C3H5N3O9: Experiment ZR012

Une des montres les plus marquantes des années 2000 fut sans aucun doute l'Opus V qui mit en lumière la créativité de l'horlogerie indépendante et qui définit une nouvelle approche stylistique basée sur un boîtier imposant aux formes sensuelles au service d'un affichage original de l'heure combinant heures vagabondes et sautantes. L'Opus V fut le fruit de la collaboration entre Max Büsser, alors à la tête de Harry Winston Rare Timepieces et Felix Baumgartner qui put, à travers ce projet, créer les bases des futures 20x d'Urwerk. Cette Opus fut la dernière de l'ère Max Büsser qui quitta à l'issue de cette aventure commune Harry Winston pour fonder sa propre marque: Max Büsser and Friends.

Urwerk et MB&F ont années après années contribué à secouer le cocotier horloger en présentant des montres innovantes et originales marquée par une très grande cohérence entre leur designs et les systèmes d'affichage. Chaque marque a évidemment suivi sa propre voie, Urwerk explorant et réinventant le thème de l'heure vagabonde avec une rare maîtrise tandis que MB&F privilégiait la répartition des fonctions dans deux zones distinctes insérées dans des boîtiers, tri-dimensionnels pour la plupart, afin de créer de véritables machines horlogères aux inspirations multiples.
Si leurs créations respectives ne peuvent être confondues, Felix Baumgartner et Max Büsser partagent une ambition commune qui consiste, à travers des projets sans compromis, à aller bien plus loin que la simple représentation du temps qui passe. Que ce soit chez Urwerk ou MB&F, il y a toujours des cinématiques particulières, des jeux d'aiguilles, de satellites ou d'autres éléments qui projettent leurs montres dans une dimension où la mécanique abandonne son statut de simple moteur de l'affichage du temps pour se hisser sur le devant de la scène. Imaginez que la machinerie des décors d'un théâtre incarne le rôle principal d'une pièce: c'est un peu l'idée que je retrouve chez Urwerk et MB&F.

Cette communauté d'esprit rendait donc possible une nouvelle collaboration entre Felix Baumgartner et Max Büsser même si leurs emplois du temps respectifs laissaient peu de disponibilités pour la mettre en oeuvre.
C'est ainsi que C3H5N3O9 est né. Cette formule chimique est assurément explosive puisque il s'agit de celle de la nytroglycérine. Mais elle est également le nom déroutant et imprononçable d'une plateforme horlogère portée par une véritable dream-team et dont l'idée fondatrice a été définie en 2008 par Felix Baumgartner et Max Büsser. L'objectif de la plateforme, un vrai laboratoire d'idées en fait, est de pouvoir proposer des pièces expérimentales qui ne seraient pas envisageables dans le contexte d'Urwerk ou de MB&F mais qui rassembleraient certaines caractéristiques de ces deux marques. Des montres de "synthèse" alors? Eh non, car ce serait justement le piège à éviter. Les pièces expérimentales crées dans le contexte de C3H5N3O9 doivent au contraire profiter du cumul des énergies propres à Urwerk et à MB&F s pour s'affranchir des contraintes inhérentes à celles des marques et pour explorer de nouvelles voies.

L'Experiment ZR012 est le premier bébé de C3H5N3O9. Rarement autant de bonnes fées se sont penchées sur un berceau. Imaginez un peu le plateau qui ferait rêver n'importe quelle marque! En sus des 4 mousquetaires de C3H5N3O9 (Felix Baumgartner, Martin Frei côté Urwerk, Max Büsser et Serge Kriknoff côté MB&F), Cyrano Devanthey, maître horloger chez Urwerk et Eric Giroud, le designer le plus courtisé de ces dernières années ont contribué de façon significative à la conception de cette montre qui atteint sa cible en rendant hommage à un moteur mythique: le moteur à piston rotatif Wankel. 
Très fréquemment, l'interaction entre les mondes horlogers et automobiles apparaît comme une évidence. Cependant, il n'y a jamais vraiment eu de lien technique fort entre l'automobile et l'horlogerie comme si une sorte de cloison étanche existait dans le domaine que paradoxalement ces deux mondes partagent: celui de la mécanique.

Certes, Richard Mille a fortement favorisé ce rapprochement grâce à l'emploi de nouveaux matériaux en provenance de la Formule 1 et à l'architecture tubulaire de mouvements inspirés par les châssis des voitures.

Mais c'est en toute discrétion, par le biais d'une montre confidentielle issue d'une plateforme horlogère que le véritable pont mécanique entre automobile et horlogerie est crée. L'Experiment ZR012 a basé son principe d'affichage sur le comportement des pistons rotatifs du moteur Wankel. Les heures et les minutes sont indiquées par le biais d'aiguilles positionnées sur des triangles de Reuleaux effectuant la même cinématique que les pistons Wankel.

Le grand triangle inférieur supporte 3 petites aiguilles qui permettent de lire les heures, de droite à gauche tandis que le triangle supérieur est utilisé pour l'affichage des minutes. C'est en analysant cet affichage particulier que les influences Urwerk et MB&F se ressentent.

Nous retrouvons un élément du principe des heures vagabondes cher à Urwerk avec le parcours de 3 aiguilles le long d'une graduation. Mais ce n'est pas tout. Chez Urwerk, la graduation sert à afficher les minutes, les heures étant indiquées par les satellites ou les plots. L'Experiment ZR012 transforme ce principe en s'inscrivant dans une démarche similaire à celle de MB&F qui vise à éclater l'affichage des heures et des minutes. Les heures et les minutes sont ainsi indiquées séparément: en toute rigueur, nous ne sommes plus en face d'une véritable montre à heures vagabondes puisque le chiffre des heures ne se déplace plus. L'Experiment ZR012 définit ainsi un affichage particulier porté par le déplacement des deux triangles de Reuleaux.
Le triangle qui se remarque le plus est évidemment le triangle supérieur, le second étant recouvert par la structure supportant l'affichage des minutes. Ce qui surprend le plus avec l'Experiment ZR012 est l'effet de volume qui émane “du cadran”: les éléments sont superposés, les graduations allégées afin de permettre à notre regard de plonger dans les entrailles les plus profondes y compris dans les rouages du triangle des heures. La forme du verre joue également un rôle important. Selon les angles, il évoque un moule à gâteau couronne! L'effet visuel est surprenant.

La principale difficulté technique a consisté à ce que les aiguilles, positionnées aux pointes des triangles puissent “lécher” de façon constante les graduations. Cyrano Devanthey développa un tel module d'affichage afin que les triangles suivent un parcours épitrochoïde pour permettre aux aiguilles d'être correctement placées face aux graduations. A ce titre, vous noterez la position de la principale vis du triangle supérieur qui, en toute logique, n'est pas centrale.

L'effet moule à gâteau couronne:

Le mouvement qui alimente le module d'affichage est à remontage manuel. Un Peseux 7001 comme pour les Urwerk 10x? Eh non, puisque sa fréquence est de 4hz. Le Jaquet des Urwerk 201 alors? Toujours pas compte-tenu de la réserve de marche. En fait, l'équipe de C3H5N3O9 est partie d'un calibre automatique Girard-Perregaux, utilisé et très apprécié à la fois par Urwerk et MB&F. Le rotor et le système de remontage automatique ont été retirés tandis que l'affichage de la réserve de marche a été rajouté. L'affichage est situé à l'arrière de la montre et est plutôt utile compte tenu de la réserve de marche de 39 heures. La couronne située à 12 heures est visée. A titre personnel, j'ai toujours apprécié sur les Urwerk de pouvoir tourner la couronne avec la montre au poignet en utilisant le pouce. Malheureusement, ce petit tic n'est pas possible avec l'Experiment ZR012.

Le film permet de visualiser le déplacement des triangles:




Tout le talent d'Eric Giroud a été nécessaire pour fluidifier les lignes du boîtier en zirconium qui possède des dimensions imposantes: 55 sur 44mm cornes non comprises. Pourtant, côté cadran, ce très respectable gabarit passe visuellement plutôt bien grâce à l'espèce de pare-choc qui casse l'uniformité et à la parfaite intégration des cornes. La carrure du boîtier évoque incontestablement la HM4 avec les cornes postérieures articulées.

L'Experiment ZR012 est impressionnante au poignet: dire que c'est un ovni horloger serait presque une banalité. Sa taille, sa forme, la profondeur du cadran et la présence des triangles attirent le regard et j'imagine aisément le désarroi des personnes qui essayeraient de lire l'heure dessus. D'ailleurs, cette lecture est très simple une fois que le principe est compris: les amateurs d'Urwerk se trouvent en terrain connu!
La montre est étonnante de confort et comme pour toutes les Horological Machine, cela est grandement dû à l'efficacité de la boucle déployante. L'Experiment ZR012 ne bouge pas même en secouant le bras! Les cornes articulées la positionnent également de façon optimale sur le poignet. Il ne reste donc plus qu'à profiter du parcours des triangles... et c'est là où j'arrive au reproche que je pourrais faire à cette pièce.

En fait, elle m'a crée une sorte de frustration. J'aurais tellement aimé que le parcours des triangles soit bien plus rapide afin de visuellement mieux percevoir la courbe épitrochoïde. Je pense que j'aurais été plus séduit par une montre combinant une heure vagabonde “traditionnelle” avec une trotteuse reprenant le principe du piston du moteur Wankel. Le mouvement plus rapide aurait été plus adapté à mon sens. Mais un tel choix aurait peut-être conduit à de fortes contraintes mécaniques liées au décentrage du triangle.

Malgré ce reproche, j'ai apprécié la réussite que constitue l'Experiment ZR012. Pas forcément en tant que montre en elle-même (à titre personnel, je préfère une UR-202 ou une HM3 Frog) mais en tant qu'aboutissement d'une approche commune menée au sein de C3H5N3O9. Ce travail collectif a permis d'explorer une nouvelle voie plutôt que de s'enfermer dans une sorte de synthèse entre deux styles. C'est un bien bel exploit du point de vue créatif qui à lui seul justifie la mise en oeuvre de cette plateforme horlogère.

L'Experiment ZR012 sera fabriquée en 12 exemplaires tout comme la future RG012, en or rose.

Merci à Ian Skellern.