Une
des montres les plus marquantes des années 2000 fut sans aucun doute
l'Opus V qui mit en lumière la créativité de l'horlogerie
indépendante et qui définit une nouvelle approche stylistique basée
sur un boîtier imposant aux formes sensuelles au service d'un
affichage original de l'heure combinant heures vagabondes et
sautantes. L'Opus V fut le fruit de la collaboration entre Max
Büsser, alors à la tête de Harry Winston Rare Timepieces et Felix
Baumgartner qui put, à travers ce projet, créer les bases des
futures 20x d'Urwerk. Cette Opus fut la dernière de l'ère Max
Büsser qui quitta à l'issue de cette aventure commune Harry Winston
pour fonder sa propre marque: Max Büsser and Friends.
Urwerk et MB&F ont années après années contribué à secouer le cocotier horloger en présentant des montres innovantes et originales marquée par une très grande cohérence entre leur designs et les systèmes d'affichage. Chaque marque a évidemment suivi sa propre voie, Urwerk explorant et réinventant le thème de l'heure vagabonde avec une rare maîtrise tandis que MB&F privilégiait la répartition des fonctions dans deux zones distinctes insérées dans des boîtiers, tri-dimensionnels pour la plupart, afin de créer de véritables machines horlogères aux inspirations multiples.
Si
leurs créations respectives ne peuvent être confondues, Felix
Baumgartner et Max Büsser partagent une ambition commune qui
consiste, à travers des projets sans compromis, à aller bien plus
loin que la simple représentation du temps qui passe. Que ce soit
chez Urwerk ou MB&F, il y a toujours des cinématiques
particulières, des jeux d'aiguilles, de satellites ou d'autres
éléments qui projettent leurs montres dans une dimension où la
mécanique abandonne son statut de simple moteur de l'affichage du
temps pour se hisser sur le devant de la scène. Imaginez que la
machinerie des décors d'un théâtre incarne le rôle principal
d'une pièce: c'est un peu l'idée que je retrouve chez Urwerk et
MB&F.
Cette
communauté d'esprit rendait donc possible une nouvelle collaboration
entre Felix Baumgartner et Max Büsser même si leurs emplois du
temps respectifs laissaient peu de disponibilités pour la mettre en
oeuvre.
C'est
ainsi que C3H5N3O9 est né. Cette formule chimique est assurément
explosive puisque il s'agit de celle de la nytroglycérine. Mais elle
est également le nom déroutant et imprononçable d'une plateforme
horlogère portée par une véritable dream-team et dont l'idée
fondatrice a été définie en 2008 par Felix Baumgartner et Max
Büsser. L'objectif de la plateforme, un vrai laboratoire d'idées
en fait, est de pouvoir proposer des pièces expérimentales qui ne
seraient pas envisageables dans le contexte d'Urwerk ou de MB&F
mais qui rassembleraient certaines caractéristiques de ces deux
marques. Des montres de "synthèse" alors? Eh non, car ce
serait justement le piège à éviter. Les pièces expérimentales
crées dans le contexte de C3H5N3O9 doivent au contraire profiter du
cumul des énergies propres à Urwerk et à MB&F s pour
s'affranchir des contraintes inhérentes à celles des marques et
pour explorer de nouvelles voies.
L'Experiment
ZR012 est le premier bébé de C3H5N3O9. Rarement autant de bonnes
fées se sont penchées sur un berceau. Imaginez un peu le plateau
qui ferait rêver n'importe quelle marque! En sus des 4 mousquetaires
de C3H5N3O9 (Felix Baumgartner, Martin Frei côté Urwerk, Max Büsser
et Serge Kriknoff côté MB&F), Cyrano Devanthey, maître
horloger chez Urwerk et Eric Giroud, le designer le plus courtisé de
ces dernières années ont contribué de façon significative à la
conception de cette montre qui atteint sa cible en rendant hommage à
un moteur mythique: le moteur à piston rotatif Wankel.
Très
fréquemment, l'interaction entre les mondes horlogers et automobiles
apparaît comme une évidence. Cependant, il n'y a jamais vraiment eu
de lien technique fort entre l'automobile et l'horlogerie comme si
une sorte de cloison étanche existait dans le domaine que
paradoxalement ces deux mondes partagent: celui de la mécanique.
Certes,
Richard Mille a fortement favorisé ce rapprochement grâce à
l'emploi de nouveaux matériaux en provenance de la Formule 1 et à
l'architecture tubulaire de mouvements inspirés par les châssis des
voitures.
Mais
c'est en toute discrétion, par le biais d'une montre confidentielle
issue d'une plateforme horlogère que le véritable pont mécanique
entre automobile et horlogerie est crée. L'Experiment ZR012 a basé
son principe d'affichage sur le comportement des pistons rotatifs du
moteur Wankel. Les heures et les minutes sont indiquées par le biais
d'aiguilles positionnées sur des triangles de Reuleaux effectuant la
même cinématique que les pistons Wankel.
Le
grand triangle inférieur supporte 3 petites aiguilles qui
permettent de lire les heures, de droite à gauche tandis que le
triangle supérieur est utilisé pour l'affichage des minutes. C'est
en analysant cet affichage particulier que les influences Urwerk et
MB&F se ressentent.
Nous
retrouvons un élément du principe des heures vagabondes cher à
Urwerk avec le parcours de 3 aiguilles le long d'une graduation.
Mais ce n'est pas tout. Chez Urwerk, la graduation sert à afficher
les minutes, les heures étant indiquées par les satellites ou les
plots. L'Experiment ZR012 transforme ce principe en s'inscrivant dans
une démarche similaire à celle de MB&F qui vise à éclater
l'affichage des heures et des minutes. Les heures et les minutes sont
ainsi indiquées séparément: en toute rigueur, nous ne sommes plus
en face d'une véritable montre à heures vagabondes puisque le
chiffre des heures ne se déplace plus. L'Experiment ZR012 définit
ainsi un affichage particulier porté par le déplacement des deux
triangles de Reuleaux.
Le
triangle qui se remarque le plus est évidemment le triangle
supérieur, le second étant recouvert par la structure supportant
l'affichage des minutes. Ce qui surprend le plus avec l'Experiment
ZR012 est l'effet de volume qui émane “du cadran”: les éléments
sont superposés, les graduations allégées afin de permettre à
notre regard de plonger dans les entrailles les plus profondes y
compris dans les rouages du triangle des heures. La forme du verre
joue également un rôle important. Selon les angles, il évoque un
moule à gâteau couronne! L'effet visuel est surprenant.
La
principale difficulté technique a consisté à ce que les aiguilles, positionnées aux pointes des triangles puissent “lécher”
de façon constante les graduations. Cyrano
Devanthey développa un tel module d'affichage afin
que les triangles suivent un parcours épitrochoïde pour permettre
aux aiguilles d'être correctement placées face aux graduations. A
ce titre, vous noterez la position de la principale vis du triangle
supérieur qui, en toute logique, n'est pas centrale.
L'effet moule à gâteau couronne:
Le
mouvement qui alimente le module d'affichage est à remontage manuel.
Un Peseux 7001 comme pour les Urwerk 10x? Eh non, puisque sa
fréquence est de 4hz. Le Jaquet des Urwerk 201 alors? Toujours pas
compte-tenu de la réserve de marche. En fait, l'équipe de C3H5N3O9
est partie d'un calibre automatique Girard-Perregaux, utilisé et très apprécié à la
fois par Urwerk et MB&F. Le rotor et le système de remontage automatique ont
été retirés tandis que l'affichage de la réserve de marche a été
rajouté. L'affichage est situé à l'arrière de la montre et est plutôt utile compte tenu de la réserve de marche de 39 heures. La couronne située à 12 heures est visée. A
titre personnel, j'ai toujours apprécié sur les Urwerk de pouvoir
tourner la couronne avec la montre au poignet en utilisant le pouce.
Malheureusement, ce petit tic n'est pas possible avec l'Experiment
ZR012.
Le film permet de visualiser le déplacement des triangles:
Tout
le talent d'Eric Giroud a été nécessaire pour fluidifier les
lignes du boîtier en zirconium qui possède des dimensions
imposantes: 55 sur 44mm cornes non comprises. Pourtant, côté
cadran, ce très respectable gabarit passe visuellement plutôt bien
grâce à l'espèce de pare-choc qui casse l'uniformité et à la
parfaite intégration des cornes. La carrure du boîtier évoque
incontestablement la HM4 avec les cornes postérieures articulées.
L'Experiment
ZR012 est impressionnante au poignet: dire que c'est un ovni horloger
serait presque une banalité. Sa taille, sa forme, la profondeur du
cadran et la présence des triangles attirent le regard et j'imagine
aisément le désarroi des personnes qui essayeraient de lire l'heure
dessus. D'ailleurs, cette lecture est très simple une fois que le
principe est compris: les amateurs d'Urwerk se trouvent en terrain connu!
La
montre est étonnante de confort et comme pour toutes les Horological
Machine, cela est grandement dû à l'efficacité de la boucle
déployante. L'Experiment ZR012 ne bouge pas même en secouant le
bras! Les cornes articulées la positionnent également de façon
optimale sur le poignet. Il ne reste donc plus qu'à profiter du
parcours des triangles... et c'est là où j'arrive au reproche que
je pourrais faire à cette pièce.
En
fait, elle m'a crée une sorte de frustration. J'aurais tellement
aimé que le parcours des triangles soit bien plus rapide afin de
visuellement mieux percevoir la courbe épitrochoïde. Je
pense que j'aurais été plus séduit par une montre combinant une
heure vagabonde “traditionnelle” avec une trotteuse reprenant le
principe du piston du moteur Wankel. Le mouvement plus rapide aurait
été plus adapté à mon sens. Mais un tel choix aurait peut-être conduit à
de fortes contraintes mécaniques liées au décentrage du triangle.
Malgré
ce reproche, j'ai apprécié la réussite que constitue l'Experiment ZR012. Pas forcément en tant que montre en elle-même (à
titre personnel, je préfère une UR-202 ou une HM3 Frog) mais en tant qu'aboutissement d'une approche commune menée au sein de C3H5N3O9. Ce travail collectif a permis
d'explorer une nouvelle voie plutôt que de s'enfermer dans une sorte
de synthèse entre deux styles. C'est un bien bel exploit du point de
vue créatif qui à lui seul justifie la mise en oeuvre de cette
plateforme horlogère.
L'Experiment
ZR012 sera fabriquée en 12 exemplaires tout comme la future RG012,
en or rose.
Merci
à Ian Skellern.