Il est toujours intéressant d'observer une nouvelle orientation stratégique d'une marque y compris lorsque cette dernière intervient dans le monde du luxe au sens large. Burberry en lançant sa dernière collection "The Britain" souhaite se donner une nouvelle ambition horlogère en proposant une gamme complète de montres homme et femme marquée par un bond qualitatif certain par rapport aux lignes déjà existante.
De prime abord, la tâche de Burberry, qui continue à s'appuyer sur le Groupe Fossil pour le développement de son pôle horloger, semble très difficile pour ne pas dire insurmontable. Après tout, n'avons-nous pas en tête une longue liste d'échecs de stratégies similaires? C'est un peu comme si la démonstration avait été faite à maintes reprises que seules les marques exclusivement dédiées à l'horlogerie pouvaient espérer prospérer dans cette industrie, les notions d'image et d'histoire jouant un rôle prépondérant dans l'acte d'achat des clients. Cependant, en analysant plus finement les raisons de ces échecs, nous nous rendons compte que très rarement ces ambitions avaient été soutenues par des produits adaptés. Il ne suffit pas de recouvrir les magasines de pub pour automatiquement générer du succès, les clients attendent plus qu'un seul nom sur un cadran, ce qui est plutôt rassurant d'ailleurs. Entre montres fabriquées dans des contrées exotiques en total décalage avec l'image que veut projeter la marque et montres positionnées dans un segment trop élevé ne correspondant ni aux aspirations de la clientèle ni à leur légitimité horlogère, les explications de ces déboires sont à vrai dire assez simples à percevoir.
Cependant, la réussite de Chanel montre bien qu'il n'existe pas de fatalité et lorsque le produit est bien pensé, est cohérent et suffisamment qualitatif, la porte du succès commercial et de la crédibilité peut s'entrouvrir.
En examinant la collection "The Britain" de Burberry, je retrouve d'ailleurs beaucoup de points communs avec la démarche de Chanel:
- un design original dans ce segment et constant au sein de l'ensemble de la collection,
- une bonne qualité d'exécution et des finitions tout à fait respectables,
- un positionnement tarifaire "médian" ni trop bas pour contribuer à la perception de la qualité ni trop haut pour éviter que la clientèle ne se tourne vers des marques traditionnelles.
La Britain Réserve de Marche est la montre la plus ambitieuse de la collection et à ce titre, en constitue le porte-drapeau. Son design imaginé par le directeur de la création de Burberry, Christopher Bailey est inspiré par l'univers du trench-coat. Je vais être franc: le lien avec le trench-coat ne m'a pas paru si évident que cela, couleurs mises à part. C'est la raison pour laquelle nous retrouvons ce mélange de noir, bronze, marron foncé plutôt réussi d'ailleurs.
Mais soit le hasard fait bien les choses soit la véritable source d'inspiration se trouve ailleurs! En effet, la Britain Réserve de Marche évoque bien plus une sorte de croisement entre une Patek Philippe Aquanaut du fait du boîtier octogonal et à une BR01-92 Carbon en raison de la façon dont les vis sont positionnées sur la lunette. Le design n'est donc pas à proprement parler "original" pour les amateurs d'horlogerie car les rappels sont évidents. En revanche, une clientèle moins au fait des icônes percevra dans ce boîtier une certaine personnalité. Il faut l'avouer, pour une marque de luxe généraliste, ce type de design est plutôt rare et il permet de définir en peu de temps les critères esthétiques facilement reconnaissables qui créeront l'identité horlogère de Burberry. C'est donc bien joué.
Le meilleur atout de la Britain Réserve de Marche est la qualité de la finition du boîtier en acier inoxydable et plaqué gris par ionisation. Sa construction en trois pièces permet de mélanger les couleurs et sa forme galbée lui confère une certaine complexité. Les effets brossés de la lunette donnent un beau jeu de couleurs selon l'inclinaison du poignet. Son diamètre est imposant (47mm!) mais heureusement les cornes sont courtes et le fond intelligemment conçu. Seul bémol au sujet du boîtier: j'aurais apprécié qu'une inscription soit gravée sur la couronne, un peu trop simpliste à mon goût.
Le cadran est également bien fini même s'il m'a moins séduit que le boîtier. Les chiffres et index sont correctement peints sur un fond légèrement grainé. J'ai trouvé visuellement ces chiffres un peu petits par rapport au gabarit général de la montre. L'heure et la réserve de marche se lisent sans souci ce qui n'est pas le cas de la date. Le guichet est franchement minuscule et la date semble se trouver au fond d'un puits. Je trouve que l'utilisation du mouvement Soprod 9090 qui combine réserve de marche et grande date aurait été plus judicieux que le 9040 qui équipe cette montre.
Le Soprod 9040 est un mouvement fiable et sans histoire qui est également utilisé par Panerai. Ce n'est évidemment pas un mouvement exclusif mais il fera son office sans problème. Sa fréquence est de 4hz et sa réserve de marche est de 40 heures. Sa finition est plutôt convaincante avec un joli rotor décoré avec des côtes circulaires, le perlage des ponts etc... Bref, c'est proprement réalisé et le mouvement s'insère visuellement bien dans le fond du boîtier. Un détail amusant est à noter. Le communiqué de presse évoque le spectre de couleurs qui comprend l'or, le noir, le gris, l'acier inoxydable et le fushia. J'ai cherché l'or et le fushia qui ne me sautaient pas aux yeux. La réponse était évidente: l'or, c'était le balancier, le fushia, l'incabloc. Ah les envolées lyriques des communiqués de presse!
Avec ces 47mm de diamètre, la Britain Réserve de Marche ne passe pas inaperçue. Je l'ai présentée à des amis qui immédiatement ont fait la relation avec l'Aquanaut. Ils ont tous souligné l'approche qualitative et le design caractéristique. Deux bons points donc. Le bracelet a également suscité des remarques: à la fois épais et souple, il contribue au confort de la montre et sa couleur se combine parfaitement avec celle du boîtier. S'agissant d'amateurs d'horlogerie, le prix (autour de 3.500 euros pour ce modèle) a semblé rédhibitoire à leurs yeux. Non pas vis à vis de la qualité intrinsèque de la montre mais bien par rapport à la marque dont la légitimité horlogère est à construire. Je suis à titre personnel d'accord avec leur analyse. Cependant, cela ne veut pas dire que le prix est mal fixé, bien au contraire.
La véritable question est donc de savoir à qui s'adresse une telle montre. L'expérience prouve qu'il faut beaucoup de modestie lorsqu'il s'agit d'essayer de répondre à cette interrogation. Il n'y a jamais de clientèle monolithique quels que soient les modèles, les marques, les segments. Je pense tout simplement que Burberry a positionné le prix pour que le client en boutique ait la conviction que l'objet convoité corresponde bien au même univers que celui de la marque en général: le client en question reste donc dans sa zone de confiance, conforté en cela par la qualité de la pièce. Et le tour est joué. Le client traditionnel de l'horlogerie ira de son côté explorer d'autres horizons à la recherche de montres de marques fortement ancrées dans leur domaine de compétence.
En résumé, je trouve la démarche de Burberry bien pensée à la fois en termes de produit et de positionement. Les ingrédients sont réunis pour que cette nouvelle collection soit un succès auprès d'une clientèle à laquelle je n'appartiens pas pour différentes raisons.
Merci à Burberry France.