La Bifrost est la toute nouvelle collection du duo Johan Gustafsson et Patrik Sjögren. Elle marque le retour de l'utilisation d'un mouvement automatique mais surtout l'introduction d'un nouveau type d'acier damassé. Bifrost est le nom du pont sacré qui relie la Terre au Royaume des Dieux dans la mythologie nordique. Reste à savoir si la montre se révèle être à la hauteur des attentes que suscite ce nom prometteur!
Comme toujours avec G&S, l'intérêt est avant tout esthétique. Le contenu horloger sous l'impulsion de Patrik Sjögren demeure solide et sans faille mais sa vocation est de créer le contexte idéal à l'expression du talent de Johan Gustafsson. Une montre G&S, c'est avant tout une invitation au voyage, le sentiment de parcourir une lointaine contrée où la lumière jouerait avec notre perception pour créer des reflets énigmatiques. Il n'y a rien d'agressif, rien d'inutilement tape-à-l'oeil. Les couleurs demeurent toujours dans des spectres chromatiques qui évoquent ces terres du nord de l'Europe. La Bifrost Isbla ne déroge pas à la règle.
Cette première représentante de la collection Bifrost propose un cadran dont l'éclat, les réverbérations évoquent les nuances de bleu qui se retrouvent dans les épaisses couches de glace (Isbla signifiant glace bleue en suédois). Une montre G&S se reconnaît au premier coup d'oeil. Le cadran en acier damassé incarne le style unique et inimitable de Johan Gustafsson qui en le travaillant le transforme en kaléidoscope. Il est vraiment très difficile de décrire le rendu d'un tel cadran puisqu'il évolue sans cesse selon les conditions d'éclairage et l'inclinaison du poignet. La trotteuse centrale paraît même superflue dans un tel contexte puisque l'animation propre du cadran suffit. Les index sont quant à eux traditionnels et fidèles à la production récente de G&S.
Cependant, l'observation attentive de la montre laisse apparaître un changement par rapport à l'esthétique d'autres pièces de G&S. Ce changement visuel est dû au contraste inhabituel qui existe entre le cadran et la lunette du boîtier. Contrairement par exemple à une Midnight Sun ou une Winter Nights sur lesquelles les motifs de la lunette sont très visibles et apparaissent presque comme des prolongements des cadrans, la Bifrost Isbla joue en revanche sur un autre registre. L'acier damassé du boîtier possède un contraste élevé ce qui lui confère un rendu miroir avec une finition qui me fait penser aux ensoleillages de certains cadrans. Compte tenu que le motif de la lunette devient plus lisse, plus fin, les motifs du cadran ressortent alors plus fortement. La montre gagne ainsi peut-être en raffinement car son design apparaît plus allégé. Je ne dis pas que cette présentation est plus réussie que la précédente: le résultat est différent. A titre personnel, j'aime beaucoup le sentiment de prolongement du cadran sur la lunette tel qu'exprimé sur la Winter Nights. L'autre élément qui ressort alors nettement sur la Bifrost Isbla est la couronne. Conservant ses motifs nettement apparents, la couronne se détache alors sensiblement du rendu de la lunette. Là encore, c'est une histoire de goût. Je préfère peut-être que la lunette et la couronne gardent leur cohérence visuelle.
La Bifrost Isbla est équipée d'un mouvement Soprod A10 d'une fréquence de 4hz et d'une réserve de marche de 42 heures. Le mouvement est fiable et réglé avec une précision chronométrique. Mais la plus jolie surprise réside dans la masse oscillante dont la forme cache presque intégralement le mouvement. Cette masse oscillante tripale utilise le même type d'acier damassé à fort contraste que le boîtier. La montre photographiée étant un prototype non achevé, son rendu sera différent de celui des photos (tout comme d'ailleurs celui de l'arrière du boîtier dont les finitions rappelleront celles de la lunette). Mais d'ores et déjà le prototype permet d'apprécier la beauté de cette masse dont le design est inspiré par le Triskèle celte. Mon seul regret de ce côté de la montre est la taille limitée du mouvement pour un boîtier de 42,5mm: la largeur de la lunette arrière gâche un peu le travail sur la masse oscillante que j'aurais aimé voir plus présente.
Grâce à une taille plus contenue et à une épaisseur maîtrisée (9,5mm), la Bifrost Isbla est une montre qui se porte plus facilement qu'une Winter Nights ou une Midnight Sun. Elle dégage donc un sentiment d'élégance, de sobriété tout en permettant de profiter du caractère hypnotisant du cadran. A ce titre, elle apparaît comme un excellent compromis pour des collectionneurs souhaitant découvrir l'univers particulier de Johan Gustafsson et de Patrik Sjögren tout en conservant un contexte raisonnable. Je considère la Bifrost Isbla comme une très belle réussite car elle marque une évolution intéressante du style de G&S qui devient peut-être plus abordable mais qui préserve son charme et son caractère envoûtant.
Merci à Patrik Sjögren pour son accueil à Baselworld 2014.
Les plus:
+ Des dimensions plus raisonnables
+ Le rendu spectaculaire du cadran
+ Le contraste entre la lunette et le cadran
+ La présentation de la masse oscillante
Les moins:
- Le mouvement est petit pour la taille du boîtier
- Le contraste entre la couronne et la lunette me semble un peu trop fort