Après la montre la plus chère, l'horloger le plus cher

Ce titre est volontairement provocateur. Je souhaite seulement revenir sur le tableau de Norman Rockwell "What makes it tick?" qui a été adjugé au prix de 7.287.500 dollars lors de la vente Christie's du 21 novembre à New-York.

Ce prix a dépassé les estimations qui se situaient dans une fourchette comprise entre 4 et 6 millions de dollars. Mais mon propos n'est pas de gloser sur ces montants ni de mener de hasardeuses comparaisons entre l'art et les montres. Je préfère revenir sur le tableau en lui-même qui, pour moi, résume parfaitement la fascination qu'exercent les montres mécaniques.

J'y vois une multitude thèmes: la précision du geste, la minutie mais également la transmission de la passion. Et le nom du tableau est parfaitement choisi: la montre mécanique, une fois remontée, fonctionne de façon autonome grâce à un mécanisme, existant pourtant depuis des décennies mais demeurant parmi les plus complexes. Et c'est bien la réponse à la question que se pose le garçon qui explique le pouvoir d'attraction de la montre mécanique et la passion qu'elle procure.


Ce tableau de 1948 fut commandé par l'équivalent de l'époque de la Fédération de l'Industrie Horlogère Suisse dans un but publicitaire pour conquérir des parts de marché. Finalement, si Rockwell devait produire un tableau similaire aujourd'hui, peu de détails changeraient, si ce n'est peut-être l'âge de l'horloger du fait du rajeunissement de la profession. Tout simplement parce que Rockwell fait mouche. Grâce à son talent qui magnifie les gestes du quotidien, à son grand-père qui travailla comme horloger,  il remet la passion et la mécanique au centre du jeu. Et c'est peut-être ces ingrédients qui manquent le plus dans les campagnes de publicité actuelles. Elles ne sont plus définies par des amoureux de l'horlogerie mais par des spécialistes du marketing du luxe qui peuvent oeuvrer dans n'importe quel secteur d'activité. Les arguments des campagnes actuelles se fondent essentiellement sur les thèmes de notre époque: l'appartenance à une élite, le pouvoir, la flatterie de l'égo du client potentiel. Peut-être que les publicitaires ont raison de procéder ainsi. Mais une montre mécanique n'est pas un objet "de luxe" comme un autre car elle se situe dans une dimension différente. Même si la renaissance de la montre mécanique s'est concrétisée à travers un positionnement "haut de gamme", la fascination créée par le tic-tac du mouvement et la fluidité de la trotteuse demeure bien présente dans l'esprit des clients. Une montre mécanique, bien réglée, va dévier de moins de cinq secondes par jour alors qu'une journée comporte 86400 secondes. Quel autre objet, sans aucune aide électronique, peut se targuer d'une précision de 99,994%? Alors, même s'il fut peint il y a 70 ans, ce tableau est plus que jamais d'actualité et devrait même redevenir une source d'inspiration. Après tout, il n'a pas trop mal réussi à l'industrie horlogère suisse de l'époque!