J'apprécie beaucoup chez James Gurney sa volonté en tant qu'organisateur du Salon QP de mettre en avant la vitalité et la créativité de l'horlogerie anglaise contemporaine. L'Angleterre, autrefois place forte de l'horlogerie avait disparu de la carte des pays qui comptaient dans la production des montres et pendules. Mais depuis quelques années, elle revient petit à petit sur le devant de la scène certes pas par le biais d'une production de masse mais grâce à une multitude de projets divers et variés portés par des horlogers de talent. Le dernier Salon QP m'a donc permis d'apprécier le large éventail de cette offre anglaise actuelle qui s'exprime à travers des logiques de création et de production fort différentes.
Une des démarches les plus étonnantes et des plus attachantes est assurément celle de Robert Loomes. Robert Loomes est issu d'une famille d'horlogers basée dans la ravissante ville de Stamford, au nord de Londres. Il perpétue la tradition familiale au sein de l'atelier de réparation et de restauration situé dans un bâtiment historique juste à côté d'un pont qui enjambe la rivière Welland. Robert Loomes incarne une espèce en voie de disparition qui oeuvre sans relâche à faire vivre une certaine conception de l'horlogerie traditionnelle. Fier de ses racines, il décida il y a quelques années de créer une montre 100% anglaise. Si cette démarche était habituelle au XVIIIième siècle, le contexte du monde horloger d'aujourd'hui semble totalement incompatible avec une telle idée qui peut même sembler farfelue. En effet, comment de nos jours envisager sans posséder soi-même une grande capacité de production et les machines ad-hoc de pouvoir fabriquer des pièces stratégiques comme le spiral, le barillet, le verre? Où se trouveraient donc de tels sous-traitants en Angleterre?
C'est là où la démarche de Robert Loomes prend tout son sens et qui rend ses deux montres, la Robin (pour hommes) et la Robina (pour femmes) si passionnantes. J'imagine presque Robert Loomes prendre son bâton de pèlerin et parcourir le pays à la recherche des artisans capables de produire les éléments et composants requis. La constitution de ce réseau d'artisans et de sous-traitants nécessita plusieurs années mais l'objectif fut atteint: Robert Loomes peut fièrement justifier que ses montres sont bel et bien 100% anglaises pur jus.
Je vous propose de parcourir la liste des principaux composants pour comprendre comment il est arrivé à ce résultat étonnant.
- Le mouvement est basé sur une ébauche Smiths de Cheltenham 12-15 de la fin des années 40/début des années 50. La date est importante puisque à partir de 1953, le mouvement intégra des composants en provenance de Suisse comme le balancier. Robert Loomes put acquérir un stock d'ébauches suffisant pour produire une centaine de Robin, une centaine de Robina et pour fournir des pièces détachées.
- Même si ces mouvements sont "new old stock", un changement de spiral (en alliage de molybdène et de bronze) est nécessaire pour un certain nombre d'entre eux car ils avaient souffert avec le temps. Fort heureusement, le fabriquant est toujours en activité et il fut en mesure de donner des conseils pour que de nouveaux spiraux puissent être usinés.
- Les ressorts de barillet sont systématiquement remplacés par de nouveaux ressorts évidemment produits par une société anglaise.
- Des rubis en provenance d'un stock vieux de 60 ans sont rajoutés au niveau des roues de centre.
- Les vis sont polies et bleuies à la flamme.
- Les tiges de remontoir, les couronnes, les boîtiers en acier 316L furent dessinées par Robert Loomes et usinés en Angleterre. Le travail sur les boîtiers est très exigeant car ils nécessitent plus de 6 heures d'efforts de polissage et de finition compte tenu de leur aspect un peu brut à la fin du process d'usinage.
- Le plaquage en or du mouvement est réalisé par Robert Loomes lui-même.
- Les aiguilles Alpha ont été dessinées par Robert Loomes qui s'est inspiré des aiguilles Smiths du début des années 50. Elles sont finies à la main avant d'être bleuies à la flamme.
- Le cadran a également été conçu par Robert Loomes. A noter que le cadran et ses pieds proviennent de la même pièce de laiton ce qui est un certain gage de solidité. Une fois fabriqué, le cadran subit une projection de billes en verre pour obtenir le rendu "frappé" puis il est rhodié. L'impression est réalisée par une société basée dans le Gloucestershire.
- Les pièces les plus délicates à produire furent, comme souvent finalement, les verres. Si Robert Loomes s'est chargé de leurs designs, il fallut trouver l'oiseau rare capable de produire de tels éléments en Angleterre. La rencontre décisive eut lieu... dans un pub bien entendu! Autour d'une bonne bière, Robert Loomes exprima à ses amis la difficulté à rencontrer une entreprise ayant le niveau technologique suffisant pour usiner les verres de ses montres. Une amie lui indiqua que justement son frère était un des directeurs d'une société d'optiques et que le challenge pouvait être relevé. Cette société possédant de très vieilles machines à polir des années 40, les verres purent être fabriqués en respectant scrupuleusement les exigences de Robert Loomes. Le verre supérieur se distingue par son très léger dôme qui améliore la lisibilité tout en paraissant plat. Le verre au-dessus du mouvement est plat.
- C'est un ami de Robert Loomes qui s'est chargé de la fabrication des joints: finalement, tout l'entourage a mis la main à la pâte!
Je pourrais continuer ainsi avec d'autres pièces, même les plus discrètes, les plus anodines. La feuille de route a été respectée et les origines anglaises de la Robin et de la Robina ne peuvent être démenties.
La Robin est une montre d'apparence très classique d'un diamètre de 39mm. La Robina est son alter-ego à l'échelle 3/4 pour un diamètre de 30mm. Le cadran présente un style traditionnel avec une jolie finition frappée, des chiffres romains et une minuterie en chemin de fer. Les aiguilles Alpha forment une jolie combinaison avec les index. Le sous-cadran de le trotteuse est plutôt petit mais il permet de préserver un certain équilibre. L'ensemble n'est pas révolutionnaire en terme de design mais il est très agréable à observer. Le boîtier est plus original qu'il n'y paraît grâce à la forme très incurvées des cornes.
La présentation du mouvement est très surprenante. Je ne parle pas de son architecture on ne peut plus traditionnelle pour un mouvement à remontage manuel mais de sa décoration. Les ponts et platines ont été polis, gravés à la main puis recouverts par un plaquage en or 22 carats. L'aspect très artisanal de la gravure donne un charme certain au mouvement. Cette gravure est en fait un hommage au style décoratif de Thomas Loomes qui apposait ainsi sa signature sur les montres qu'il fabriquait au XVIIième siècle. La fréquence du mouvement est de 2,5hz et il nécessite un remontage quotidien. Il a été réglé pour respecter une plage de précision comprise entre -1/+11 secondes. La montre est ensuite testée sur 6 positions en tenant compte spécifiquement des positions les plus fréquentes (comme par exemple le cadran en haut) pour que les écarts de marche se compensent.
La Robin est une montre très discrète au poignet. Au-delà de son apparence simple et élégante, elle donne l'impression d'être un peu plus petite qu'elle n'est compte tenu de l'épaisseur de la lunette. Ce sont les cornes qui apportent la subtile touche de caractère qui est bienvenue. J'ai pris du plaisir à porter cette montre sans grande originalité esthétique mais qui dégage une sorte d'atmosphère légèrement surannée plutôt agréable.
La très bonne surprise provient de son prix. Malgré toutes les difficultés rencontrées, la volonté sans faille de n'utiliser que des pièces en provenance d'Angleterre, Robert Loomes a su contenir le prix de la Robin, fixé à 4.875 GBP hors taxes. Ce prix est très attractif compte tenu de la qualité de la montre et de l'originalité de la démarche qui a conduit à sa fabrication. Finalement, avoir un concentré d'artisanat anglais au poignet n'est pas aussi coûteux que je pouvais l'imaginer! La Robin n'est évidemment pas du même niveau qu'une montre produite par Roger Smith mais son capital sympathie est aussi fort.
Merci à Robert Loomes pour son accueil pendant le Salon QP 2012.