Cela faisait longtemps que j'avais envie de vous parler d'une montre très spéciale et extrêmement rare dans la production horlogère: la Mosaïque de Barbier-Mueller. Elle est en effet, au-delà de sa production ultra-limitée (une dizaine d'unités), un exemple quasi-unique de l'utilisation d'un mouvement de la manufacture F.P. Journe en dehors de la marque de l'horloger français. L'autre exemple qui me vient à l'esprit est la série des Opus 1 de Harry Winston... dans un tout autre contexte et sans avoir le degré de finition du calibre F.P. Journe 1304 de la Mosaïque.
Barbier-Mueller, c'est évidemment un nom extrêmement connu, non pas dans le monde horloger, mais dans celui des Arts Premiers. La famille Barbier-Mueller a constitué en deux générations la collection d'Arts Premiers la plus importante au monde et inauguré en 1977 à Genève un Musée de référence sur le thème. A partir de 2010, le Musée Barbier-Mueller prolongea ses activités à travers la Fondation Culturelle Musée Barbier-Mueller dont le but est de soutenir des missions d'observations anthropologiques, des publications et des conférences pour lutter contre la disparition de cultures méconnues. La Manufacture F.P. Journe est d'ailleurs impliquée dans la Fondation depuis 2016. Cette implication n'est pas fortuite car elle témoigne des liens d'amitiés qui lient François-Paul Journe à Stéphane Barbier-Mueller. Le contexte familial a évidemment façonné la personnalité de Stéphane Barbier-Mueller. Passionné d'histoire, collectionneur, esthète, il eut petit à petit l'idée de créer une montre qui incarnerait un point de convergence de tous les thèmes qui le fascinent. Cette montre devait à la fois respecter les critères de la pure tradition horlogère de Genève mais également symboliser la richesse de la créativité humaine à travers les âges en mettant en scène une des premières expressions de représentation de l'image: la mosaïque.
J'ai eu la chance de voir cette montre il y a deux ans. Elle est tout simplement exceptionnelle. Il y avait deux risques dans la démarche de Stéphane Barbier-Mueller: celui de tomber dans l'ultra-classicisme à outrance ce qui aurait été fort ennuyeux ou d'utiliser des raccourcis très évidents avec le monde des Arts Premiers ce qui aurait été tout aussi décevant. Ces écueils ont été évités avec beaucoup de talent et d'élégance. Oui la Mosaïque de Barbier-Mueller est une montre classique. Mais elle est surprenante et inattendue. Il faut dire que François-Paul Journe n'a pas seulement soutenu le projet du point de vue mécanique. Il a également mis à disposition les autres composantes de son pôle horloger à savoir Les Boitiers-Genève SA ainsi que les Cadraniers de Genève. Et cela se voit.
En effet, la principale caractéristique de la Mosaïque est d'intégrer, sur son cadran, sur son boîtier en or rose, sur le couvercle un motif d'empierrage cloisonné qui évoque l'art de la mosaïque de la fin du IVième millénaire avant J.-C. Le motif, qui a nécessité plusieurs centaines d'heures de mise en place de l'empierrage et de réalisation, est composé de jaspes de couleurs brique, noir, blanc et vert et présente un aspect géométrique qui donne à la pièce un rendu élaboré sans tomber dans l'ostentatoire. Ces jaspes enveloppent littéralement la montre grâce à cette décoration harmonieuse, continue et variée. J'ai été séduit par le contraste entre le cadran et le couvercle. Pourtant les deux éléments possède une décoration centrale similaire. Mais le fait de remplacer la succession des jaspes périphériques du couvercle par un tour d'heure blanc portant les index en chiffres romains transforme sensiblement le rendu.
Rien n'a été laissé au hasard et la décoration du couvercle semble totalement à propos comme l'est celle du cadran. Le motif central dessine des portions triangulaires qui se projettent en direction des chiffres. Ces portions triangulaires convergent au contraire vers le centre du couvercle. C'est la magie de l'interprétation par notre regard du motif car au bout du compte... ces portions sont identiques et orientées de la même façon. Créativité et rigueur sont ainsi les deux termes qui me viennent le plus facilement à l'esprit pour décrire la Mosaïque.
J'ai évoqué à plusieurs reprises le couvercle. Mon sentiment est que la Mosaïque a été conçue comme une petite boîte précieuse qui cacherait un objet d'une valeur inestimable: le mouvement en or rose. Car le boîtier possède un couvercle à charnière qui se soulève délicatement afin de découvrir le mouvement. Le plaisir que procure l'ouverture de ce couvercle est réel et permet de d'observer le calibre 1304 à remontage manuel de F.P. Journe dans un contexte différent. Ce calibre est connu car il anime le Chronomètre Souverain ou le Chronomètre Bleu. Dans le contexte de la montre Barbier-Mueller, il ne possède pas de trotteuse (ni évidemment d'affichage de la réserve de marche) et seules deux aiguilles en or rose animent le cadran.
Mais quelles aiguilles! De forme poire ajourée, elles sont tout simplement somptueuses et accompagnent idéalement le motif du cadran. Rien n'aurait été plus décevant que de se retrouver avec des aiguilles banales avec une telle mise en scène.
La décoration du calibre F.P. Journe 1304 n'est pas tout à fait similaire à celle des mouvements qui animent les CS/CB du fait de la finition de la platine non pas meulée soleil mais de type Grain d'Orge (comme sur la Byblos). Son rendu délicat et précieux, mis en valeur par la qualité de la finition, correspond bien à l'atmosphère de la montre et je trouve que le choix d'un mouvement à remontage manuel est bienvenu car plus cohérent dans cette démarche à la fois pure et historique. Sans surprise, je retrouve les performances habituelles du calibre 1304 à savoir une réserve de marche de 56 heures pour une fréquence de 3hz.
J'ai donc connu le privilège rare de pouvoir porter pendant quelques instants la Mosaïque. Son diamètre de 41mm m'est apparu adapté car suffisamment grand pour que le motif décoratif puisse s'exprimer tout en permettant à la montre de conserver des proportions élégantes. Son épaisseur très raisonnable de 8,5mm lui confère un style élancé et élégant. Mais la Mosaïque n'est pas une montre comme une autre. Son atmosphère unique, le jeu de couleurs créé par les jaspes, la beauté de ses aiguilles lui procurent un charme incomparable.
Le plus étonnant est que la Mosaïque m'a semblé très contemporaine. Sa taille, le motif géométrique, l'interaction et la dimension ludique qui existent entre la pièce et son propriétaire obtenue grâce au couvercle la positionnent également comme une véritable montre d'aujourd'hui. Sophistiquée sans être démonstratrice, la Mosaïque m'a fasciné. Je pense que la plus belle réussite de Stéphane Barbier-Mueller, est avoir réussi à concilier le passé, la tradition avec le présent. N'est-ce pas finalement le but qu'il poursuit au quotidien grâce au Musée et à la Fondation? Sa montre est bel et bien à son image et il faut ainsi rendre hommage aux différentes équipes du pôle horloger de François-Paul Journe d'avoir su l'accompagner aussi efficacement dans ce beau projet. Deux ans plus tard, il ne me reste plus que le très agréable souvenir de cette montre rare que seuls dix collectionneurs dans le monde possèdent. Car je ne suis pas sûr de la revoir un jour.