RJ-Romain Jerome: Tattoo DNA

RJ-Romain Jerome, sous l'impulsion de Manuel Emch, est une marque qui aime explorer des univers rarement abordés par l'industrie horlogère en faisant de multiples références à des éléments culturels actuels comme par exemple les jeux videos ou l'Art Contemporain. L'objectif est bien évidemment de donner à RJ-Romain Jerome une place à part dans un paysage marqué par son conformisme et son absence de prise de risque lorsqu'il s'agit de définir l'atmosphère dans laquelle les montres évoluent. Or, il existe une véritable attente de la part d'une nouvelle génération de collectionneurs qui, au-delà de l'intérêt mécanique, ont envie de retrouver des thèmes et des références qui leur sont chers et qui pour la plupart ont bercé leur enfance. Certains de ces thèmes, qui semblent si originaux dans ce contexte horloger, font pourtant partie de notre vie courante et je suis toujours surpris par la faible capacité des marques, en dehors de certains indépendants, à capter cet air du temps comme si une culture contemporaine n'était pas compatible avec une approche mécanique traditionnelle.  Peut-être qu'au final la plus grande crainte pour les marques établies, si elles devaient associer leurs produits, sensés symboliser le luxe et le prestige, avec des codes artistiques populaires, serait d'obtenir une image ambivalente et paradoxale éloignée de l'objectif d'excellence et d'incarnation d'une tradition horlogère séculaire.


La collection Tattoo DNA s'inscrit totalement dans la démarche de RJ-Romain Jerome en puisant son inspiration dans le monde du tatouage grâce à la collaboration entre la marque et le célèbre tatoueur Mo Coppoletta dont le salon se trouve à Londres. Les tatouages se retrouvent aujourd'hui dans toutes les couches de la société. Ils peuvent être temporaires ou permanents, visibles ou cachés, plus ou moins discrets. Ils traduisent un sentiment d'appartenance à un groupe de personnes, à un courant de pensée, veulent parfois faire passer des messages particuliers ou ne peuvent avoir qu'un unique but esthétique. Certains tatouages sont de véritables oeuvres d'art qui accompagneront leurs propriétaires tout le long de leurs vies et qui disparaîtront avec eux. Malgré son universalité et sa dimension artistique, le tatouage n'a quasiment jamais été utilisé par les marques horlogères alors que son potentiel décoratif est immense. Encore faut-il trouver le bon contexte et l'artiste adéquat.


Si un tatoueur se devait de participer à un tel projet, c'était bien Mo Coppoletta. Tatoueur de grand talent, au style inimitable baignant dans une ambiance quasi-religieuse,  Mo Coppoletta est également un collectionneur de montres. La perspective de collaborer avec une marque ne pouvait que le passionner. Restait à définir le sujet précis qui allait permettre à Mo Coppoletta de s'exprimer.

Les marins ont toujours été des clients privilégiés des tatoueurs. Un de leurs thèmes favoris est le "sailor's grave" qui rend hommage aux compagnons d'infortune qui disparurent dans le naufrage d'un navire. Or RJ-Romain Jerome possédait déjà une collection entièrement dédiée au Titanic: un point d'intersection entre les deux univers du tatouage et de l'horlogerie était trouvé.


La collection Tattoo DNA est composée de 4 montres en série limitée de 25 exemplaires chacune correspondant à la combinaison des 2 couleurs d'éclairs et des 2 types de griffes de lunette, en acier ou acier PVD noir. Sans surprise, elle utilise le boîtier d'un diamètre de 50mm de diamètre de la collection Titanic DNA. La taille de ce boîtier peut sembler immense mais son choix, dans ce contexte précis, s'avère judicieux. Tout d'abord, son esthétique se marie parfaitement avec la décoration du cadran. La gravure qui donne un aspect déstructuré à la lunette revêtue d'une couche de PVD noir évoque les conditions météorologiques déplorables du cadran: mer démontée, éclairs qui zèbrent le ciel, nuages menaçants...  Ensuite, le cadran se doit d'être suffisamment important pour que l'univers de Mo Coppoletta puisse être recréé sans contrainte. Enfin, la taille du boîtier donne à la collection un sentiment de puissance qui n'est pas sans rappeler la dimension protectrice de certains tatouages de marins. De toutes les façons, seul un gabarit imposant est cohérent avec la tempête retranscrite sur le cadran.


De prime abord, le cadran peut sembler d'un pessimisme noir: le bateau qui est en train de sombrer apparaît comme un fétu de paille sur la mer déchaînée et ne peut que subir la colère des éléments. Est-ce à dire que nous n'avons aucune chance d'échapper à notre destin? Fort heureusement, au premier plan, l'ancre apporte toute la puissance de sa symbolique: elle est un élément stabilisateur, elle protège contre les événements contraires et elle finit par prendre le pas sur la signification du décor en arrière plan. Ce mélange d'ondes positives et négatives crée incontestablement tout l'intérêt de la scène imaginée par Mo Coppoletta: après tout, même si l'ancre finit par dominer, chacun d'entre nous pourra y percevoir une signification différente, selon nos humeurs et les contextes dans lesquels nous nous trouvons.


Un tel cadran, à la fois original et extrêmement détaillé nécessite une exécution sans faille pour que le résultat soit à la hauteur des espérances et digne du talent de Mo Coppoletta. Je fus véritablement impressionné par son rendu tri-dimensionnel. Les formes des nuages, de la mer et de l'ancre sont à la fois très prononcées, subtiles et possèdent une puissance évocatrice certaine. Les reflets de lumière mettent en valeur les différentes teintes de gris et animent le cadran: en fonction de la position du poignet, le ciel s'assombrit ou s'éclaircit rendant ainsi le naufrage encore plus spectaculaire. Les éclairs apportent leur touche de couleur décalée: selon les versions de la Tattoo DNA, ils sont recouverts d'une laque jaune ou rouge renforcée par du superluminova qui empêchent le cadran de rester dans une gamme chromatique restreinte. J'ai à titre personnel une préférence pour les éclairs rouges qui renforcent la dimension dramatique de la scène. L'ancre s'impose en revanche par son rendu lumineux, sa taille et ses courbes galbées.


Il aurait été délicat avec un tel décor de rajouter une trotteuse qui aurait alourdi visuellement l'ensemble et altéré la beauté de la scène. A aucun moment son absence se ressent puisque les transformations du cadran en fonction de la lumière suffisent amplement à l'animation.


Si le cadran retranscrit avec force son originalité, la mécanique de la collection Tattoo DNA est plus conventionnelle. Les 4 montres sont animées par le mouvement RJ001-A qui est en fait un Valjoux 7750 sans date ni fonction chronographe. L'intérêt d'un tel mouvement  est son diamètre supérieur à celui d'un mouvement 3 aiguilles qui aurait pu aussi être utilisé. Ses performances sont  sans surprise avec une réserve de marche de 42 heures et une fréquence de 4hz. Comme il s'agit d'un mouvement standard de grande diffusion, le fond du boîtier est plein ce qui est une excellente nouvelle. En effet, il donne l'opportunité à Mo Coppoletta de dessiner un motif différent d'un pur "Sailor's Grave" et caractéristique de son style avec un coeur percé sur lequel se pose un oiseau. J'aime d'ailleurs beaucoup ce fond.


Malgré la qualité de la réalisation du cadran et les émotions qu'il provoque, il aurait été dommage d'en rester là. Le bracelet cuir a également été décoré par Mo Coppoletta afin de prolonger l'ambiance du cadran tout autour du poignet. La largeur du bracelet fournit une surface suffisante et je pus apprécier la succession des motifs qui contribue au charme des Tattoo DNA... à condition d'être sensible à cette démarche esthétique si particulière. Mo Coppoletta avait d'ailleurs travaillé antérieurement à la collection Tattoo DNA sur la réalisation de bracelets "tatoués" pour RJ-Romain Jerome et en tout logique, nous les retrouvons dans un contexte adéquat. A noter que deux bracelets sont disponibles: le bracelet cuir tatoué ou un bracelet en tissu noir, plus discret. Inutile de tergiverser: le choix doit impérativement se porter sur le bracelet tatoué!


Avec un diamètre de 50mm, les Tattoo DNA ne conviennent pas à tous les poignets. La taille n'est visuellement pas choquante car l'entrecorne est cohérent avec le diamètre et l'ensemble demeure équilibré. L'ouverture du cadran est raisonnable compte tenu de l'épaisseur de la lunette. Mais le gabarit  reste imposant et les amateurs de montres discrètes doivent passer leur chemin. La forme des cornes permet en revanche une bon positionnement sur le poignet si la taille de ce dernier le permet. Et lorsque c'est le cas, quel plaisir! Le cadran dévoile toute sa magie au point d'ailleurs de faire complétement oublier les aiguilles. Il faut bien l'avouer: la lisibilité de ces montres est plutôt moyenne compte tenu du faible contraste entre les aiguilles et le cadran. J'ai envie de dire que l'essentiel n'est pas là.


Les Tattoo DNA doivent être considérées avant tout comme une expression artistique où l'affichage de l'heure ne serait qu'un prétexte. Les reflets du cadran, la façon dont l'ancre se détache, le jeu entre les teintes de gris, le rendu lumineux des éclairs donnent l'impression que les Tattoo DNA sont plus un décor de théâtre animé que de simples montres. Même si elles ne sont pas exemptes de tout reproche, les Tattoo DNA possèdent un pouvoir de séduction pour peu que l'on soit attiré par le style de Mo Coppoletta et le monde du tatouage. Je les considère comme des pièces abouties car elles arrivent à retranscrire avec fidélité le talent et l'univers de l'artiste tout en respectant le contexte RJ-Romain Jerome. Elles rendent hommage d'une bien belle façon à cet art qu'est le tatouage.

Merci à l'équipe RJ-Romain Jerome et à Mo Coppoletta.

Les plus:
+ l'univers de Mo Coppoletta est  retranscrit avec fidélité
+ la finition du cadran avec les reflets de lumière et les effets de relief
+ la décoration du fond du boîtier
+ le bracelet tatoué

Les moins:
+ la taille imposante ne convient pas à tous les poignets
+ la lisibilité moyenne