Théo Auffret: Tourbillon à Paris

La tendance se confirme: la France retrouve petit à petit sa place en tant que pays qui compte dans le monde de l'horlogerie de haut niveau. Ce qui me fait le plus plaisir est que cette crédibilité croissante est le fruit du travail de jeunes horlogers ce qui laisse augurer d'un avenir très prometteur. Selon moi, la personne qui provoqua l'étincelle nécessaire à cette renaissance fut Jean-Baptiste Viot. Son chronomètre à Paris définit en très grande partie les principales caractéristiques d'une montre de haute horlogerie artisanale française et contemporaine. Je me souviens très bien ce que Jean-Baptiste m'avait dit lorsque j'avais découvert sa montre il y a 10 ans. Il insista sur l'architecture du mouvement pensée pour faciliter le travail des horlogers qui devraient par la suite intervenir dessus, sur la régularité de marche obtenue grâce à une basse fréquence et à un grand balancier et sur des détails esthétiques et décoratifs spécifiques comme les traits brouillés. En fait, son chronomètre avait été conçu avec une idée majeure en tête: la montre devait être pérenne c'est à dire être fiable et facilement réparable même dans plusieurs décennies. Et c'est en cela que la création de Jean-Baptiste Viot fut un véritable hommage aux horlogers français du passé: fabriqué à la main et en utilisant des machines traditionnelles et des "vieux trucs d'horlogers" comme le disait Jean-Baptiste, le chronomètre m'est apparu comme hors du temps, à la fois respectueux du passé mais également totalement inscrit dans le long terme du fait de sa conception intelligente et robuste.


Ce n'est pas par hasard que je vous fais cette digression sur Jean-Baptiste Viot. Car en découvrant le prototype du Tourbillon à Paris de Théo Auffret, j'ai ressenti les mêmes émotions qu'en observant le chronomètre il y a 10 ans. Ce n'est évidemment pas une coïncidence: Théo Auffret consacra une très grande partie de son cursus d'apprentissage au sein de l'atelier de Jean-Baptiste Viot avant de le poursuivre au sein de l'atelier de Luca Soprana. Au-delà de la transmission de son expérience, Jean-Baptiste facilita grandement la tâche dans l'élaboration du prototype du Tourbillon en lui permettant d'utiliser les machines de l'atelier en dehors des horaires de travail.

L'influence de Jean-Baptiste Viot se ressent évidemment dans la construction du Tourbillon: la montre possède une basse fréquence (2,5hz pour une réserve de marche de 50 heures), son architecture est véritablement tri-dimensionnelle et parfaitement organisée et je retrouve des éléments de finition comme les traits brouillés. Maintenant, il serait très injuste de dire que le Tourbillon de Théo Auffret n'est qu'une évolution du chronomètre de Jean-Baptiste Viot car il possède une véritable identité et des caractéristiques propres. Le Tourbillon est en tout cas une vraie preuve de la maturité de Théo Auffret... qui n'a que 25 ans. Car la montre que je vous présente a été réalisée à la main par un horloger né en 1995. Je ne sais pas si on se rend compte du talent qu'il faut mobiliser pour mener à bien un tel projet. Pourquoi je parle de maturité? Tout simplement parce qu'en réalisant le prototype, Théo Auffret a pensé en même temps à la version en montre de souscription dont la vocation sera d'être produite en fonction des commandes, avec un objectif de 20 pièces. De légères différences techniques existeront entre les deux pièces (par exemple l'échappement du prototype provient d'une montre Jaeger-Lecoultre des années 30 et quelques éléments mécaniques comme la roue de centre, le barillet et le pignon coulant ont été extraits du Peseux 260) mais l'ambition et la ligne directrice demeureront identiques: la montre de souscription restera une pièce d'exception, fabriquée en très grande partie à la main. Et comme l'essentiel du coût de production sera constitué par le temps passé à produire, façonner et assembler les composants, le prix de vente de la montre de souscription ne variera pas en fonction du matériau du boîtier choisi (platine, or, argent ou acier).


La montre de souscription est proposée à un prix de 108.000 euros HT. En examinant de près le prototype, je n'ai eu aucun doute sur la pertinence de ce prix. Le Tourbillon à Paris est non seulement une montre réussie mais elle porte également la signature et l'engagement de son créateur.

C'est d'abord le jeu des couleurs qui m'a attiré. Il se dégage de la montre une atmosphère raffinée à la fois paisible et énergique due en grande partie au contraste entre la dominante monochrome et la couleur des éléments mobiles comme le barillet ou le balancier. Le Tourbillon à Paris joue d'ailleurs en permanence sur les contrastes. L'organisation du côté face de la montre est ainsi équilibré car le barillet, la cage du Tourbillon et le cadran forment une sorte de triangle équilatéral. Mais le léger décentrage du triangle et les impressionnant effets de profondeur apportent aussi beaucoup de dynamisme.

J'avais eu l'occasion de voir une première version du prototype il y a quelques mois. Sa dernière version  témoigne de nombreuses avancées et m'est apparu comme plus aérien et lumineux. Un détail change tout: le pont du barillet est dorénavant ouvert ce qui est appréciable et allège son impact visuel. Le pont du tourbillon reste en revanche plein et j'y vois deux intérêts. Outre la sécurité qu'il apporte, cela crée un contraste supplémentaire du point de vue esthétique.


La finition du pont de barillet est intéressante. Il est adouci puis il est fini avec des traits tirés en long ce qui lui donne presque un aspect bicolore. Ce type de finition permet au pont de se détacher visuellement des autres ponts et de la platine en maillechort dont la finition en traits brouillés a été réalisée avec du charbon.

La cage du Tourbillon est large et le balancier a suffisamment de place pour respirer. Je n'ai jamais aimé les tourbillons étriqués, coincé dans des ouvertures trop petites. La taille de la cage donne l'opportunité d'apprécier de façon nette d'un côté l'échappement, de l'autre les masses cylindriques qui contrebalancent le poids de l'échappement (elles ressemblent à des palets épais). Ces masses cylindriques ne seront pas a priori reprises sur la montre de souscription à moins que le propriétaire de la montre n'en fassent la demande.

L'affichage est de type "régulateur" avec une longue aiguille centrale des minutes et une aiguille des heures placée sur un cadran en argent décentré. Ces aiguilles poire à la symétrie parfaite, en acier trempé, contribuent grandement au charme de la montre. Elles sont façonnées et tournées à la main et leur méthode de fabrication conduit à des centres carrés. Je dois avouer que j'aime beaucoup ces bases carrées qui amènent une petite rupture visuelle par rapport à une ambiance générale très circulaire. Bien évidemment, le propriétaire de la montre de souscription pourra demander un centre rond J'ai posé à Théo la question de changer la couleur des aiguilles pour les rendre plus visibles sur le cadran. Le problème est qu'elles seraient devenues trop bleues et auraient juré sur le côté face de la montre. Pour des raisons d'harmonie, il vaut mieux qu'elles conservent cette couleur.


Le cadran en argent est lui aussi adouci. Son extérieur est poli et anglé et les index sont délicatement chassés et légèrement rivés. Il n'y a rien de collé. Enfin les vis renforcent également la qualité perçue. Je pense notamment à la vis du pont du Tourbillon et à l'imposante vis du pont du balancier. Leurs bords sont anglés et elles offrent des traits tirés sur les côtés. Elles apportent ainsi du volume à l'ensemble. A noter enfin que la montre de souscription intégrera un discret cartouche portant le nom de l'horloger à 6 heures sur la minuterie.

Le côté face du Tourbillon à Paris est donc une vraie réussite. Grâce à la qualité des finitions, aux contrastes et aux effets de profondeur, il offre un spectacle envoûtant magnifié par le comportement du Tourbillon. Le verre minéral moulé artisanalement laisse passer une lumière naturelle qui correspond bien aux finitions exécutées par Théo Auffret. Cependant, sa forme peut créer des reflets.

L'arrière de la montre n'est pas en reste. Il n'est certes pas aussi animé du fait de la position de la cage côté face. Il n'en demeure pas moins que le résultat est aussi spectaculaire. Théo Auffret joue aussi sur les contrastes comme par exemple avec la finition adoucie du pont de la grand roue de moyenne en acier et du petit pont de la cage du Tourbillon. Le contraste entre ces deux ponts et  la finition en traits brouillés des autres éléments est saisissant. De même, la roue de couronne et le rochet offrent des finitions distinctes en combinant une base adoucie et des contrastes mats et polis. J'aime la façon dont la grande roue de moyenne est mise en valeur.


Dans ce contexte mécanique d'excellence, le boîtier apparaît plus comme un cadre qui s'efface et qui laisse le premier rôle au mouvement. De fait, il n'est pas la composante la plus originale. Il est cependant très bien fait avec des cornes plutôt longues qui ont pour but d'augmenter la taille perçue. Le diamètre en lui-même est de 38,5mm. Ce diamètre est idéal pour une montre habillée. La volonté de Théo Auffret aura été de respecter ce diamètre contenu tout en offrant la plus grande cage possible. L'objectif est atteint et le Tourbillon à Paris offre des proportions harmonieuses qui se ressentent une fois que la montre est mise au poignet. Elle se porte avec confort même si les petits poignets devront faire attention à la longueur des cornes. La montre apparaît un peu épaisse compte tenu de son rapport diamètre / épaisseur plutôt faible. La forme du verre accentue cette sensation mais elle a une vertu: elle accentue significativement les effets de profondeur qui donnent beaucoup de plaisir.

Le Tourbillon à Paris est une montre magnifique. Elle est même plus que cela: le prototype préfigure une montre de souscription ambitieuse qui pourra s'adapter aux souhaits de personnalisation des futurs propriétaires. Elle est aussi une double ambassadrice de l'excellence française. Ambassadrice des artisans français qui accompagnent le projet. Le verre est moulé à Paris, l'écrin est réalisé en ébène blanc par Walter Bellini tandis que la marmotte de transport qui est intégré dans l'écrin est  faite par David Colin. Et ambassadrice de cette horlogerie française de haut niveau qui monte comme le prouvent aussi les créations de Rémy Cools, de Cyril Brivet-Naudot, de John-Mikaël Flaux ou de Charles Routhier (la plupart récompensés par la Young Talent Competition de François-Paul Journe). Ce qui me fait plaisir, c'est de constater que certains projets se concrétisent et prennent le chemin de la commercialisation.


Théo Auffret ne néglige pas l'étape cruciale de la communication et s'entoure d'une équipe qui a déjà développé un site internet et anime de façon régulière le compte Instagram. C'est une nouvelle preuve de la maturité de ce jeune horloger qui a fixé son prix de vente de façon réaliste et qui croit en la réussite commerciale de son Tourbillon à Paris. Théo Auffret prévoit dans ce contexte de produire 20 pièces en 4 ans avec un délai de livraison de 10 mois à partir de la prise de commande. Je crois en la réussite de cette ambition compte tenu de le qualité d'exécution et de l'image qui se dégage de cette montre.

Les plus:
+ une montre magistrale faite main
+ l'équilibre de la présentation
+ les techniques de finition, de haut niveau et peu vues pour certaines d'entre elles
+ la taille de la cage de Tourbillon dans une montre d'un diamètre de 38,5mm

Les moins:
- le boîtier est moins audacieux que les autres éléments