute l'intelligence d'Ilan Srulovicz est d'être arrivé à définir une montre qui dépasse le pur concept du design en lui conférant un caractère quasi mythique. L'édition limitée de la Passages s'adresse en priorité aux fans de Star Trek ou aux amateurs de conquêtes spatiales et elle a tout pour répondre à leurs attentes: elle a été dessinée en collaboration avec William Shatner lui-même, le seul, le vrai Capitaine Kirk! Et comme cela ne suffisait pas, le disque jour&nuit est parsemé de poussières d'astéroïde. Difficile dans ces conditions de résister! La question que je me suis posé était de savoir comment William Shatner et Egard se sont retrouvés en contact. La réponse fut finalement simple: grâce à un autre soldat de l'Espace, Casper Van Dien, le Johnny Rico de Starship Troopers! William Shatner suivait le compte Twitter de Casper Van Dien lorsqu'une photo d'une Egard apparut. Le coup de foudre fut immédiat! A quoi tient le succès finalement?
Guère révolutionnaire du point de vue mécanique car équipée d'un calibre Miyota 8S27 simple et efficace, la Passages se révèle être beaucoup plus audacieuse du point de vue esthétique. Son principal atout est la combinaison parfaite entre la forme et la finition du boîtier en acier de 45mm et les courbes du verre saphir. Le cadran n'est pas inintéressant non plus grâce à ses diverses textures et à la présence d'une complication un peu inutile dans ce contexte (un affichage jour&nuit alors que la montre n'a pas de quantième) mais qui apporte une touche de charme. Et la lente course du soleil et de la lune est totalement cohérente avec le thème de la montre sans oublier les poussières d'astéroïde que comporte le disque. Les extrémités des aiguilles sont recouvertes de Superluminova qui améliore la lisibilité y compris en plein jour car le contraste par rapport au cadran aurait été trop faible dans certaines conditions de lumière. J'apprécie l'organisation du cadran car il se fond bien dans la forme du boîtier et le fait que les différents affichages soient peut-être trop concentrés ne posent pas problème, bien au contraire, dans ce contexte ovoïde.
La couronne rappelle la couleur des aiguilles:
Je suis en revanche moins convaincu par le pont du balancier en V qui cache l'animation apportée par les oscillations et que je trouve trop "droit" face aux courbes de la montre.
Le fond du boîtier est bien pensé: le mouvement ne se dévoile qu'à moitié afin de laisser de la place pour la signature de William Shatner. Les amateurs de mécanique peuvent ainsi profiter des mouvements de la masse oscillante sans perdre la touche personnelle du Capitaine Kirk.
La Passages se porte avec confort grâce à la bonne efficacité du bracelet caoutchouc et de sa boucle déployante qui est ici indispensable compte tenu des dimensions de l'engin. Car plus que le diamètre, c'est l'épaisseur qui surprend le plus! Mais la réussite du boîtier, la sensualité des courbes, l'originalité de sa forme font que cette épaisseur n'est pas rédhibitoire car s'inscrivant en harmonie avec le style général de la montre.
L'épaisseur peut surprendre de prime abord:
Je fus donc convaincu à plusieurs titres par cette pièce car selon moi, elle incarne toute l'ingéniosité dont doivent faire preuve les petites marques pour exister face à la puissance des grands groupes: elles peuvent se permettre de s'adresser à une clientèle de niche compte tenu de leurs faibles productions, elles se montrent audacieuses dans leurs stratégies de communication et elles n'hésitent pas à embarquer leurs clients dans leurs aventures. L'implication de William Shatner est ici sincère et ne répond qu'à la logique du plaisir de participer à un projet qui lui tient à coeur. Elle se situe aux antipodes des contrats signés par des ambassadeurs dont on connaît très bien la motivation.
Il est aussi intéressant de remarquer que le Miyota 8S27 se retrouve pour la troisième fois en très peu de temps dans des montres qui se distinguent par leurs singularités: les différentes SevenFriday, l'Organic Time de Dietrich et cette Passages. Le Miyota ne deviendrait-il pas le mouvement favori des créateurs indépendants? En tout, il prouve qu'il y a une véritable demande de la part d'une clientèle à la recherche de montres mécaniques créatives à prix contenu. Le signe peut-être que le conformisme (et les prix!) de certaines grandes marques commencent à se retrouver en décalage avec le marché.
La signature du Capitaine Kirk!
Pour étayer mes propos, je vous propose le point de vue de Dominique qui a un oeil plus qu'avisé sur la Passages puisqu'il a participé à son financement et que la montre orne fièrement son poignet depuis plusieurs semaines:
"Cette "Passages by William Shatner & Egard" est une grande première pour moi à plusieurs titres. Tout d'abord, je suis habituellement attiré par des montres au design sobre et de forme ronde. Pourtant, cette Passages a attiré mon regard au premier coup d'oeil. Je ne saurais pas dire quel élément du design a été déterminant mais entre le verre bombé, la forme originale du boitier et le cadran multi-textures, je suis retourné plusieurs fois sur le web pour en ré-examiner le design.
Ensuite, il se trouve que je suis fan de science fiction et que je m'intéresse depuis longtemps au domaine spatial. Par conséquent, une montre élaborée en collaboration avec l'emblématique Capitaine Kirk de Star Trek, et dont le cadran est saupoudré de poussière d’astéroïde, ne pouvait qu'éveiller ma curiosité."
Malgré son gabarit, la montre se positionne bien sur le poignet:
"Au final, ce qui m'a vraiment décidé à céder au coup de coeur et commander la montre a été le mode de commercialisation. Egard a lancé la fabrication de cette Passages via une campagne de crowdfunding où, moyennant un paiement immédiat et une attente estimée à 3 mois, Egard réduisait le prix d'achat d'environ deux tiers. J'ai particulièrement apprécié la communication régulière de Egard qui a tenu ses acheteurs au courant des difficultés rencontrées et de l'avancement de la fabrication. Au bout du compte, l'attente a été un peu plus longue que prévu - un peu moins de 5 mois au total - mais quel résultat!
La montre est plus massive que ce à quoi je m'attendais. Le boitier "45mm oblong" donne l'impression d'être nettement plus gros que mon Oris de 44mm. Je pense que cette impression provient de la forme du boitier, de son épaisseur (presque 15mm) et de la longueur des cornes."
"Toutefois, je trouve ma Passages assez confortable grâce à la courbure des cornes qui s'adapte bien à mon poignet et grâce au bracelet caoutchouc qui la maintient bien en place. La lecture est assez facile grâce aux très discrets indexes des heures. Les touches de couleur (aiguilles bleues, indicateur jour/nuit jaune et blanc) ainsi que l'ouverture sur le coeur du mécanisme Miyota apportent, je trouve, une touche de vie qui complète l'ensemble de manière très agréable.
En conclusion - un grand merci à William Shatner et Egard pour avoir créé cette Passages!"
Un grand merci à Dominique pour son témoignage et pour m'avoir donné l'opportunité de voir de près cette montre qui sort des sentiers battus.
La Passages sera produite à 999 exemplaires par version soit 3.996 montres au total.
Les plus:
+ la forme et la finition du boîtier
+ les courbes du verre
+ l'atmosphère générale de la montre
+ le financement participatif raisonnable qui embarque la clientèle dans un projet valorisant
Les moins:
- l'étrange pont du balancier qui casse un peu l'harmonie du cadran
- l'épaisseur du boîtier