La rocambolesque polémique autour de la Laurent Ferrier Galet Répétition Minute

Ceux qui pensent que les jours suivant Baselworld sont calmes puisque tous les participants se reposent en sont pour leurs frais. L'événement qui secoue le petit monde de l'horlogerie ces derniers jours est la polémique autour de la Laurent Ferrier Galet Répétition Minute. Pour être plus précis: autour d'articles la concernant publiés lors de Baselworld. Fait relativement rare pour être souligné: cette polémique concerne donc une marque de haute horlogerie s'adressant en priorité à une clientèle de collectionneurs.

Mais que s'est-il donc passé pour que cette montre, au style classique et à l'exécution irréprochable, provoqua l'ire d'un collectionneur anglais qui s'en est ému via son compte Instagram et qui a poursuivi la discussion sur le forum des marques indépendantes de PuristSPro. Incandenza (tel est son pseudo sur les deux plateformes) révèle en effet que contrairement à ce que certains articles écrivent, le mouvement de la Galet Répétition Minute n'est pas "in-house" (comprendre donc, de manufacture) mais basé sur une ébauche de la Fabrique du Temps. Et tout s'emballe: certains s'offusquent, blâmant le manque de transparence de la marque, d'autres s'en fichent, des clients Laurent Ferrier se sentent vexés par ces remarques, d'autres par l'attitude de la marque et même des posts désobligeants sont publiés. 

Incandenza a reposté sur son compte Instagram ses explications:



A vrai dire, je suis intervenu sur le premier post d'Incandenza sur Instagram pour donner ma position. Je parle de premier post car malheureusement, le collectionneur anglais a dû le supprimer pour utilisation inappropriée du logo Louis Vuitton (propriétaire de La Fabrique du Temps) et donc le recréer sur son compte. Ma position était de dire qu'il s'agissait d'une tempête dans un verre d'eau compte tenu du fonctionnement général de l'industrie et que si on connaît bien la marque Laurent Ferrier, on pouvait se douter fortement que le mouvement provenait d'une ébauche La Fabrique du Temps. Après, je n'ai pas développé plus car Instagram ne se prête pas aux longues dissertations. 

Ce cas est cependant fort intéressant. Il est révélateur de ce qui ne tourne pas rond dans l'industrie horlogère et ce, à trois niveaux:

- au niveau des marques pour commencer dont l'absence de transparence tourne régulièrement au ridicule quelque soit le segment. Rappelons-nous les discussions sur Chronomania sur le mouvement chronographe de manufacture de Tag Heuer il y a quelques années!  Je trouve que la marque Laurent Ferrier aurait dû être plus vigilante sur ce point-là et a agi avec trop de légèreté et d'ambiguïté. En effet, s'agissant d'un mouvement répétition minutes, comparer l'arrière de la Laurent Ferrier avec d'autres montres ne se révèlent pas être un exercice redoutable. Et puis, nombreux sont ceux qui connaissent les liens qui unissent Laurent Ferrier avec La Fabrique du Temps. Il aurait été beaucoup plus positif d'expliquer que le mouvement provenait d'une ébauche mais que la marque avait travaillé sur les points x et y et toute cette communication serait passée comme une lettre à la poste. De plus, expliquer que l'on part d'une ébauche déjà utilisée est rassurant: le mouvement est éprouvé et figurez-vous, il a été amélioré et il a réglé aux petits oignons (car sur une répétition minute, le plus délicat demeure le réglage pour avoir le bon son, le bon volume, le bon silence environnant, le bon rythme). Le communiqué de presse initial aurait dû intégrer cette notion d'ébauche. Or ce n'est pas le cas. Il est resté dans le flou.

L'ébauche La Fabrique du Temps a notamment servi de base au mouvement de la Girard-Perregaux 1966 Répétition Minute (ici dans la version Calendrier Annuel): 


- au niveau des collectionneurs ensuite. Qui finalement a poussé les marques à se lancer dans le in-house, dans les calibres de manufacture bien avant que des logiques d'indépendance industrielle ne les obligent à accentuer la tendance? Les collectionneurs d'abord puis les acheteurs réguliers par la suite. Depuis deux décennies, cette notion de "in-house" (sans que l'on sache finalement exactement ce que cela veut dire puisqu'un mouvement se développe, se produit, s'assemble...) devient l'alpha et l'oméga de toute discussion horlogère. Vous êtes in-house: super. Vous utilisez une base x: bof, revoyez votre copie. Tout ceci est pathétique car il ne faut pas oublier que toute l'histoire de l'industrie horlogère suisse s'est fondée sur la sous-traitance puisqu'elle était structurée ainsi! Sans oublier que dans le monde du vintage, cette notion de in-house compte peu... il suffit de regarder les mouvements des montres "record". Et puis que voyons-nous maintenant? Une sorte de retour de balancier où les collectionneurs se remettent à apprécier pour les marques indépendantes les mouvements basés sur des calibres plus répandus car réparables même si la marque disparaît dans 20 ans... Je ne suis d'ailleurs pas d'accord sur le raisonnement du collectionneur anglais qui critique le prix de la montre Laurent Ferrier à cause du mouvement ébauche. Encore une fois, un mauvais réflexe: même si j'ai rapidement vu la montre, je ne suis pas capable d'analyser à ce stade les améliorations apportées sur le calibre. Mais la montre sonnait de façon satisfaisante lorsque je l'ai entendue. Ensuite, on peut avoir x raisons de trouver la montre trop chère: mais l'utilisation de l'ébauche ne me semble pas être une raison valable.

Le mouvement de la Laurent Ferrier Galet Répétition Minute:


- enfin, au niveau des médias en-ligne: dans la précipitation de Baselworld, dans l'urgence de délivrer l'information pour que tout le monde clique, like et que son article soit lu avant celui du voisin, plus aucun média ne procède à un véritable travail d'analyse et de réflexion. Franchement, si on a un peu de recul, on se doute que ce mouvement est basé sur une ébauche. Mais voilà: il faut délivrer à la minute et je n'en veux surtout pas à ceux qui ont écrit les articles, sûrement à deux heures du matin à Bâle à l'issue de la soirée avec la marque X. C'est tout un environnement qui oblige les médias à fonctionner comme le hamster dans la roue, à devoir délivrer au plus vite. Et osons le dire, est-ce que la majorité des lecteurs recherche de l'analyse? Non, on est rentré dans le monde Instagram, y compris sur les blogs ou les forums: on lit de plus en plus vite, on regarde les photos et on zappe. Et ainsi, de nombreux médias y compris les plus prestigieux ont indiqué que le mouvement était in-house lors de la publication des articles. Une fois de plus, le communiqué de presse initial ne dit rien à ce niveau. Pourquoi certains ont écrit "in-house"? Après avoir posé la question à la marque? Après avoir imaginé que c'était le cas? Mystère. Il est amusant que depuis plusieurs ont édité leurs textes mais que d'autres, et non des moindres, ne l'ont toujours pas fait. L'article a été délivré, on est passé à autre chose... on zappe de nouveau.

La Laurent Ferrier Galet Répétition Minute au poignet:


Bref, tout ceci me conduit à deux dernières réflexions. La première est qu'il faudrait que tout le monde se calme et se remette à travailler à un rythme plus adéquat et avec plus de réflexion et de recul. Mais j'ai peur que ce soit un voeu pieux. C'est ainsi que la Terre tourne dorénavant. Et la seconde réflexion concerne la marque Laurent Ferrier et son créateur. Je trouve fort dommage que cette polémique les touche alors que je les apprécie grandement. La marque Laurent Ferrier a trouvé depuis plusieurs années sa place au sein du segment de haute horlogerie à travers son offre classique, soignée et réalisée avec beaucoup de soin. Elle a d'ailleurs su séduire des collectionneurs dans un segment très compliqué où il est difficile d'exister en dehors des poids lourds de la haute horlogerie. La marque aurait dû faire attention et être plus transparente mais la polémique est pour moi excessive. Et n'oublions pas non plus la montre, la fameuse Galet Répétition Minute. Elle mérite d'être considérée avec attention. J'ai beaucoup aimé cette interprétation de la complication dans ce contexte Galet très épuré, l'intégration du verrou, le son de la répétition et la présentation du mouvement. Alors, sous prétexte d'une ébauche La Fabrique du Temps (qui est, et c'est tout le paradoxe, un excellent calibre!), il ne faudrait pas la clouer au pilori. Ni la marque ni Laurent Ferrier, l'homme, ne méritent ça. Nous sommes au bout du compte tous collectivement (et moi avec bien évidemment) responsables de cette situation car nous l'avons engendrée par nos actes. Bref, avant de créer des polémiques, on ferait mieux de balayer devant notre porte.