Baselworld 2019: une édition porteuse d'espoirs

L'édition 2019 de Baselworld vient de s'achever et sans grande surprise, elle affiche des chiffres en nette baisse par rapport à l'édition précédente: une fréquentation de 81.000 visiteurs en retrait de 22%, un nombre d'exposants en diminution de 20% et un nombre de journalistes accrédités qui se rétracte de 12%. Ces données sont loin d'être surprenantes puisqu'elles sont la conséquence logique du départ effectif de  Swatch Group, Corum ou Raymond Weil. L'absence de tels acteurs qui constituaient la pierre angulaire de la seconde partie du Hall 1.0 ne pouvait que se ressentir. Et pourtant, malgré ces chiffres délicats, un certain vent d'espoir se remettait à souffler à l'issue de cette dernière édition.

Le stand Tag Heuer est toujours le premier que nous découvrons en entrant dans le Hall 1.0:


Il ne s'agit pas de dire que le salon est sauvé et que les marques vont de nouveau se précipiter. La nouvelle direction avec Michel Loris-Melikoff à sa tête a bien compris que les années fastes sont derrière elle et qu'une nouvelle attitude, plus humble et réaliste est de mise. Mais qu'est-ce qui me fait entrevoir une lueur au bout du tunnel?

Les points positifs

Tout d'abord, en tant que visiteur pendant les 7 jours du salon (du mercredi 20 au mardi 26 mars), j'ai pu profiter d'une ambiance plus détendue et moins fébrile. Certes, une fréquentation moindre ne peut satisfaire l'organisateur mais les rendez-vous s'enchaînaient sans retard, avec moins de pression. Le fait que le Hall 1.0 était dégagé (c'était étonnant de pouvoir apercevoir le stand de Breitling depuis l'entrée!) rendait le lieu plus paisible.

Les conditions de travail étaient également améliorées grâce à un espace presse efficacement organisé mais malheureusement sous-dimensionné lors des premières journées. Je reviendrai sur ce point plus tard. Il est important aussi de préciser que le wifi presse a fonctionné sans souci pendant toute la durée du salon et était même accessible depuis des points relativement éloignés (depuis même mon arrêt de bus pourtant complètement à l'arrière du Hall 1.0).

On parvient à distinguer au loin le stand Breitling!


L'organisation des stands plus compacte (de nombreuses marques du Hall 2.0 se sont retrouvées au Hall 1.1) rendait les déplacements plus faciles et les distances moins longues à parcourir ce qui était toujours un souci à Bâle: il faut toujours prendre ses rendez-vous en pensant aux emplacements des stands!

J'ai aussi pris beaucoup de plaisir à découvrir le Watch Incubator. Enfin, une tentative réaliste qui permet de récupérer les brebis égarées (je veux dire les marques qui pour des raisons économiques exposent en-dehors de Baselworld et notamment à l'Hypérion). Cela a permis à des journalistes qui avaient un peu de temps libre de découvrir des marques peu connues et ces dernières ont été très satisfaites par l'exposition médiatique qu'elles ont obtenue. 

Le Watch Incubator:


Et puis, je pouvais croiser régulièrement Michel Loris-Melikoff dans les couloirs. C'est peut-être un détail mais au moins je sentais une direction présente, soucieuse de recueillir du feedback et à l'écoute. C'est finalement ce point qui me pousse à l'optimisme. La prise de conscience est réelle et les messages portés lors de la conférence de presse de clôture (des tarifs revus à la baisse, faire de Baselworld une plateforme permanente pendant l'année (l'expérience Art Basel peut être pertinente), offrir plus de services et être plus proche du client final) peuvent trouver écho auprès des marques.

Cependant, il existe, au-delà des grandes manoeuvres en coulisse, des points à revoir.

Il est d'abord important de bien reconsidérer, si Baselworld veut devenir un véritable événement grand public, les tarifs à l'attention des visiteurs. Le tarif journalier de 60 CHF est trop élevé. Surtout pour affronter certains stands fermés comme des citadelles. Et surtout aussi quand le système d'accréditation presse se révèle laxiste: des purs instagrammers avec des comptes dopés à l'achat de followers  se retrouvent accrédités presse (et donc accèdent au salon pendant une semaine gratuitement) sans jamais n'avoir écrit un seul article. Sans compter une influence suspecte pour ne pas dire frauduleuse. Un tour de vis doit s'opérer à ce niveau avec un vrai contrôle sérieux.

D'ailleurs, cela permettrait de libérer de la place au sein de l'espace presse qui s'est retrouvé engorgé les premiers jours. Alors, pourquoi ne pas distinguer ceux qui écrivent des articles que ce soit dans le print ou en ligne des autres et ne donner l'accréditation qu'aux premiers et prévoir une accréditation spéciale pour les seconds?

Cela me fait rebondir sur l'organisation des marques. Il n'y a pas que l'organisateur à blâmer. J'ai le sentiment que MHC Group est parfois un bouc-émissaire un peu facile. Les stands bouclés à double-tour, les cerbères à l'entrée, les conditions de shooting très inégales, tout ceci relève plus selon moi de l'attitude des marques que de l'organisateur. Le SIHH est à ce titre bien en avance: les stands sont beaucoup plus agréables et ouverts et même sans rendez-vous on peut naviguer à l'intérieur.

Sinon, cela fait au moins 5 ans que toutes les marques expliquent que le digital est important. Et pourtant les conditions de shooting n'ont pratiquement pas évolué. Les marques en sont restées aux années 80 sur ce point. La lumière est mauvaise, les montres pas préparées au shooting (avec des étiquettes placées n'importe comment) et j'en passe. Notons tout de même que Zenith et Breitling et dans une moindre mesure  Patek Philippe (mais oui!) sont bien mieux préparés que d'autres.

Les Ateliers ont cette année souffert d'une localisation de nouveau changeante. 3 changements en 3 ans, c'est trop. Je sais bien que le sujet est compliqué et qu'entre défections et espérons-le retours, la géographie des halls va beaucoup changer. Mais il est important de garder certains éléments intangibles. C'est la raison pour laquelle, il vaudrait mieux conserver le même emplacement l'année prochaine tout comme celui du stand de l'AHCI (les deux zones communiquent par un escalator ce qui est un bon point).

La nouvelle localisation des Ateliers a peut-être généré une moindre fréquentation:


J'ai exprimé ma satisfaction de découvrir le Watch Incubator. L'organisation s'est faite un peu au dernier moment et cela malheureusement s'est ressenti. Les conditions de lumière n'étaient pas idéales et les marques n'étaient pas indiquées sur le plan. Cette zone aurait mérité d'être mieux mise en valeur. Je regrette aussi que les exposants de la zone aient dû acheter des invitations... alors qu'on pouvait accéder à leurs emplacements sans badge! Cela faisait un peu mesquin. En tout cas, une chose est certaine: Baselworld doit continuer à travailler ce concept. Car il est important de rapatrier les dizaines de marques qui se retrouvent à l'Hypérion ou au Swiss Hotel. C'est tout de même incroyable de quasiment voir un salon parallèle s'organiser à quelques mètres. Tout le monde y gagnerait au final de se retrouver sous la même bannière. Mais on y revient toujours: il faut alors que les prix pratiqués et les services offerts correspondent aux attentes de ces petites (et plus grandes) marques.

Il sera pertinent de rapatrier les brebis égarées notamment au sein de l'Hypérion en leur offrant des conditions séduisantes et pertinentes:

 

Enfin, le système de l'heure officielle de fermeture du salon est à revoir. N'ayez jamais le malheur de sortir de l'enceinte si vous avez un rendez-vous dans un autre Hall après 18h00. Personne ne vous laissera rentrer de nouveau sauf si vous avez une invitation spéciale. Alors on assiste à des scènes cocasses. Pour se rendre après 18h00 du Hall 1.0 aux Ateliers, au lieu de traverser  les voies du tramway ce qu prendrait une minute, on monte au Hall 1.1 pour redescendre par la suite. Perte de temps: au moins 5 bonnes minutes. De plus on accède à l'espace presse sans débadger... mais il faut badger pour re-rentrer dans le Hall alors que l'espace est déjà dans ce même Hall. Je n'ai pas osé faire l'expérience du badgeage de sortie de l'espace presse à 18h01... Il va donc falloir revoir ce système qui est maintenant proche du ridicule.

Dernier point: l'environnement économique de Bâle a, à mes yeux, peu évolué. L'organisateur ne peut pas tout faire et tout influencer. Les tarifs pratiqués par les hôtels, les restaurants restent pour moi exorbitants. Mais cela ne pourra pas changer d'un coup de baguette magique.

Et maintenant?

Le plus dur commence pour Michel Loris-Melikoff. Il s'agit de se transformer en missus dominicus et d'aller prêcher la bonne parole auprès des marques. Mais je considère donc que le contexte n'est pas aussi mauvais qu'on veut bien le dire. Baselworld 2019 s'est bien déroulé, MHC Group donne des gages et l'équipe dirigeante est au travail. Alors laissons-les travailler. Les rumeurs les plus folles circulaient à la fin du salon. Le départ de X, la négo de Y. Le départ de Swatch Group annoncé en plein été alors qu'à la fin du salon 2018, tout le monde disait que Swatch Group avait rempilé, conduit à être très prudent.

En tout cas, une chose est certaine: à titre personnel, j'ai envie que Baselworld continue et longtemps. Je ne suis pas un professionnel et j'organise mes loisirs en fonction des événements. Le SIHH et Baselworld me permettent de rencontrer le maximum de marques en un minimum de temps. C'est tout bénéfice pour moi. Et puis, au-delà de mon cas personnel, il est beaucoup plus important de considérer que l'industrie horlogère a besoin de tels événements qui rassemblent. L'industrie, je le dis souvent, pèse peu: quelques dizaines milliards d'euros de CA soit moins qu'un gros acteur du CAC 40. Et s'il fallait comparer la capitalisation boursière de Swatch Group ou de Richemont à celle d'Apple, on prendrait vraiment peur. 

Rolex, un pilier de Baselworld:


J'aime Baselworld parce que j'ai toujours eu l'impression que c'était l'industrie qui s'y retrouvait. Cette dimension n'est plus la même avec le départ des sous-traitants mais il est important que cet événement fédérateur demeure.

Malheureusement, les dates de l'année prochaine (26 au 29 avril pour le SIHH et du 30 avril au 5 mai pour Bâle) posent un triple problème:
- elle sont plus tardives dans l'année civile et cela peut poser un souci pour les marques qui ne vont pas vouloir attendre 4 mois avant de dévoiler des nouveautés
- elles tombent en plein ramadan ce qui est un mauvais plan
- et enfin, le décalage du SIHH fait qu'il n'y aura aucun salon pour Richemont pour son année comptable du 1er avril 2019 au 31 mars 2020. Evidemment, Richemont veillera à ce que cela n'impacte pas ses comptes mais au final, cela pourra apporter une démonstration qu'un grand groupe peut se passer d'un tel événement. Pas sûr que de donner l'opportunité de vérifier l'impact économique d'un arrêt du SIHH soit très pertinent.

Le stand de l'AHCI:


De toutes les façons, les salons doivent s'adapter aux réalités: les marques veulent maintenant communiquer et présenter des nouveautés pendant toute l'année et de toutes les façons, le poids économique des salons dans le CA des marques ne fait que s'éroder d'année en année. C'est la raison pour laquelle l'orientation présentée par MHC Group lors de la conférence de presse de clôture est pertinente. Il faut maintenant faire évoluer la vocation de Baselworld et en faire un véritable événement de rassemblement qui réunit et resserre l'industrie et qui lui permet en même temps de s'ouvrir. Attention cependant à ne pas en faire des tonnes sur les influenceurs et autres instagrammers  au moment où les marques commencent à adopter des attitudes plus prudentes à leurs égards.

Bref, beaucoup de pain sur la planche pour Michel Loris-Melikoff et la direction de MHC Group. Mais les prochains s'annoncent passionnants et j'espère de tout coeur que l'édition 2020 de Baselworld sera la première page d'un nouveau chapitre de l'histoire du salon. En tout cas, d'ores et déjà, les e-mails de l'organisation porte le libellé Baselworld 2020. C'est un très bon signe que de se projeter si vite dans la futur édition. Il est vrai que le temps est compté et que chaque jour doit être mis à profit pour convaincre les marques de la pertinence de leur participation au salon.