Mon baromètre du SIHH2018

Le SIHH 2018 vient de fermer ses portes sur un franc succès du point de vue de l'organisation. Le Salon a le vent en poupe, évolue de façon significative et positive année après année tout en s'ouvrant de plus en plus vers l'extérieur grâce à sa stratégie digitale et à la journée dédiée au public. Le SIHH "bunker", c'est terminé et tant mieux. Mais il est très important de bien distinguer le contenant du contenu et j'aimerais revenir à travers ce baromètre sur ma perception, forcément subjective, des dynamiques des marques que ce soit à travers leurs offres et leurs stratégies . En tout cas, j'ai pu y percevoir quelques tendances de fond: le retour vers "le client local" supporté par des montres au style sage et des prix raisonnables, des expériences de vente directe via le net de plus en plus fréquentes et une véritable créativité qui devient malheureusement de moins en moins accessible. Les marques semblaient de façon générale faire preuve de plus d'optimisme mais adoptaient aussi une approche plus réaliste face aux détaillants: ces derniers étaient plus libres dans leurs choix de constitution de stocks.


Excellent

L'organisation du Salon: l'accueil, les infrastructures, les services à disposition furent parfaits. Les progrès sont significatifs et tout fut mis en oeuvre pour rendre l'expérience du visiteur, quel que soit son statut, la plus agréable possible. Le contraste avec le joyeux bazar de Baselworld devient saisissant et il serait vraiment temps que ce dernier prenne conscience que le monde est en train de changer.

Audemars Piguet: passer directement de la conférence de presse de la marque x à celle d'Audemars Piguet crée un choc. On n'est plus dans le même univers. Chez Audemars Piguet, ça bouge, c'est puissant et on ressort avec le sentiment d'être dans le monde d'aujourd'hui. Qu'importe après tout si AP nous présente des xièmes déclinaisons de RO ou de ROO dont on célébrait le 25ième anniversaire. Les produits sont désirables, ça vibre et la réussite commerciale est insolente.

Richard Mille: derrière finalement un stand qui évolue peu, c'est la même histoire qu'AP: ici, pas de problème stratégique, pas de problème de prix, pas de problème de clientèle à aller conquérir pour survivre. Tous les indicateurs sont au vert et on fait la queue pour acheter les montres à un million d'euros. Richard Mille nous rappelle que lorsque les produits sont désirables, les prix deviennent moins problématiques. Et quand je pense que certains nous disaient que le succès de Richard Mille n'allait pas durer! Il est bien parti pour durer autant que les impôts.

Le Carré des Horlogers: des nouveaux venus, de la créativité, un véritable lieu de rencontres et d'échanges. J'ai le sentiment qu'au sein du SIHH, l'horlogerie indépendante est bien mise en valeur et qu'elle n'est pas reléguée dans la cave (ou plutôt dans le grenier) comme elle le fut par le passé à Baselworld. Tout le monde profite de cette effervescence et le Carré contribue grandement au succès du SIHH.

Bien

Girard-Perregaux

GP est présent sur tous les fronts à la fois avec des montres de volume et des montres d'exception. La Laureato est une collection qui évolue très bien et les nouveaux chronographes sont une réussite. Les pièces de haut niveau comme la Répétition Minutes Tri-Axial Tourbillon mettent en valeur les capacités de la manufacture: GP bouge, va dans le bon sens et cela se ressent.

Cartier

Compte tenu de son poids dans le CA de Richemont, Cartier demeure la clé de voute de la réussite commerciale du SIHH pour Richemont. Cartier fut cohérent et fidèle à sa stratégie: retour aux fondamentaux avec plus d'icônes, plus de montres féminines, plus de glamour et une offre de haute horlogerie mieux canalisée. La formule fonctionne bien, le retour de la Santos est un succès avec des prix ajustés et un système de bracelets interchangeables et de retrait de maillons efficace. Attention cependant à ne pas froisser certains collectionneurs avec des sorties très rapides de versions en acier de modèles qui furent commercialisés avec des matériaux précieux (je pense à Drive ou à la Santos Squelette). 

Baume & Mercier

Baume & Mercier montre de l'ambition avec son calibre exclusif. Certes du point de vue esthétique, les Clifton Baumatic ne sont pas révolutionnaires. Mais Baume & Mercier améliore son contenu horloger tout en maîtrisant ses prix. Et des produits plus audacieux sont disponibles par ailleurs dans le contexte du partenariat avec Indian. Richemont devrait peut-être plus s'appuyer sur cette marque pour qu'elle devienne le fer de lance d'une stratégie "groupe" de conquête commerciale d'une nouvelle clientèle.

Hermès  

Premier SIHH pour Hermès et ce fut une réussite. Hermès évite de se mettre en surchauffe et présente des produits simples, élégants, raffinés, bien dans l'esprit de la Maison. La nouvelle Carré H est le symbole de cette stratégie cohérente tout comme les montres féminines colorées et séduisantes.

Piaget

Piaget fut défié par Bulgari sur le thème de l'extra-plat et a voulu réaffirmer sa domination. Montre automatique la plus plate, montre concept la plus plate de tous les temps, la mission est accomplie. Piaget profita du SIHH pour compléter sans surprise son offre dans la collection Polo S et se montra plus audacieux et créatif avec les montres féminines, dont la nouvelle collection Possession.

Van Cleef & Arpels

J'ai toujours l'impression que VCA est la marque sans nuage de Richemont. Tout semble se dérouler sans accroc et les nouveautés font mouche une fois de plus. La nouvelle Lady Arpels Planetarium remporte selon moi la palme de la montre féminine du SIHH. Bref, la fée est toujours bien présente et sa baguette magique fonctionne très bien! 


Assez Bien

Lange & Söhne

Lange & Söhne a présenté la plus belle montre du Salon selon moi (la Triple Split) et la 1815 Hommage est fidèle à l'esprit de Walter Lange, conçue telle qu'il la voulait. C'est donc déjà bien et en plus la marque évite les erreurs stratégiques. Cependant, j'aimerais, encore et toujours, plus d'audace et de créativité dans l'entrée de gamme. Ma marque préférée en a besoin pour renouveler sa clientèle.
 
Ulysse Nardin

Ulysse Nardin s'inscrivait dans la même démarche que GP: d'un côté, des montres à prix contenus pour conquérir la clientèle traditionnelle, de l'autre des pièces d'exception pour renforcer l'image d'innovation et de manufacture de haut niveau. Le résultat est plutôt convaincant même si je trouve que certains modèles sont devenus un peu trop sages et que le très haut de gamme a perdu un peu de son exubérance. Mais les qualités demeurent.

Montblanc

En tant qu'acteur généraliste, Montblanc a présenté un large éventail de nouveautés portées par le thème de l'exploration. Le résultat est plutôt intéressant mais inégal. Je n'ai pas été sous le charme des nouvelles TimeWalker mais en revanche Montblanc a fait preuve d'une belle originalité avec la 1858 Geosphere. L'hommage à Minerva permet à la marque d'oeuvrer dans le style néo-rétro qui lui va bien. Montblanc poursuit sa route avec cohérence ce qui est un bon point. 

Jaeger-Lecoultre 

Jaeger-Lecoultre (comme d'autres) a conservé des munitions pour le reste de l'année. Mais le SIHH fut très important avec la sortie de la collection Polaris qui a un rôle stratégique pour la manufacture. Cette collection est bien faite mais la multiplication des références nuit à son efficacité. C'est toujours le même problème: si vous sortez trop de références, le client voudra toujours celle qui n'est pas en boutique... ou celle qui n'existe pas! Quoi qu'il en soit, Jaeger-Lecoultre a fait preuve d'un bel entrain et j'ai apprécié sur le stand la présence de la Casa Fagliano. 

Roger Dubuis

Roger Dubuis profite à fond les manettes de ses partenariats avec Lamborghini et Pirelli. Peu de nouveautés mais c'est un bon point:  la stratégie est cohérente, les produits bien faits et la feuille de route est claire. Attention cependant à un détail: l'Aventador S, montre à deux balanciers, à différentiel et à seconde morte est très belle et réussie mais elle me semble plus difficile à expliquer et à vendre qu'un tourbillon.

Greubel Forsey
Comme de coutume, Greubel Forsey présenta des montres d'exception, à la qualité de réalisation irréprochable. Dans ce contexte, la GMT Earth marque les esprits. Je pense en revanche que la marque doit entamer une véritable évolution esthétique pour que l'innovation technique soit mieux mise en valeur. Je trouve que Greubel Forsey reste trop dans ses codes habituels et on a parfois du mal à distinguer les nouveautés des pièces plus anciennes.


Moyen

Panerai

Panerai a balayé du sol au plafond en partant de nouvelles montres d'un diamètre de 38mm jusqu'aux montres compliquées et exclusives. Mais est-ce vraiment la vocation de la marque que de se comporter comme un acteur généraliste? Heureusement, les nouvelles Luminor Logo à mouvement exclusif la repositionnent dans ce qu'elle sait faire de mieux. Une réflexion stratégique s'impose avec l'arrivée du nouveau CEO, Jean-Marc Pontroué.

IWC

IWC célébrait son 150ième anniversaire et nous a réservé un feu d'artifice. Mais dans un spectacle pyrotechnique, il y a des explosifs plus efficaces que d'autres. Certains modèles présentés dans le contexte de l'anniversaire n'étaient franchement pas indispensables et cette profusion de montres atténue la portée de la célébration. Dommage car la Pallweber est pour moi une réussite tout comme quelques autres pièces. Attention également à IWC de ne pas trop cumuler les ambassadeurs et les événements "red carpet" au risque de lasser sur le moyen terme.
 
Doivent mieux faire

Parmigiani

Parmigiani a réalisé une grande année 2017 en s'appuyant sur le retour de Toric et avec la nouvelle Bugatti. Cependant ce que j'ai vu lors du SIHH ne m'a pas convaincu: je ne comprends pas cette remise en avant de la Kalpa. Les montres de forme ne sont pas forcément les plus simples à vendre et ces nouveautés me sont apparues bien grandes au poignet. Pourquoi ne pas continuer à s'appuyer sur la collection Toric? De plus, la stratégie de communication m'est apparue confuse: la montre la plus belle était sous embargo mais visible en vitrine. Conclusion: je n'en parle pas pour l'instant alors que des photos sont publiées ici ou là. Ce n'était pas le meilleur Parmigiani à l'oeuvre.

Vacheron Constantin

Vacheron Constantin est une de mes marques préférées. C'est aussi une des manufactures les plus talentueuses et les plus prestigieuses au monde. Mais la situation doit être compliquée pour qu'elle se permette de sortir une nouvelle collection, plutôt bien réalisée mais sans caractère ni charme avec comme entrée de gamme une montre en acier, sans poinçon de Genève, à mouvement "Richemont", à 12.000 euros TTC. L'objectif est de reconquérir "le client local". Mais franchement, une telle montre n'est-elle pas en train d'écorner l'image de Vacheron? Comment ne pas y percevoir une incohérence stratégique et un aveu de faiblesse? Il faut revenir là-aussi aux fondamentaux. Vacheron doit avant tout refaire des montres désirables pour vendre. Le combat sur les prix ne doit pas être l'argument principal d'une marque de ce niveau. Elle sait toujours faire des belles montres: elle en a encore fait très récemment. Mais une fois de plus, une vraie réflexion s'impose car le risque de décevoir les clients actuels sans en conquérir de nouveaux est réel.

 
Je tiens à remercier l'ensemble des équipes des marques qui m'ont accueilli pendant le SIHH avec un grand professionnalisme et attention.