Patek Philippe est décidément une Manufacture à part qui peut se permettre des choix s'inscrivant en dehors des tendances générales du segment de la haute horlogerie. Un des exemples les plus frappants de cette approche indépendante et originale fut la présentation il y a quelques années du chronographe à rattrapante 5959P. En pleine période d'élevage aux hormones des boîtiers, Patek Philippe proposa alors une montre se caractérisant par la concentration de son savoir-faire dans un boîtier de 33,2mm.
Evidemment, la volonté d'utiliser une telle taille était loin d'être forfuite. Elle répondit en cela à plusieurs objectifs:
- se distinguer par rapport aux autres marques du sommet de la pyramide horlogère en effectuant un virage esthétique à 180 degrés
- rappeler que pendant des siècles, la miniaturisation des composants avait été le crédo des maîtres-horlogers et que seules les petites tailles étaient compatibles avec une véritable conception de la haute horlogerie
- proposer une des complications les plus difficiles à maîtriser dans ce contexte réduit, rendant ainsi la tâche encore plus délicate
- mettre en avant un nouveau mouvement, le CH 27-525 PS qui contrairement aux autres mouvements chronographes contemporains n'était pas conçu à partir d'une base Nouvelle-Lemania.
Le prix de cette montre (proche de 400.000 euros) se situe bien au-delà de celui de la 5204 qui combine pourtant à la fois le chronographe à rattrapante et un QP. Alors, comment expliquer cet écart? Il est toujours difficile de trouver des raisons objectives à la fixation des prix des montres exceptionnelles mais les explications logiques sont assurément liées à la taille du boîtier et à la finesse du mouvement. Si la 5959P est une petite montre selon les standards d'aujourd'hui, elle est également extrêmement fine grâce à une hauteur de mouvement de 5,25mm ce qui constitue une performance exceptionnelle pour un chronographe rattrapante.
Le mouvement CH 27-525 PS est d'une rare beauté. Grâce à son diamètre propre (27,3mm), il occupe généreusement le boîtier ce qui le rend visuellement encore plus attractif. Les deux chapeaux polis des roues à colonnes se distinguent nettement ce que ce n'est pas le cas avec le CHR 29-535 PS qui équipe la 5270P et la 5204P puisque sur ce mouvement, le chapeau de la roue à colonnes de rattrapante sert de ressort d'isolateur.
L'architecture traditionnelle du CH 27-525 PS est logique puisqu'il puise son inspiration dans une ébauche Victorin Piguet du début du siècle dernier. Il comporte cependant toute l'avancée technologique de Patek Philippe qui par la suite sera utilisée pour développer les CH 29-535 et CHR 29-535. Ainsi les trois roues du mécanisme de chronographe possèdent des profils de dents triangulaires brevetés qui ont pour but d'optimiser le fonctionnement et de réduire l'usure. Le mouvement intègre aussi un système de compensation des différences de couple afin que la montre ait le même comportement que le chronographe soit enclenché ou pas. Le nombre total de composants (252) reste mesuré ce qui traduit une intelligence de conception.
Le balancier Gyromax, situé en arrière plan, demeure bien visible, à côté du poinçon Patek Philippe. En fait, malgré sa grande finesse, le mouvement CH 27-525 PS dégage un sentiment de profondeur dû à sa construction et à la qualité des finitions de ses éléments. Sa fréquence est de 3hz et sa réserve de marche de 48 heures oblige à un remontage quotidien. Mais il y a pire comme supplice car le remontage de la 5959P procure beaucoup de plaisir grâce au mouvement en lui-même et aux sensations liées à la manipulation d'une montre si délicate.
Le cadran en émail est au même diapason que le mouvement: il est parfaitement exécuté tout en restant dans un style raffiné. Le charme de l'émail, combiné avec la netteté des chiffres, des compteurs et des graduations, crée une atmosphère classique, subtile et quasi monochrome. La taille du boîtier en cohérence avec celle du mouvement rend le cadran parfaitement équilibré. Les aiguilles, belles et singulières se marient parfaitement avec les autres éléments. C'est bien le sentiment d'harmonie et de perfection qui prédomine à l'observation attentive du cadran de la 5959P. Le tour de force a consisté à rendre toutes les indications lisibles sur un cadran en émail malgré le diamètre très contenu. J'ai été étonné par la capacité d'inscrire de façon irréprochable l'intégralité des marqueurs de 5 minutes sur le compteur du chronographe. Il en est de même de la graduation de la trotteuse du chronographe, très proprement réalisée. En revanche, cette graduation qui comporte 5 segments par seconde ne correspond pas à la fréquence du mouvement (3hz). Je trouve que c'est dommage dans le contexte d'une montre superlative comme peut l'être la 5959P.
La 5959P est à la base un chronographe monopoussoir puisque le lancement, l'arrêt et le retour à zéro s'effectuent par le biais du poussoir intégré dans la couronne. Le poussoir à 1h30 sert exclusivement à la manipulation de la rattrapante pour mesurer un temps intermédiaire ou pour afficher un temps de référence. Il est important de noter que l'aiguille du compteur des minutes avance de façon permanente et que le chronographe peut mesurer des temps jusqu'à 60 minutes. Cette intégration optimisée entre le mécanisme de chronographe et celui dédié à l'heure explique en partie comment Patek Philippe est arrivé à réduire l'épaisseur du mouvement.
Je craignais un peu le test au porté. Séduit par l'équilibre du cadran, envouté par le mouvement, n'allais-je finalement pas être déçu par la petite taille du boîtier en platine? Finalement non car la 5959P est relativement présente au poignet. L'ouverture du cadran, la longueur des cornes et surtout le monopoussoir agrandissent la taille perçue: à aucun moment, je n'ai eu l'impression de porter une montre minuscule. La 5959P apparaît donc plus comme étant une montre contenue, à la taille maîtrisée qu'une "petite" montre. Le rapport diamètre (33,2mm)/épaisseur (8,5mm) permet à la montre de garder un côté élancé malgré sa taille. Pour le reste, le charme de l'émail, le parfait équilibre du cadran, la touche de puissance apportée par le monopoussoir proéminent la rendent tout simplement irrésistible. Mais le plus fascinant demeure peut-être le contraste saisissant entre son apparente simplicité et le très haut niveau tant technique que décoratif qui la caractérise. J'imagine que le plaisir qu'elle procure est renforcé par ce savant mélange entre discrétion et exclusivité. Aux antipodes de l'ostentatoire, la 5959P s'appuie avant tout sur un contenu horloger exceptionnel pour séduire: les collectionneurs de Patek Philippe majeures ne s'y sont pas trompés puisque elle demeure une des montres les plus recherchées malgré une production inférieure à 10 pièces par an.
Merci à Patek Philippe Genève.