Quelques réflexions suite au GPHG 2018

La cérémonie de l'édition 2018 du Grand Prix d'Horlogerie de Genève s'est déroulée vendredi soir sur la scène du Théâtre du Léman . A peine achevée, les marques récompensées ont communiqué à travers leurs listes de diffusion et les réseaux sociaux sur leur joie et fierté d'avoir gagné un des prix décernés par le Jury. Cette rapidité en matière de communication est évidemment à l'image de la société  de l'immédiateté dans laquelle nous vivons. Edouard Baer n'avait même pas clôturé l'événement que déjà ma boîte email crépitait, me prévenant de l'arrivée soudaine de plusieurs messages.

Cette frénésie souligne surtout l'importance pour les marques et notamment pour les marques indépendantes d'une récompense obtenue dans le contexte du GPHG. Pourtant, le GPHG est un événement parfois décrié, notamment à cause de la sensation de décalage qu'il suscite entre d'un côté sa dimension festive et de célébration et de l'autre les difficultés d'une industrie qui a du mal à se relancer. Mais j'ai envie de dire: ce n'est pas parce que l'état des finances publiques est mauvais qu'il faut supprimer les festivités du 14 juillet. Le GPHG, c'est finalement la même chose. Plus que jamais, l'industrie horlogère a besoin d'un événement qui rassemble. Et rien que pour cela, le GPHG joue un rôle important.

On a tendance à l'oublier mais l'industrie horlogère est un secteur d'activité très petit, qui ne pèse pas grand chose dans l'économie mondiale. Le chiffre d'affaires cumulé de toutes les sociétés? Cela doit naviguer autour de la moitié du chiffre d'affaires d'une grande société du CAC 40. La capitalisation boursière de Swatch Group? Elle pèse entre 2 et 3% de celle d'Apple. Et malgré cette petite taille, l'industrie horlogère trouve le moyen de se fragmenter, de se présenter éparpillée comme le prouve la fragilisation des salons alors qu'elle devrait lutter rassemblée et unie pour faire face aux enjeux non pas de demain mais bel et bien d'aujourd'hui.

Une des montres logiquement récompensées, le Chronomètre Contemporain de Rexhep Rexhepi:


Que pendant une soirée, cette industrie se rassemble pour célébrer la fête de l'horlogerie, dans un contexte plus décontracté que celui d'un salon commercial et favorable au networking, est quelque chose de très positif et je dirais même d'indispensable. Sur ce point, le rôle du GPHG est crucial.

Il l'est aussi pour les petits marques indépendantes ainsi récompensées. Les différents prix leur permettent de communiquer, leur donnent une légitimité et peuvent ainsi avoir un impact commercial certain.

Le déroulé de la cérémonie est dorénavant bien rythmé. En limitant la durée des discours et en enchaînant efficacement les remises de récompense, l'organisation du GPHG a su trouver la bonne formule. La cérémonie dure 1h30 et évite de tomber dans le syndrome de l'événement interminable et fastidieux. Le côté décalé apporté par le maître loyal, Edouard Baer, y est aussi beaucoup. Ce côté poil à gratter, voire parfois irrespectueux, peut agacer. Mais je trouve qu'il permet de rappeler que l'on ne parle que de montres et que la terre peut très bien continuer à tourner sans les montres mécaniques. Il y eut deux véritables moments forts lors de la Cérémonie: le discours émouvant de Jean-Claude Biver et la remise du prix au jeune élève horloger. Passion et transmission du savoir, derrière les montres, il y a des femmes et des hommes, des talents, des destins et c'était important de le rappeler.

Le palmarès, c'est le jeu, prête évidemment à discussion. Il y a plusieurs catégories où j'aurais à titre personnel choisi d'autres montres (dans la catégorie Petite Aiguille, ma préférée était la Vicenterra et dans la catégorie Challenge la Réservoir). Ou j'aurais vu une marque gagner dans une autre catégorie que celle dans laquelle elle fut récompensée. Par exemple: Vacheron Constantin que j'imaginais de façon plus évidente gagner dans la catégorie Artistic Crafts qu'à travers le Revival Prize. Une part significative des gagnants provient de l'horlogerie indépendante et je m'en réjouis. Et franchement, une montre comme celle de Rexhep Rexhepi devait être récompensée.

Cependant, je perçois un danger à travers la lecture du palmarès. On parle, encore et toujours, de montres (très) chères et ce n'est pas l'adjonction de la catégorie challenge qui change grand chose à la donne. Et on parle, encore et toujours, de montres produites en très peu d'exemplaires. Et c'est peut-être encore plus gênant.

Les lauréats du GPHG 2018:


A force d'être dans l'ultra exclusivité, le palmarès et donc par ricochet le GPHG dans son ensemble se coupent ce qui constitue le socle de l'industrie: les montres qui génèrent des volumes de vente. 

Prenons d'ailleurs l'industrie automobile à laquelle l'horlogerie aime se comparer. Le trophée européen de la voiture de l'année récompense des voitures "de volume" car les voitures sélectionnées doivent être vendues à au moins 5.000 exemplaires. Ce point est important. Le palmarès en sort renforcé car la voiture récompensée peut être achetée par une part significative de clients.

Il ne s'agit évidemment pas de nier les spécificités de l'horlogerie et d'oublier les créations rares des artisans. Mais il s'agit au contraire d'injecter une dose de réalisme dans le palmarès et le GPHG en sortirait conforté. De nouveau, l'industrie horlogère est trop petite pour en plus donner l'impression de ne s'adresser qu'à une élite ou des happy few. Le contexte est délicat. Les marques qui fonctionnent aujourd'hui le mieux au sein des nouvelles générations ne sont pas originaires du tissu économique traditionnel. Plus de montres du palmarès doivent être accessibles à la clientèle qui malheureusement est en train de s'éloigner de l'horlogerie et dont le portrait robot est le cadre qui un jour décide de mettre un mois de salaire pour s'acheter une jolie montre... Quant aux nouvelles générations que l'horlogerie rêve de séduire, elles s'intéressent à des produits non statutaires, à des prix très mesurés et porteurs de messages nouveaux (écologie par exemple). Où se trouvent ces montres dans la sélection du GPHG?

Il faut impérativement se réveiller sinon à terme on ne parlera plus d'industrie horlogère mais d'une micro-activité et je ne pense pas que ce soit une bonne chose du point de vue de la pérennité et de la préservation du savoir-faire. Ce problème est inhérent au fonctionnement de l'industrie et le GPHG n'en est que le reflet. Pourtant, comme je crois à l'intérêt et à l'importance du Grand Prix, j'ai la conviction qu'il a un rôle à jouer. Pour cela, il doit repenser les catégories, éviter les doublons (des catégories sont trop proches et redondantes), avoir aussi la volonté de récompenser des acteurs "de volume" et faire baisser le prix moyen de la montre primée. Par exemple, j'aurais aimé que Zenith gagnât le prix du chronographe (même si la Singer Reimagined est superbe) car c'est une marque d'un grand groupe, car le mouvement est superbe et que le prix de vente reste raisonnable. Il faut motiver les gros acteurs à revenir au GPHG et au final, c'est tout le monde qui en profitera, même les petites marques et les artisans.

D'ailleurs le GPHG le sait bien... pourquoi Jean-Claude Biver a-t-il été récompensé par le Jury? Parce qu'il a eu une carrière remarquable. Et pourquoi il a eu une carrière remarquable? Parce que son action eut constamment un véritable impact sur l'industrie: Omega, Blancpain, Hublot sont des marques qui génèrent du volume, des ventes et on revient toujours sur ce point-là.

L'horlogerie est véritablement à la croisée des chemins. Elle doit se repenser et très vite. Le GPHG peut dans ce contexte jouer le rôle d'aiguillon et contribuer à cette prise en compte de la réalité du marché en refondant les catégories et en faisant évoluer le profil du palmarès. Tout le monde y gagnerait y compris le GPHG lui-même.