S'il existait un guide des bonnes manières de l'esthétique horlogère, je suis sûr que la DB28 Digitale ne répondrait à aucun de ses principes. Car à bien y regarder, cette toute nouvelle montre surgie des esprits fertiles de David Zanetta et de Denis Flageollet comporte des détails pour le moins iconoclastes. L'affichage des minutes, peut-être l'indication la plus précieuse d'une montre? Reléguée dans un arc de cercle à la périphérie et affublée d'un tout petit repère. L'affichage des phases de lune, peut-être la complication la plus inutile à moins d'être persuadé que notre satellite naturel a une influence sur nos humeurs? Positionné en plein centre comme une complication majeure. La zone inférieure du cadran vierge de tout guichet, aiguille ou indicateur? Un non sens artistique... puisque l'harmonie des cadrans provient avant tout de la répartition équilibrée des affichages. L'absence de trotteuse? Le cadran semble totalement inerte.
Mais voilà: s'il suffisait de suivre quelques recettes toutes faites pour atteindre la perfection en matière esthétique, la création horlogère serait rébarbative. Car malgré ses originalités, ses choix surprenants, son déséquilibre, la DB28 Digitale est d'une grande beauté. Pas une beauté classique répondant aux canons traditionnels de la bienséance horlogère mais une beauté froide, contemporaine, intrigante qui aspire à devenir une référence de son temps.
Incontestablement, la ligne DB28 était prédestinée à accueillir un tel cadran. Trop original pour être supporté par un boîtier DB25 mais restant toutefois dans des limites trop raisonnables pour partir dans la galaxie des DreamWatches, le cadran de la DB28 Digitale trouve dans le boîtier DB28 son parfait complément. Ce boîtier, en titane poli miroir se distingue par sa couronne à 12 heures, clin d'oeil aux montres de poches conduisant à une parfaite symétrie et par ses berceaux mobiles qui au-delà de l'allégement visuel qu'ils provoquent, assurent un confort au porté optimal. Le diamètre de 45mm est conséquent mais une grande partie de la force d'attraction de cette DB28 Digitale provient de sa taille. Cette dernière libère l'espace, fait respirer les différents affichages et surtout met en valeur le travail de décoration du cadran.
La DB28 Digitale porte en fait un nom qui ne traduit que partiellement sa combinaison d'affichages. Il fait bien entendu référence à la Digitale antérieure qui se distinguait par l'alignement des fonctions calendaires (jour - date - mois) et par la présence de la lune sphérique sur le ciel étoilé au verso de la montre. Mais la DB28 Digitale combine 3 types d'affichages: digital pour l'heure par le biais du guichet d'heures sautantes, analogique pour les minutes et sphérique pour les phases de lune. Le ciel étoilé de la première Digitale se retrouve cette fois-ci mis en scène côté cadran pour notre plus grand plaisir. Il l'est à double titre: en tant que zone périphérique de la lune sphérique et en tant que décoration du disque des minutes qui tourne lentement et constamment sous l'indicateur symbolisé par une flèche très discrète. Cette présence céleste est subtile et agrémente le cadran avec beaucoup de raffinement. Le guichet des heures est considérablement agrandi par rapport à la Digitale précédente et se positionne dans la partie supérieure du cadran ce qui est, somme toute, plus logique.
L'élément le plus surprenant demeure la position centrale de la phase de lune. Mais après tout, est-ce si étonnant de la part de De Bethune? La lune sphérique a tellement contribué à la renommée de la Manufacture qu'elle aurait tort de ne pas lui rendre un si bel hommage. Voici donc cette lune sphérique, mi acier-bleui, mi palladium, qui attire immanquablement le regard jusqu'à en devenir presque hypnotisante! L'intérêt pratique de la complication est, nous le savons tous, limité. Mais son côté dimension poétique et astronomique la rend quasiment incontournable lorsqu'une dimension énigmatique doit être insufflée à une montre. Elle se retrouve ainsi au centre du cadran, au centre de l'intérêt, mise en valeur par le ciel étoilé qui l'entoure, donnant l'impression que les autres affichages tournent autour. Elle n'est pas uniquement belle, elle est également précise dans sa représentation (sphère oblige) et dans sa performance mécanique puisque le jour de décalage n'est atteint qu'au bout de 1.112 ans.
Si la partie supérieure du cadran est dédiée aux affichages, la partie inférieure est en revanche consacrée exclusivement au travail décoratif: la grande surface disponible permet à De Bethune d'exécuter à la main un guillochage aux motifs grain d'orge qui d'ailleurs déborde allégrement sur la partie supérieure. J'avais une crainte en découvrant la DB28 Digitale: que cette grande zone guillochée m'apparaissent comme trop uniforme pour ne pas dire ennuyeuse. C'est là où la magie opère: grâce à la qualité du guillochage, le cadran capte la lumière, joue avec et s'anime faisant oublier l'absence de trotteuse ou de tout autre indicateur de marche. La réussite de la DB28 Digitale réside finalement dans la faculté qu'ont tous ces éléments, de prime abord distincts et reliés entre eux par le guillochage, de se mettre en harmonie et en cohérence. L'ensemble est très pur au point peut-être de manquer d'un peu de chaleur. Mais il se dégage de cette montre le sentiment d'être en face d'une étrange beauté, inhabituelle, un peu dérangeante sous certains aspects et au final, fascinante.
Contrairement à sa devancière, la DB28 Digitale rend visible son mouvement. Le mouvement DB2144, à remontage manuel est très fidèle du fait de ses performances (4hz, 5 jours de réserve de marche), de sa présentation et des innovations et brevets qu'il contient (double barillet autorégulateur, balancier silicium/or gris, spiral avec courbe terminale plate, système triple pare-chute d'absorption des chocs, roue d'échappement en silicium) au style De Bethune. Sa finition excellente et son rendu visuel contemporain le rendent particulièrement séduisant dans le contexte de la DB28 Digitale car il semble être le parfait pendant du cadran. Cependant, il ne s'agit pas d'un clone d'un mouvement à remontage manuel précédent de la Manufacture car il a nécessité des développements particuliers du fait de la position de la lune sphérique, du système d'heures sautantes au large guichet (qui nécessite une parfaite maîtrise de la consommation d'énergie lors du saut) et de la taille du disque tournant des minutes qu'un mécanisme complexe à micro-roulements à billes entraîne. Mon seul regret finalement consiste en l'absence d'un indicateur de réserve de marche côté mouvement comme De Bethune l'a déjà pratiqué et qui ne m'aurait pas déplu compte tenu des 5 jours de ladite réserve.
Ce petit reproche pèse peu à vrai dire face à l'envoûtement qu'exerce la DB28 Digitale une fois mise au poignet. Est-ce une montre? Ou une tête de robot? Pourtant pris un par un, les éléments qui la composent sont classiques... mais l'ensemble fascine tout autant qu'il séduit. La montre s'inscrit dans une démarche esthétique très contemporaine mais qui sait rester maîtrisée. La pureté la préserve de tout excès et j'ai la conviction que son originalité ne nuira absolument pas à sa dimension intemporelle. La DB28 Digitale impose sa taille, sa grande surface guillochée, sa lune centrale. Les berceaux mobiles la rendent immédiatement plus adaptées aux poignets plus modestes mais un test au porté s'impose compte tenu de son gabarit. En revanche, sa relative légèreté pourra convaincre les collectionneurs réticents à acquérir des montres avec de tels diamètres. Et c'est l'effort à accepter pour profiter d'un tel cadran. Il faut donc bien s'y résoudre: une fois de plus, David Zanetta et Denis Flageollet nous surprennent et démontrent leurs talents en combinant imparablement réussite esthétique et performance technique à travers une montre qui marquera l'année 2014 de son empreinte.
Merci à l'équipe De Bethune pour son accueil.
Les plus:
+ une présentation de cadran unique et envoûtante
+ la qualité des finitions
+ une originalité maîtrisée qui reste intemporelle
+ les performances du mouvement
+ la précision de l'affichage des phases de lune
Les moins:
- la très grande pureté du cadran peut-être perçue comme un peu trop clinique
- j'aurais apprécié un indicateur de réserve de marche côté mouvement