Audemars Piguet: Code 11.59 Automatique

Tout a été dit ou presque sur la collection Code 11.59 d'Audemars Piguet qui fut présentée lors du dernier SIHH. Cette collection, stratégique pour la marque du Brassus, a fait l'objet de très nombreux commentaires négatifs sur les réseaux sociaux dès les premières minutes qui ont suivi son lancement officiel et cette effervescence s'est prolongée pendant de longues semaines, bien après le salon. Tout y est passé: des réflexions sur le design de la collection, sur la stratégie d'Audemars Piguet, des commentaires sur François-Henry Bennahmias et j'en passe. J'ai beau me remémorer tous les lancements d'envergure de ces vingt dernières années, je n'ai pas le souvenir d'avoir observé une telle campagne, j'ai presque envie de rajouter "de dénigrement" à l'encontre d'une nouvelle collection.

Il faut dire que le contexte a bien changé. En 2019, les réseaux sociaux sont puissants du point de vue médiatique et surtout de nombreux comptes, souvent menés par de fins observateurs du petit monde horloger ou par des collectionneurs anonymes, n'hésitent plus à mettre le doigt là ou ça fait mal.


En fait, j'analyse cet emballement de début janvier de façon très simple. Je pense qu'Audemars Piguet a pris un retour de flammes plus lié à la stratégie marketing et à la façon de présenter la nouvelle collection qu'aux produits en eux-mêmes. Je ne peux pas reprocher à Audemars Piguet d'avoir fait du lancement de la collection Code 11.59 un événement majeur. Car c'en est un! Il symbolise la volonté de la marque de sortir de la dépendance de la Royal Oak et de trouver de nouveaux relais de croissance. C'est selon moi une excellente orientation stratégique. En revanche, les contenus des messages qui ont précédé le lancement et les teasings ont tellement bien fonctionné qu'ils ont suscité une attente extrêmement forte. La compréhension des observateurs et des amateurs étaient que la collection allait incarner une fulgurance esthétique, une sorte de révolution du design. Or, et je vais revenir sur ce point, la grande force de la collection ne se situe pas là: elle se situe plutôt dans la mécanique. Et c'est cet écart entre les attentes et la confrontation avec la réalité qui entraîna les réactions vives et excessives.


J'ai la conviction qu'Audemars Piguet aurait dû présenter les choses autrement. Alors oui, c'est toujours facile d'analyser avec un rétroviseur. Mais je pense qu'un projet d'une telle envergure aurait dû être plus testé auprès de personnes extérieures à la manufacture. Cela n'aurait peut être pas changé la version finale des produits mais cela aurait sûrement influencé le message marketing vers plus de simplicité et plus de contenu technique du fait des nouveaux mouvements. Même en voyant le film sur la genèse de la collection lors du SIHH, j'ai eu le sentiment que la construction de cette collection a été longue (ce n'est pas critiquable) et faite dans une sorte de vase clos, presque avec des oeillères. Or un projet sur la durée doit s'ouvrir. Le monde change vite. Les attentes des amateurs aussi. La réalité d'il y a à peine 3 ans n'est plus celle d'aujourd'hui. Audemars Piguet a sûrement pêché par trop de certitudes et de confiance. Je ne leur en veux pas: c'est peut être le défaut de ceux qui connaissent le succès. Et Audemars Piguet se porte très bien, c'est même une des marques qui se portent le mieux. Je suis sûr que les réactions suite au lancement ont généré un retour d'expérience. Il sera profitable à la marque qui par le passé a toujours su réagir et d'adapter. Un exemple? La conversion de la Millenary en montre femme ce qui a donné une nouvelle impulsion à la collection.


Le contexte était tellement pollué par les ondes négatives qu'il m'était impossible d'avoir un avis serein sur la collection Code 11.59 pendant et juste après le SIHH. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à pouvoir tester un des modèles quelques mois plus tard et ce sur 10 jours. J'ai souhaité essayer sur la durée la Code 11.59 Automatique à cadran blanc. Mais pourquoi cette montre? Tout simplement parce qu'elle se distingue dans la collection du fait de la teinte claire de son cadran. Elle est de plus, accessoirement, une des plus simples à photographier (il faut toujours penser à se simplifier la vie)! Après ce test "dans la vraie vie", je suis donc capable de répondre aux trois questions suivantes:

Est-ce qu'une montre de la collection Code 11.59 est une bonne montre? Ma réponse est OUI.
Est ce qu'Audemars Piguet aurait pu faire mieux? Ma réponse est OUI.
Est-ce que la collection mérite une telle campagne d'acharnement? Ma réponse est NON.

Mes réponses sont forcément subjectives car influencées par mes goûts, mes sensations. Mais je pense qu'il y a tout de même un peu d'objectivité derrière tout ça. Plutôt que de vous présenter avec moult détails la Code 11.59 Automatique, je vais vous expliquer ce qui m'a plu et moins convaincu dans cette montre.


La Code 11.59 Automatique: une montre qui respire la qualité...

Au bout de 10 jours, j'ai eu cette conviction: oui la Code 11.59 Automatique est une montre qualitative digne des standards d'Audemars Piguet. Il y a plusieurs éléments que j'ai beaucoup apprécié:

- le design et la finition du boîtier: c'est la principale réussite esthétique de la montre. Je le trouve contemporain, subtil et élégant. J'aime le travail sur la carrure (clin d'oeil à la Royal Oak) et les cornes évidées. Sa finition est irréprochable, la couronne est également très belle et ses proportions (diamètre de 41mm pour une épaisseur de 10,7mm) lui donnent un style élancé sans que la montre n'apparaisse comme fine.


- la beauté du mouvement: le calibre 4302 est certes un mouvement "industriel" mais son diamètre généreux (32mm) et la qualité de sa présentation et des finitions le rendent extrêmement agréable à observer. Le style Audemars Piguet se retrouve dans le design de la masse oscillante et dans le pont traversant. J'ai également apprécié la découpe des ponts, la parfaite continuité des côtes de Genève et le fait que la masse oscillante englobe le mouvement.

- l'efficacité du mouvement: le calibre 4302 est également un excellent calibre du point de vue de ses performances. Il a fonctionné sur la période de façon constante avec une bonne efficacité au remontage. En fait, son remontage automatique fonctionne de façon plus régulière que le 3120 qui avait tendance à remonter trop vite. Sa fréquence est de 4hz et sa réserve de marche est de 70 heures, ce qui est une durée fort respectable. Un détail m'a agréablement surpris: la sensation du saut de date en utilisant le réglage de date rapide. C'est franc, c'est net et cela respire la qualité. Incontestablement, ce mouvement ainsi que tous ceux de la même génération sont bien nés.


- le confort au porter: malgré sa taille plutôt généreuse, la Code 11.59 Automatique se positionne bien sur le poignet et la large boucle ardillon la maintient efficacement sur le poignet. Un bon point d'autant plus que la montre est relativement lourde.

- la finition des chiffres du cadran: j'ai aimé ces chiffres appliqués, fins et légèrement courbés: ils prennent joliment la lumière et je trouve que c'est dans le contexte du cadran blanc qu'on en profite le mieux.

... qui est toutefois perfectible...

Cependant, il y a des détails qui m'ont moins convaincu voire même interpelé:

- le cadran comporte des zones de vide. Ce n'est pas l'absence de décoration au centre du cadran qui me gène. Une montre peut se concevoir sans. La zone périphérique surélevée n'est pas critiquable non plus car c'est plutôt une bonne idée. Mais en observant le cadran, j'ai la certitude qu'il aurait été possible de tirer un meilleur profit du design des chiffres. Si ces derniers avaient été plus grands, ils aurait équilibré le cadran et l'auraient animé encore plus efficacement. Je répète: ils offrent de beaux reflets mais ils demeurent trop discrets au final.

- un guichet de date est présent sur le cadran. Je ne regrette pas sa présence à 4h30. C'est la seule solution pour maintenir les 4 chiffres sur le cadran. Je regrette tout simplement qu'il y ait un guichet. Je pense qu'une date est loin d'être indispensable dans une montre de ce segment et que c'est plus un obstacle commercial qu'un avantage contrairement à ce que les marques pensent. Quitte à avoir une date, il aurait été plus judicieux de proposer un affichage alternatif  qui aurait alors habillé et rempli le cadran. Dommage.

L'étrange rendu de la double courbure du verre:


- les aiguilles sont trop simples. Je ne suis pas contre la simplicité. Mais leur lisibilité est perfectible. Il m'arrivait de les perdre de vue. Et un peu plus de sophistication aurait rehaussé la qualité perçue. En revanche, j'aime beaucoup la trotteuse!

- Mais pour moi le point le plus mystérieux reste la glace saphir doublement courbée. On est ici dans la subjectivité totale mais je dois avouer que je n'ai pas aimé ce rendu. En observant la montre de biais, la double courbure donne l'impression que le cadran est incliné ce qui est bizarre. Cela n'apporte rien du point de vue esthétique et je ne trouve pas que la lisibilité en soit améliorée. Disons que je ne suis pas rentré dans le concept.

... mais qui ne mérite pas une telle campagne!

Du point de vue qualitatif, mécaniques et des finitions, la Code 11.59 Automatique est bien née. Je conçois aussi parfaitement que du point de vue esthétique elle ne recueille pas tous les suffrages. Il y avait mieux à faire sûrement. Mais au bout du compte, j'ai porté avec plaisir la montre pendant la dizaine de jours et elle a suscité des commentaires globalement favorables de mon entourage. Ce qui est regrettable et frustrant, c'est qu'une pièce comme la Code 11.59 Quantième Perpétuel démontre qu'avec plus d'audace dans le design du cadran, le résultat aurait été totalement abouti.

La chance au bout du compte pour Audemars Piguet est que c'est l'élément le plus simple à retravailler (ce qui ne veut pas dire que cette tâche est aisée) qui est le plus perfectible. Les boîtiers, les mouvements offrent un socle solide et qualitatif à la collection. Le cadran, malgré de bonnes idées (chiffres, zone périphérique surélevée) pêche par un excès de prudence. C'est tout le paradoxe: les Code 11.59 Automatique ou Chronographe génèrent des réactions excessives alors que le reproche qui peut leur être fait est d'offrir des cadrans trop sages. 


Derrière tout ça, je trouve dommage de critiquer aussi violemment Audemars Piguet. D'abord parce que l'exécution de la collection est irréprochable. Ensuite parce que la démarche de la manufacture est louable. Vouloir diminuer l'influence de la Royal Oak est plus qu'un objectif: c'est une nécessité qui doit asseoir la pérennité et la croissance de la marque. Et n'oublions pas non plus qu'Audemars Piguet ne vendait pas des wagons entiers de Jules Audemars!

Un bilan contrasté mais bien meilleur que ce que certains imaginent

Code 11.59 est bien plus qu'une montre. C'est une collection complète et ambitieuse qui va de la trois aiguilles jusqu'à la répétition minutes en passant par le Quantième Perpétuel, le Chronographe ou le Tourbillon Squelette et tout cela animé par une nouvelle génération de mouvements. Audemars Piguet fera sûrement évoluer les éléments esthétiques mais la base demeure saine et évolutive.


Quant à la Code 11.59 Automatique, j'ai pu apprécier sa présence au poignet, son confort, la qualité générale des finitions et l'efficacité de son mouvement. La version à cadran blanc est pour moi la plus séduisante car la couleur du cadran permet d'apprécier sa texture et les reflets sur les chiffres. Le cadran manque de dynamisme et d'audace et son esthétique (mais pas son exécution) ne se situe pas au même niveau que le reste. Au final, c'est la double courbure du verre qui m'a le plus dérangé mais c'est une histoire de goût. J'ai envie de résumer mon point de vue sur cette montre ainsi: j'ai aimé les paramètres objectifs (performance du mouvement, finitions etc...) et j'ai été déçu par des paramètres subjectifs (esthétique du cadran et le jeu subtil de la double courbure). Ce constat me fait donc penser que la Code 11.59 Automatique, au même titre que les autres montres de la collection, mérite d'être vue, manipulée et testée pour être appréciée à sa juste valeur. J'espère que ceux qui l'ont vertement critiquée sans l'avoir vue feront l'effort de la juger dans les conditions du réel.

Merci à Audemars Piguet France

Les plus:
+ les performances du mouvement 4302
+ la présentation et la finition du boîtier
+ le confort au porter
+ les reflets de lumière sur les chiffres

Les moins:
- les aiguilles trop simples
- des zones vides sur le cadran trop importantes
- le rendu visuel du verre à double courbure