Lange & Söhne: 1815 Tourbillon cadran émail

La Lange & Söhne 1815 Tourbillon fut présentée il y a 4 ans. Elle semblait être la montre tourbillon la plus simple de la manufacture saxonne et pourtant elle se caractérisait par la présence conjointe de deux caractéristiques techniques d'importance: le mécanisme de stop-tourbillon qui avait été introduit avec la Cabaret Tourbillon et le mécanisme de zero-reset, utilisé sur les mouvements automatiques de Lange & Söhne mais qui avait été dévoilé une première fois dans un mouvement à remontage manuel avec la Richard Lange Referenzuhr. 


Comme toujours avec Lange & Söhne, le choix de ces mécanismes additionnels n'était pas fait au hasard. Le tourbillon a pour but théorique d'améliorer la précision mais sa mise à l'heure est délicate compte tenu de son fonctionnement permanent. La présence du stop-tourbillon et du zero-reset rend la tâche beaucoup plus simple: il suffit de tirer la couronne et le tourbillon s'arrête tandis que la petite trotteuse revient de façon instantané à zéro. Ainsi il suffit juste de mettre à l'heure et de pousser la couronne au bon moment pour que la montre reprenne sa marche avec un réglage précis.

La 1815 Tourbillon intégra le catalogue de la marque avec deux versions à cadran argenté: l'une en platine, limitée à 100 exemplaires et l'une en or rose, sans limitation, même si évidemment la production d'une telle pièce demeure faible. Puis fin 2015, une version Handwerkskunst compléta l'offre en appliquant à la montre des techniques décoratives de haut niveau comme par exemple le cadran pourvu de gravures au tremblé. Le résultat était spectaculaire et tranchait avec les deux montres initiales car l'atmosphère était beaucoup plus baroque.


Lange & Söhne surprend cette année en présentant une autre version en série limitée de 100 exemplaires de la 1815 Tourbillon en platine mais avec une approche beaucoup plus sobre, en utilisant cette fois-ci un cadran en émail. Lorsqu'on découvre pour la première fois cette nouvelle déclinaison, on pense immédiatement à la Langematik du début des années 2000. Le boîtier en platine, le cadran en émail, le douze rouge (certes, cette fois-ci avec des chiffres arabes), les aiguilles Alpha bleuies, de façon incontestable la 1815 Tourbillon baigne dans une ambiance similaire. Et c'est peut-être là où la manufacture voulait en venir: créer une rupture par rapport à la version Handwerkskunst et retrouver ses racines.

En dehors du cadran, cette dernière version est proche des versions initiales. Proche mais pas identique car si le diamètre reste le même (39,5mm), la hauteur de boîtier est légèrement supérieure compte tenu de l'épaisseur du cadran en émail. Cette très légère différence n'a aucun impact visuel puisque la sensation d'équilibre demeure. La montre possède une taille idéale qui permet de profiter du cadran et de l'ouverture sur le tourbillon tout en conservant l'élégance requise. L'autre légère subtilité est que le cadran en émail est plat alors que le cadran en argent possède un très léger décrochage central qui casse l'uniformité. Je sais qu'un cadran en émail est plus compliqué à réaliser mais j'aurais aimé que Lange & Söhne fasse un effort sur ce point: après tout, le cadran en émail de la Richard Lange PLM avait trois niveaux! Je pense qu'il était envisageable d'en faire deux à moins que le pont du tourbillon rendait cette tâche très délicate.


Le cadran en émail est malgré tout parfaitement conçu et la qualité d'exécution des chiffres (quelque soit leur couleur) et des graduations est remarquable. Après, j'ai toujours un pincement au coeur quand un si beau cadran comporte une large ouverture pour pouvoir apprécier le tourbillon. Pourtant, je ne fais pas partie de ceux qui aiment les tourbillons cachés. Cela me frustre et j'ai la conviction qu'un tourbillon est fait pour être vu. Mais auquel cas, je ne pense pas que le cadran en émail soit la meilleure solution. Quoi qu'il en soit, le tourbillon Lange & Söhne offre un spectacle réjouissant. La finition est superbe, le spectacle est envoûtant et j'avais presque envie de tirer la couronne fréquemment pour le voir s'arrêter et observer le retour instantané de la trotteuse.

A vrai dire, j'aimerais qu'un jour Lange & Söhne adopte une démarche moins conservatrice sur le tourbillon et que l'ouverture s'agrandisse encore plus dans le contexte d'une pièce à l'atmosphère technique. Il y avait un pas dans cette direction avec la Richard Lange Tourbillon PLM mais le pont central où se trouvait la trotteuse cachait un peu le spectacle.


Le mouvement qui équipe la 1815 Tourbillon à cadran en émail est le calibre L102.1 d'une fréquence de 3hz et d'une réserve de marche de 3 jours. Il présente une architecture similaire au mouvement L902.0 du Tourbillon PLM avec une zone inférieure dédiée au tourbillon et à son pont et une zone supérieure recouverte par une platine trois quarts protectrice. Cette platine est ici complètement fermée puisque la montre ne possède pas de transmission chaîne-fusée. La qualité des finitions est de nouveau remarquable avec comme point d'orgue le contre-pivot en diamant.

J'ai eu la chance de porter il y a quatre ans pendant plusieurs semaines la version initiale de la 1815 Tourbillon en platine. La grande force de cette montre est le plaisir qu'elle procure à l'usage: facile à régler, agréable à remonter, confortable grâce à sa taille raisonnable tout en étant assez lourde ce qui renforce la qualité perçue. Cette 1815 Tourbillon est clairement séduisante du point de vue pratique. Je dois avouer que je suis en revanche moins emballé par le grand pont de tourbillon traversant que je trouvais plus à sa place sur le Tourbillon PLM.


Malgré ce bémol esthétique, la 1815 Tourbillon à cadran en émail est une vraie réussite tant du point de vue technique que du point de vue de l'exécution: l'ensemble respire le sérieux, la qualité et il est difficile de trouver un véritable défaut si ce n'est une sensation subjective sur tel ou tel détail. Pourtant la montre ne m'a pas pleinement convaincu et ce pour deux raisons.

La première raison est liée au sentiment de déjà-vu: soyons clairs, cadran mis à part, cette montre n'apporte pas grand chose de nouveau par rapport à la version platine initiale. Et le cadran en émail est trop estampillé "Langematik" pour apporter une réelle sensation de nouveauté. Alors que la Lange One Tourbillon Handwerskunst était parvenue à créer son propre univers grâce à l'émail noir, la 1815 Tourbillon à cadran en émail apparaît plus comme un regroupement de savoir-faire, une sorte de best-of de la manufacture. Ce n'est pas ce que j'attends de la part de Lange & Söhne tout du moins sur une montre de ce niveau de prix.

La seconde raison est plus liée à l'orientation stratégique de la marque. Au début des années 2000, un cadran en émail était accessible avec la Langematik Anniversary qui était une montre disponible en 500 exemplaires à un prix grosso modo 10 fois inférieur à celui de cette 1815 Tourbillon. Peut-être suis-je un peu caricatural en mettant ces deux montres côte à côte. Mais cette comparaison montre bien les tendances que j'observe depuis plusieurs années. Les montres véritablement séduisantes ont maintenant des prix à 6 chiffres, l'entrée de gamme n'est pas forcément passionnante et les séries limitées n'apportent plus l'élément différenciant qu'elles possédaient auparavant. Souvenez-vous, la 1815 Emil Lange, la 1815 Kalendarwoche qui introduisaient de nouvelles complications au sein de la manufacture...


Il faudrait, selon moi, que Lange & Söhne se repenche sérieusement sur son entrée de gamme et de façon plus large sur les montres d'un prix inférieur à 30 ou 40.000 euros. C'est important afin de séduire de nouveaux clients et d'intéresser de nouveau la clientèle traditionnelle qui n'a pas les moyens de mettre 200.000 euros dans une montre pour accéder à un cadran en émail. Un cadran en émail était disponible en 500 exemplaires au début des années 2000. Pourquoi en 2018 la chose deviendrait-elle si compliquée? Telle est au bout du compte l'image que me renvoie la 1815 Tourbillon à cadran en émail. Elle est le parfait symbole de ce que représente la manufacture aujourd'hui: la montre est superbement exécutée mais ne transmet ni la même émotion ni la même étincelle créatrice qu'une montre Lange & Söhne des années 90 ou 2000. Lange & Söhne doit évoluer sinon le risque est de ne finir par s'adresser plus qu'à de très riches collectionneurs pouvant acquérir ce type de pièces aux prix à 6 chiffres. Et je ne pense pas que ce soit la meilleure des choses pour l'avenir de la marque. Je suis sûrement trop exigeant et peut-être injuste à l'encontre de Lange & Söhne. Mais c'est bien parce qu'elle est ma marque préférée  et que je connais ses capacités et son potentiel que je me permets ce genre de remarque.

Merci à l'équipe de la boutique Lange & Söhne de Paris.

Les plus:
+ une exécution de haut niveau
+ la présence du stop-tourbillon et du zero-reset
+ la réserve de marche de 3 jours
+ une taille de boîtier équilibrée

Les moins:
- j'aurais aimé un cadran émail à deux niveaux
- je trouve que le pont traversant du tourbillon vieillit le style de la montre