Une page se tourne avec le décès de Peter Lindbergh

Le décès du photographe Peter Lindbergh qui est survenu le 3 septembre 2019 nous invite malheureusement à nous remémorer ses plus beaux clichés réalisés avec Patek Philippe dans le contexte de la campagne de publicité "Générations". Cette campagne, initiée en 1996, est peut-être la plus réussie de l'histoire de l'industrie horlogère. Sa longévité en est une preuve. Sa présence dans nos esprits l'est tout autant. Cette campagne, c'est avant tout une devise qui permit d'assoir la notoriété et le succès de Patek Philippe et qui était, lors de son lancement, en phase non seulement avec la stratégie de la marque (qui se voulait la référence de la montre patrimoniale) mais également avec l'attente des clients:  "Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures". Cette devise mettait la montre Patek Philippe, quelle qu'elle soit, dans une autre dimension, éloignée des contingences matérielles (une vraie prouesse compte tenu du prix des montres) et de toute notion de performances et autres caractéristiques techniques. Qui pouvait battre Patek Philippe sur ce terrain de l'émotion? Personne finalement. 

La campagne était également soutenue par de superbes images réalisées par de célèbres photographes dont Peter Lindbergh. Ce sont d'ailleurs les siennes qui ont le plus marqué les esprits car elles étaient fidèles à son style qui mettait en avant non pas le produit (la montre était surtout visible au bas de la publicité et peu perceptible sur l'image principale) mais les attitudes des personnes photographiées, le tout évidemment, en noir et blanc. Les photos traduisaient des moments de vie, de complicité et sûrement pas une volonté d'exposition d'une montre dans le but d'en faire une bête promotion. Une publicité subtile et intelligente... et innovante même selon les critères d'aujourd'hui où l'industrie a toujours du mal à trouver le moyen de séduire en dehors du cercle de ses fidèles clients.


Les clichés de Peter Lindbergh me font toutefois penser à une autre époque de Patek Philippe. Non pas que la marche a changé. Mais sa clientèle a évolué compte tenu de ce qui se passe ces dernières années sur le marché. De très nombreux clients rentrent dorénavant en boutique uniquement pour essayer d'acquérir la fameuse Nautilus voire l'Aquanaut... et dans quel but? Dans un but purement spéculatif pour la revendre quelques jours ou mois plus tard (certains marchands parlent même d'heures!). On est donc bien loin de la transmission à la prochaine génération, la montre ayant une très forte chance de changer de main rapidement.

C'est tout le paradoxe de la situation: Patek Philippe se trouve à devoir gérer des comportements que l'on pourrait qualifier d'opposés au message transmis par sa célèbre campagne. Et c'est d'une certaine façon tout un symbole de constater que Peter Lindbergh nous quitte en plein dans cette période vénale si éloignée de l'atmosphère raffinée et détachée de ses clichés. Une page se tourne.